Après la dématérialisation de la musique : celle du livre ?
Nul ne peut contester les ravages que la révolution numérique a occasionnés à l’industrie de la musique. Aujourd’hui encore la progression des ventes en ligne n’a toujours pas compensé les pertes enregistrées de la vente du CD physique. Le monde de la culture change radicalement de paradigme. Les professionnels de la musique n’ont pas su ni anticiper, ni se préparer à cette mutation profonde des supports, des modes de diffusion et de consommation. Ils payent aujourd’hui le prix fort de leurs erreurs. Le livre, enjeu culturel de toute aussi grande importance, va-t-il se dématérialiser aussi ? Et où en sont les professionnels du livre dans leur réflexion et leur adaptation ?
Alors que l’enseigne Virgin s’apprête à fermer ses portes, et que le propriétaire de la Fnac, François-Henri Pinault cherche désespérément un repreneur. Le CA de l’entreprise ne cesse de baisser, c’est tout le modèle économique de l’enseigne qui est mis à mal entre la dématérialisation de la musique d’un côté et le succès de l’e-commerce qui la concurrence dangereusement sur le marché de l’informatique, de la télévision et des produits techniques. Quant au livre, c’est à suivre de près, s’il prenait le chemin de celui de la musique, ce serait sans aucun doute la fin de la FNAC.
Le livre numérique, un produit hybride.
Wikipedia nous en donne la définition suivante : « Un livre numérique, dit aussi livre électronique, est un livre édité et diffusé en version numérique, disponible sous forme de fichier, qui peut être téléchargé, stocké et lu sur un écran tel que celui d'une liseuse, d'un ordinateur personnel ou d'une tablette tactile ».
Ce sont les progrès indéniables des liseuses et tablettes numériques qui ont boostés les ventes des livres numériques tout en impactant la presse dans son ensemble. Les deux supports sont à distinguer. Les liseuses utilisent le principe de l’encre électronique qui reproduit un visuel très proche de la page papier, présentant l’avantage de ne pas induire des effets secondaires sur la vision. Au contraire la tablette numérique illustrée par l’Ipad offre de multiples possibilités (couleur, vidéo et sons), mais en faisant appel à la technologie de l’écran rétroéclairé qui provoque à la longue une réelle fatigue oculaire.
Dès l’année 2010, aux USA ce marché devient significatif et concurrentiel avec le marché du livre papier. La numérisation des livres est désormais en marche. Outre le marché de l’édition traditionnelle, qui peine à s’adapter, c’est, en effet miroir au marché de la musique, que de nombreux auteurs, refusés par les maisons d’éditions, se lancent dans l’auto-édition en publiant leurs œuvres en ligne gratuitement ou pas.
En France, l’écrivain François Bon a su voir plus tôt que les autres le développement futur de l’industrie du livre. Il fonde dès 1997 un site web dédié à la littérature Remue.net, qui deviendra en 2008 une coopérative d’auteurs pour l’édition et la diffusion numérique d’œuvres contemporaines. C’est en 2011 qu’il publie son ouvrage phare : Après le livre (en version papier aux éditions du Seuil et en version numérique, bien sûr). Il illustre probablement le mieux le concept de livre numérique comme produit hybride, en intégrant dans son format support : du son, de la vidéo et de la musique.
Le livre numérique offre de véritables valeurs ajoutées pour le lecteur en comparaison avec le livre imprimé. Mais la bataille du format pour l’e-livre est fondamentale aujourd’hui. L’approche engagée par François Bon le limite à l’Ipad et l’Iphone, restent les supports dédiés de Sony, de Kindle d’Amazone, de Nook de Barnes & Noble….
Dans le cadre numérique, deux démarches s’offrent aux auteurs et éditeurs : soit la réplique numérique pure et simple du livre papier, soit la production d’ouvrages dits « enrichis » faisant appel à toutes les possibilités technologiques. La première voie est bien engagée par une politique systématique de numérisation du monde de l’imprimé, qu’il s’agisse de Google ou de la Bibliothèque nationale de France. La deuxième est plus complexe, elle interfère avec le monde de la presse et s’expérimente aujourd’hui beaucoup plus sur les tablettes numériques que les liseuses.
Le marché de l’e-book.
Si aux USA il semble décoller sérieusement, en France il ne fait que frémir. Nombreux sont ceux qui ont annoncé à de multiples occasions la mort du livre imprimé. Les plus grands salons du livre de Paris à Frankfort rapportent à chaque édition la rumeur funeste.
Toutefois, force est de constater certains faits. Opinionway publiait en décembre l’information suivante : 14% des 15 ans et plus pratiquent déjà l’e-lecture. Indicateur de la dynamique : un nombre qui a doublé les 6 derniers mois. De la même manière ce sont désormais 3 millions de foyers qui se sont équipés de tablettes, avec une augmentation d’un tiers les six derniers mois. On voit dans le métro, les trains, les salles d’attentes des médecins des hommes et des femmes lisant des e-books sur des lisseuses.
L’Amérique nous trace la voie. Le marché du livre numérique représente1/4 du marché de l’édition et sa progression se poursuit, même si elle marque un certain ralentissement. Parallèlement le marché de l’imprimé s’affaisse.
Autre exemple de pays en progression : le Brésil. Il se serait vendu 1,4 millions d’ebooks entre juin et novembre 2012 !
En Grande Bretagne les ventes des livres numériques ont augmenté de 5% en 2012. Le marché du livre physique aurait connu une baisse de 4,6 % de ses ventes (74 million de £), nos amis anglais ont dépensés 1,514 milliards de £. Ce qui s’est perdu sur un marché s’est donc rattrapé sur l’autre.
En France les résistances s’affichent un peu partout : les lecteurs en premier sont très attachés au format papier et regardent avec suspicion le format électronique. Du coup les éditeurs manifestent beaucoup de tiédeur à l’égard de ce nouveau marché, mêmes s‘ils prennent certaine mesures adéquats : nomination de responsables éditoriaux du numérique et offre systématique sur toutes les nouveautés en format numérique.
Nos futuristes s’avancent à prédire un marché de 55 à 75 millions d’euros à l’horizon de 2015…. Alors que les ventes physique n’ont baissé que de 2% en 2012 (Chiffre du syndicat national de l’édition / SNE).
La France résiste au livre numérique.
Si la France résiste pour l’instant cela tient fortement à sa culture littéraire, ses nombreuses sorties au moment de la rentrée (rien que 525 romans lors de la dernière rentrée littéraires), la multiplication des prix (prestigieux ou pas), son incroyable réseau de libraires à la peine (ils sont nombreux à fermer) qui offrent de véritables services et nouent une interface efficace entre les éditeurs et le public.
Voilà pourquoi aujourd’hui l’édition française est plutôt mal préparée à l’arrivée du numérique qui semble bien inexorable. Bien que les principales maisons d’éditions aient numérisé leur catalogue (environ 75%), leur offre n’est que de 90 000 titres contre 2 700 000 dans le monde anglophone. Il reste un effort considérable à faire dans les mentalités mais aussi sur le terrain.
Car peu à peu le public s’approprie ce nouvel usage, qui présente d’évidents avantages : achats en ligne via une connexion Wifi, stockage d’un nombre infini d’ouvrages sur sa tablette ou sa liseuse, facilement transportable. Un signe de ce début d’engouement : le bestseller mondial d’E.L. James, Cinquante nuances de grey s’est vendu au format numérique à 25 000 exemplaires aux éditions Lattes qui en a vendu 870 000 en formats papiers.
Le prix du numérique en France pose problème, alors que l’offre matériel se généralise par une politique de prix à la baisse, l’offre du livre numérique reste élevée en France, scotchée à 80 % du prix papier. Alors que le monde de la musique via Itunes propose le morceau de musique à 0,99€, le prix en moyenne de 20 à 25 € pour un roman n’est guère attractif. Toute les études menées à ce jour montre un lecteur aux aguets, prêt à investir dans du matériel lorsque les livres électroniques se rapprocheront de leur propension à payer, autour de 5 à 7 €.
Le marché du livre numérique représente en France seulement 1 % du secteur.
Un nouveau modèle de distribution des livres électroniques.
Attention ! Ces retards seront peut être fatals au moment où les géants de l’édition numériques que sont amazone et Apple ont déjà conquis une importante part du marché mondial. Pour rattraper cet handicap, ils sont 18 entreprises a avoir réuni leurs compétences et leurs moyens : éditeurs (Gallimard, La Martinière…), libraires (SLF, La Procure…), chercheurs et opérateurs télécom (Orange, SFR) ont annoncé la mise en œuvre du projet M03T (Modèle Ouvert Trois tiers), à savoir la mise en place d’un format unique interopérable sur toutes les plateformes et terminaux, incluant un stockage dans le Cloud. Le projet est bien engagé avec le soutien financier du gouvernement via le grand emprunt. Seul hachette Livre, comme important opérateur sur le marché du livre, ne participe au projet. Il trouve celui-ci pas assez précis.
Ce brillant consortium vous propose donc pour l’été prochain d’acheter votre auteur préféré du moment pour le lire partout à la plage, au bord de la piscine, à la campagne, sur votre lisseuse ou votre Ipad, votre Iphone… placé dans le Cloud il serait disponible à volonté dans un format adapté à tous les terminaux. Vous pourrez donc ainsi vous constituer peu à peu une véritable bibliothèque numérique.
La révolution consiste à passer d’une vente de contenus à une vente de droits d’accès. Vous, consommateurs posséderiez alors non plus des livres, mais des droits numériques d’accès à vos ouvrages préférés.
Le modèle est peu coûteux, il est en marche. Annoncé en septembre 20012, la maquette est livrable à la fin de ce mois de janvier 20013 et un prototype en septembre avec l’opérabilité du projet à la fin de l’année 2013.
Ce projet devrait convenir au consommateur, avec des DRM plus souples (par exemple vous pourrez prêter votre livre à un ami, qui le lira sur une plateforme différente de la votre), au libraire ,car ceux-ci préservent leur activité de mise en valeur et de conseil sur l’offre, aux éditeurs, qui se verraient confier la responsabilité d’une édition numérique conforme à tous les supports et aux opérateurs télécom, qui se verraient en charge de la gestion des bibliothèques sur le Cloud avec la couverture réseau suffisante.
Voilà un superbe défi à relever qui pourrait assurer à la France un point d’appui efficace dans un environnement européen où le marché unique numérique est un objectif de la commission.
Ouvrages de référence.
F. BENHAMOU, O. GUILLON « Modèles économiques d’un marché naissant : le livre numérique », juin 2010, 16 p. Culture et prospective
Y. GAILLARD, la Politique du livre face au défi du numérique, rapport pour le Sénat au nom de la Commission des finances, 2010.
M. DACOS et P. MOUNIER, l’Édition électronique, Paris, La Découverte, 2010.
F. BENHAMOU, « Livre numérique. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre… », Esprit, mars-avril 2009
B. PATINO, le Devenir numérique de l’édition. Du livre objet au livre droit, Paris, La Documentation française, 2008.
Site de référence, celui du syndical national de l’édition.
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