Art et Intergénération (3/3) : Des effets thérapeutiques ?

« Quand les artistes s’intéressent à la vieillesse, les arts vivants comme lien entre les générations » Partie 3 : Art et intergénération, des effets thérapeutiques ? Une rencontre co-organisée par le Forum de Nivillac et l’Association Départementale pour le Développement des Arts Vivants du Morbihan (ADDAV 56)[i]. C’est bien une nouvelle approche de l’intergénération qui s’est dessinée. Invité du festival, le sociologue Eric Donfu [ii] a approfondi ce thème, le mercredi 3 février, en introduction au débat. ( 1/3)[iii]
Rubens, peintre de la vieillesse ?
Cette toile de Rubens, « La vieille au brasero, » peinte vers 1616/18 [i] si caractéristique de la lumière des Flamands, met en scène un enfant, un jeune et une personne âgée, qui pourrait être sa grand-mère. Il y a une tendresse réelle dans ce visage âgé, qui sourit et semble biens se sentir en compagnie des autres générations.
Accepter son âge et vivre sans complexes
Alors, oui, il serait faux de tomber dans le jeunisme. On sait que le fait d’accepter son âge est déterminant dans le « bien vieillir ». Mais aujourd’hui, être vieux, c’est être en dépendance. Alors, libérés des contraintes qui pèsent sur les jeunes actifs, ils deviennent la force optimiste d’une société morose. Dans une famille ou coexistent trois, voire quatre générations, ils abordent la grand-parentalité sans complexes et sur mesure. Ils sont aussi soucieux de saisir l’occasion pour faire passer des messages à des parents qui sont aussi des enfants qu’ils n’ont souvent pas vu grandir. Ils se préparent à devenir des grands-parents libérés, prêt même à réinvestir le rôle que leurs propres parents ont déjà débarrassé des attributs péjoratifs et désuets.
Un nouveau dynamisme qui tranche parfois avec le retour à la norme des jeunes
Ils abordent cette nouvelle page de leur vie avec une situation, une forme et un dynamisme
qu’aucune génération n’a connu auparavant. Et n’hésite plus à lever des derniers tabous, comme le fait de s’opposer à l’éducation de leurs enfants, ou de privilégier une relation avec un petit enfant plus qu’un autre, au titre de la primauté du lien et de la parole sur la norme. Cette norme d’autorité et ces rôles prédéfinis que leur génération à déconstruit et que les jeunes parents redécouvrent parfois…
Le nouveau rôle des filiations féminines
La remise en cause des « normes » fait aussi qu’il n’y a plus une mais des milliers de façon d’être grands-parents. Certaines grands-mères sont par exemple corvéables et malléables, d’autres moins, et certains pas du tout. Mais les Grands parents ne sont plus à la périphérie, mais bien au centre de la vie de famille, notamment depuis le passage de la famille nucléaire (deux parents et leurs enfants) à la famille élargie (plusieurs générations, différents mariages). Les filiations féminines se renforcent aussi dans cette perspective. Car une jeune femme qui se marie ne sait pas si elle sera toujours avec le même homme, mais sait qu’elle aura toujours la même mère… Qui peut être mise à contribution en cas de rupture.
L’arrivée d’un enfant contribue à clarifier les relations
Leur vitalité est donc bien devenue un nouveau patrimoine. Avoir des grands-parents toniques est une source de fierté pour la famille, et ce, au-delà de 100 ans ! Et puis, l’arrivée d’un enfant clarifie les relations mères filles comme les relations pères fils. L’amour qui va aux parents et vient des parents circule et est reçu par les enfants-parents. Mais attention, soumis à une forte pression au travail et au quotidien, les jeunes couples peuvent, dans s’en rendre forcément compte, se révéler égoïstes et nombrilistes, et parfois d’une sévérité mal comprise avec leurs enfants. C’est ce qui explique la cote des jeunes grands-parents babyboomers. Mais que les parents se rassurent, cette proximité est une chance pour le développement de l’enfant.
Grandir, c’est vieillir
Comment prendre conscience de l’âme de la relation intergénérationnelle ? Il s’agit d’un amour réciproque. Comme l’exprime bien Pierre Guillet dans le « Dialogue des Ages » : « Grandir ? C’est manger de la soupe et plein de calcium, prendre des centimètres, voir le sol de plus haut et avoir plein d’énergie. Vieillir ? C’est avoir des rides, des cheveux blancs, radoter, rapetisser et se fatiguer vite. Et si nous dépassions les clichés ? Car grandir, c’est savoir de plus en plus de choses et vieillir pouvoir raconter de plus en plus de choses aux plus jeunes. Pour les jeunes, plus de maturité, pour les plus vieux plus de sagesse. »
« D’un côté, se marier et faire des enfants, de l’autre voir sa famille grandir. Pour les uns avoir du temps devant soi et s’inscrire dans des projets, pour les autres prévoir son futur et parcourir toutes les étapes de sa vie. « Grandir, c’est « mourir un jour » et vieillir « voir la mort s’approcher ». En vérité, grandir, c’est vieillir, et vieillir, c’est grandir. »[ii]
L’apprentissage n’a plus d’âge
Chaque être nait différent et la vie accentue les différences. De notre naissance à notre mort, notre personnalité se cultive en permanence. L’apprentissage n’a plus d’âge, car, qu’il ait 7 ou 90 ans, tout être humain existe d’abord comme une personne. Lorsqu’un enfant de dix ans rencontre un vieux de quatre-vingt ans, ils devraient pouvoir se poser des questions identiques : Qu’apprends-tu en ce moment ? Que fais-tu ? Quels sont tes loisirs, quel est ta vie de famille et qui sont tes amis ?
Le défi de la prise en charge du grand âge
Ces vécus au sein de la cellule familiale sont les plus importants pour favoriser le dialogue des âges. Ils sont aussi complémentaires des enjeux qui se posent au niveau de la société. La prise en charge collective des besoins d’aide et de soins du grand âge est un des plus graves défis à moyen terme. Et nous pouvons en effet avoir à faire face à une complexité générationnelle dans laquelle la famille ne pourrait pas aider ses proches âgées et où elle ne voudrait ou ne pourrait pas s’investir dans cette tâche. De plus, comme nous l’avons déjà évoqué, le nombre d’aidants familiaux va mécaniquement baisser, pour des raisons démographiques. La société doit dépasser le risque d’une confrontation entre les jeunes et les baby boomers d’une part et l’opposition entre le monde visible des actifs et celui, invisible, d’un grand âge paradoxalement de plus en plus présent, d’autre part.
Dépasser tout ostracisme entre « jeunes » et « vieux »
Quels enjeux ? Il faudrait d’abord dépasser tout ostracisme entre « jeunes » et « vieux », dans les deux sens, comment ? Le Conseil économique et social national a par exemple proposé l’année dernière de favoriser les colocations entre seniors et jeunes, et de développer le « tutorat » pour transmettre les savoir-faire et les codes sociaux du monde du travail d’une génération à l’autre. C’est bien dans des domaines comme l’habitat, les services, les NTIC, ou mais aussi l’emploi, la formation, l’insertion, la mémoire ou la culture qu’une intergénération « créative » donnera son sens au dialogue des âges, au niveau de chaque commune, de chaque entreprise, de chaque association. Il faut qu’un mouvement international, européen, national, régional fédère toutes ces initiatives et apporte ainsi un écho indispensable à des actions locales réussies qui se reproduiront partout.
Des initiatives positives
Des exemples ? Des étudiants parisiens qui s’engagent pour accompagner des séniors, au départ de trois résidences pour personnes âgées, pour amener des séniors sur les sites de la « Nuit blanche » d’octobre. Un étudiant, dans un petit car du service mobilité de la ville de Paris, et quatre ou cinq étapes créatives dans la nuit parisienne. C’est simple, et ça s’est réalisé. Mais aussi, lors de cette même nuit, dans la mairie du 11e arrondissement, des comédiens de 60 à 80 ans qui entraînent le public à la lumière de bougies dans l’univers onirique des contes de notre enfance.
Des témoignages appréciés
Où encore des vies évoquées dans des « boites souvenirs ». Grâce à d’anciennes boites de munitions ayant servi aux armées allemandes et britanniques durant la seconde guerre mondiale, les « boîtes souvenirs » contiennent objets, photos, anciens jouets, documents témoignant de toute une vie (métier, famille, voyages qui l’a marqué, rêves de jeunesse, etc.). Elles sont un peu chacune la mémoire d’une vie, un récit d’objets offert par ceux dont la mémoire vacille. Les aînés participant à cette opération ont été aidés dans ce processus artistique et de mémoire par des artistes formés au travail de réminiscence. Cette exposition réalisée à l’initiative de services sociaux allemands a tourné pendant près de trois ans en Europe. Ou l’initiative « Lettre à… » Initiée par le Fondation nationale de gérontologie qui a pour objectif de faciliter la liberté d’expression des personnes âgées en leur proposant d’écrire une lettre sur un sujet qui leur tient à cœur. Un jury prime certaines lettres, d’autres sont mises en scènes par des jeunes comédiens, et des musiciens, et provoquent des rencontres improbables avec leurs auteurs…[iii]
Faire entrer aussi les arts vivants à l’hôpital
N’oublions pas le grand âge et la fin de vie. Chaque année, l’espérance de vie s’accroît d’un trimestre. D’ici 2015, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans aura doublé - 800 000 personnes âgées de plus - représentant un tiers des séjours hospitaliers. Les soins palliatifs sont de plus en plus reconnus. Ils témoignent d’un changement profond dans l’attitude à l’égard de la mort. En symbolisant à la fois la levée du tabou sur la mort qui a caractérisé la fin du XXe siècle et en mettant en pratique le droit à une mort digne, qui entoure le mourant et le soulage de ses souffrances. Raison de plus pour saluer en conclusion l’investissement des artistes à l’hôpital, contribuant ainsi à faire de ces lieux de soins des lieux de vie. Un dispositif interministériel « Culture à l’Hôpital » signé en mai 1999 entre le ministère de la Santé et le ministère de la Culture a été le révélateur des nécessités de s’ouvrir à ces nouvelles approches. L’hôpital, nouveau territoire d’accueil à la création et à la diffusion culturelle et artistique, voila bien un exemple concret de dialogue entre les âges, révélé par les arts vivants.
Quand la danse contemporaine enchante les personnes âgées
Le pôle, collectif d’artistes basé à Lorient, présente un spectacle appelé « Séniors ! Variations et temps contés », une pièce chorégraphique pour deux danseurs dont l’approche mérite d’être saluée. A l’initiative de Léonard Rainis, présent à Nivillac, de Katell Hartereau et de Laura Frigato, des ateliers de danse pour les personnes hébergées en service gériatrique à l’hôpital de Port Louis sont organisés. Le parti-pris est d’être précis et dépouillé dans l’expression chorégraphique « des corps qui se déplient, lors de « danses en chambre ».
Vers une démarche interdisciplinaire ?
L’intervention de Claudie Manceau, coordinatrice à l’hôpital de Saint Louis (Morbillan) et présente lors de notre table ronde, révèle aussi l’aspect « pionnier » d’une telle démarche. En effet, il n’y aurait que 300 coordonateurs « culture » en établissements hospitaliers en France, en sachant que sont comprises dans leurs missions à la fois l’intervention auprès des enfants, dont on connait les besoins, auprès des personnes âgées et auprès de tous les publics. Il faudrait donc, en conclusion, que les praticiens hospitaliers, les pouvoirs publics et les élus, prennent conscience du fait qu’il est de leur devoir de favoriser l’intervention des acteurs culturels et artistiques (les clowns ne sont pas oubliés, loin de là) comme il est vital pour le malade de pouvoir dialoguer avec des psychologues.
La nécessité d’une prise de conscience
Comme nous l’exprimions au début de ce texte, la santé résulte d’un équilibre entre le physique, le psychique, et le social. En d’autres mots, être bien dans sa peau, bien dans sa tête, bien avec les autres. Il est démontré que les loisirs ont une influence directe sur la santé et le niveau de dépendances des personnes âgées. Les témoignages se multiplient. Tout à l’heure, on nous parlait de tels patients dont l’incontinence disparaissaient avec le spectacle, tel autre qui oubliait son handicap en voulant se lever de son fauteuil, telle femme qui va faire de la marche à l’autre bout du monde avec une hanche en plastiques… Nous sommes convaincus qu’une étude de l’INSERM ne dirait sans doute pas mieux : Les performances artistiques en établissements ou à domicile, les animations et tout ce qui fait appel à l’expression de soi, ne sont pas des actions extérieure aux soins, mais se trouve au cœur de la démarche thérapeutique.
Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle
En introduisant une conférence pour les bibliothèques de Rouen, le 16 mai 2009 bibliothèque Saint-Sever, sur « le Dialogue des Ages » nous avons cité ce mot d’Amadou Ampathé Ba, ethnologue malien né en 1900 et mort en 1991 « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». L’intergénération est bien une nouvelle discipline née des victoires de la vie.
Eric Donfu
3 février 2010.
(Lire aussi les deux premières parties « Une intergénération réussie est toujours créative » et « Quels publics ».)
[1] La table ronde co-organisée par le Forum-Nivillac et l’ADDAV56 dans le cadre du festival Promn’ons nous, est suivie le 10 février au matin par une autre table ronde sur le même thème co-organisée par le Strapontin de Pont-Scorff, l’Hôpital de Port Louis et l’ADDAV56 à l’hôpital de Port Louis (56).
[1] Eric Donfu, sociologue français né en 1961. Président de DRS Dialogues et Relations Sociales, un atelier d’études sur les transformations de la société contemporaine, conférencier, auteur notamment de Oh Mamie Boom (éditions Jacob Duvernet, 2007) , chargé de cours à l’université de Paris VII.
[1] Un grand merci à l’ADDAV 56 , Anne Sophie Billard et Catherine Bargudoni notamment qui ont rendu cette manifestation possible. A « Ancre-Réseau jeune public en Bretagne » et à Yan Laudrain, directeur du CCAS/Logement Foyer de Nivillac. Et enfin merci au directeur du forum Nivillac Frédéric VASSE, et à tous les collaborateurs qui ont œuvrés au bon déroulement de cette journée du 3 février.
[i] Rubens Pierre Paul (1577-1640) La vieille au brasero Vers 1616/18 (C) BPK, Berlin, Dist RMN / Jürgen Karpinski 17e siècle chêne (bois), huile sur boisHauteur : 1.160 m.Longueur : 0.920 m. Localisation : Allemagne, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, Staatliche Kunstsammlungen
[ii] Lire à ce sujet le livre « Le Dialogue des Ages » Histoires de bien vieillir. Pierre Guillet, préface de Catherine Dolto, Gallimard, Paris, 2007.
[...] Mais voyez-vous tous ces objets désuets qui, selon vous, encombrent ma cuisine, sont en fait pour moi des amis. Ma main reconnaît leur poids, leur matière, leur maniement : bref, ils me rassurent. Pouvez-vous imaginer, enfants de la société du jetable que vous êtes, que de tout mon matériel culinaire, ce que je préfère c’est l’ouvre-boîte « crapahuteur » que nous utilisions votre grand-père et moi pour le pique-nique ?
Pour mes soixante-quatorze ans, j’ai bénéficié d’un robot magique, pourvu d’innombrables accessoires, « pour faire une purée bien lisse » m’avez-vous dit. Etes-vous sûrs que c’est ainsi que je l’aime ? [...]
Lettre à... une aide-soignante,
C’est à toi, aide-soignante, que je choisis d’adresser ce message. Pardonne ce tutoiement que j’ai souhaité utiliser, mais comprends qu’en d’autres temps, tu aurais pu être ma petite-fille, ou mon petit-fils, et ce dont je voudrais te parler me paraît tellement important. Car il s’agit bien d’amour. Non, ne dis rien, ne pense rien, écoute simplement [...]
Lettre à... mes p’tits bonheurs,
[...] Et puis, je me suis enhardie à fumer ma cigarette du matin après le café, toute seule, sur ma chaise sur le balcon : mon premier petit bonheur du jour. Évidemment, ce n’est pas passé inaperçu ! Un jour, une équipe sympathique est venue me chercher alors qu’ils mangeaient dehors sous le kiosque. En fumant ma cigarette, j’ai profité de leur présence et de leur joie de vivre. Gros bonheur du jour ! Je me souviens du matin de mon anniversaire, quand j’ai ouvert les yeux, toute une équipe autour de mon lit, avec un plateau fleuri, des cadeaux. C’était chaleureux, j’étais chez moi. Et en cadeau : un petit cendrier !
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