Artiste à vendre
Indépendance et autonomie avérées de la création artistique ? Vaste question... Quand l’artiste contemporain se confond avec le « fou du roi ».
Ces éléments concernant l’indépendance de la création vont de l’impératif matériel
et financier, qui pèse sur toute structure culturelle, à la tendance
politique, pas systématique il est vrai, d’utiliser la culture à des fins de
communication plutôt qu’à celles visant à émanciper les « consommateurs » et à
l’élévation des esprits.
Malraux l’initiateur qui y croyait, Lang,
plus stratège, et leurs amis...
Or, cette crise de l’autorité dont il est
souvent question pourrait faire penser que l’État cherche à asseoir son
autorité perdue et, donc, sa légitimité, par autre chose. Cela peut se faire
par la force, sauf qu’on n’est plus en démocratie. Ce peut être également par
d’autres subterfuges dont la manipulation de l’opinion pourrait être le
contournement de tendances « totalitaristes ». Et les méthodes sont
variées et quelque peu machiaveliennes.
Manipulation ? Voici donc l’artiste au
centre de stratégies qui, dans son activité créatrice, est tenu, pour se faire
une place dans l’institution, d’éviter de se montrer trop subversif ou trop
critique ou trop éloigné du principe de réalité, des instances normatives, du
goût du peuple, en somme, du pouvoir. Art et pouvoir.
La création artistique se trouve en
demeure de répondre au cahier des charges de la fabrication du lien social.
Mais est-ce là le rôle du créateur ? Car si la création artistique accepte de
ne créer que ce qui se range dans les cadres définis d’un certain réalisme
politique et social (qui permet et autorise de rêver d’un certaine manière, et
pas d’une autre, à travers les « illusions » offertes par l’art), elle oublie
que, comme création, elle est créatrice de mondes et de réalités à venir (pas
forcément à réaliser) dont le propre se définit dans l’émancipation et dans le
refus de tout modèle imposé. Eloge « deuleuzien » des arts libres et libérés...
Car, en effet, la politique culturelle est
aussi une politique et, à ce titre, elle est pragmatique. La création qui s’y
plie se vide alors de son souffle vital, de sa respiration. Elle perd sa
capacité de résistance, et, allons-y, de sa capacité de résistance à la mort.
Quel est l’avenir de la création dans ces
conditions ?
La proximité plus grande des élus et des
projets culturels dans la ville accroît l’interdépendance des impératifs
électoraux et des choix esthétiques. Le créateur a besoin de moyens dont
l’octroi subventionnaire par les pouvoirs locaux n’est jamais sans parti pris.
Il s’agit bien d’une forme complexe, subtile, de totalitarisme, discret et de
proximité !
Par ailleurs, l’instrumentalisation
culturelle, du fait de ces rapprochements hasardeux pourrait être plus grande
encore. La culture-vitrine d’un programme électoral ou d’un élu est toujours
espérée parce que cela est une légitimation d’idées subverties par les
promesses de subventions. Et le phénomène de médiatisation, pas très neuf, ne
fait qu’accroître cette tendance.
C’est là-dessus qu’il faut terminer, en
effet. Avec Tocqueville, loin d’être l’intellectuel le plus révolutionnaire, le
bonhomme ajoute ce point d’interrogation sur ce qu’il appelle le « despotisme
doux ». Il décrit, tout simplement, un monde qui ressemble fort au nôtre. Après
qu’il eut décrit le nouveau « Léviathan » des temps modernes (pouvoir immense
et tutélaire qui, en somme, phagocyterait l’esprit critique du quidam et au
passage vidant l’art de sa substance) qui veille paternellement sur chacun d’entre
nous, on ne peut s’empêcher de penser au type de société qui se construit ici.
Ce passage montre simplement vers quoi
peut aboutir la « crise de l’autorité », c’est-à-dire la crise de légitimation
citoyenne du pouvoir politique, autorité conçue comme fonds commun, garante de
la liberté et notamment de liberté créatrice. Voilà le glissement vers un
autoritarisme qui ne dit pas son nom, qui ne se voit pas, mais qui, à travers
la toute-puissance du « loisir » et de son extension à l’appréhension de la
création artistique bride jusqu’à la créativité et sa capacité à résister.
Notre époque serait-elle celle de cette mort annoncée de l’art ?
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