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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Au café de la gare, le Far West au XX° siècle

Au café de la gare, le Far West au XX° siècle

Avec sa pièce écrite dans les années 80, « la mort le moi le noeud », Sotha explore un monde imaginaire pas si éloigné de la réalité.

Il y a deux semaines environ, je cherchai un spectacle à Paris sur internet, quand je suis tombé sur une vidéo de promo pour les 40 ans du Café de la Gare. Pour moi comme pour tous les accros à l’humour des années 70-80, ce nom résonne avec une vibration particulière. C’était le théâtre des Coluche, Dewaere, Miou-Miou, Lamotte et Manesse… Après quelques clics je trouve enfin un spectacle à aller voir. Une pièce de théâtre au titre bucolique « La mort le moi le nœud ». Tout d’abord un peu troublé par ce titre, j’ai abandonné l’idée, préférant aller au cinéma.

Quelques jours plus tard, j’ai appris que Sotha jouait elle-même dans sa pièce pour une semaine en remplacement de la comédienne principale. Tout se fait simplement dans ce lieu, rare et digne héritier de l’esprit de Molière. Cela a suffi pour me remotiver. Cette artiste de talent, qui anime le café de la gare depuis 40 ans, a composé cet objet théâtral inclassable, il y a 25 ans. Les jeux de mots et les réparties estampillés Far West, y fraient avec des réflexions plus subtiles et des citations de Verlaine ou de Levi Strauss. Le parti pris d’un Far Ouest à l’époque nucléaire, peut-être perçu comme une illustration des ressorts psychologiques qui ont contribué à pérenniser la mythologie des pionniers. Ces légendes rapportées et répétées constituent une sorte de réservoir de souvenirs fantasmés, que chaque américain porte plus ou moins profondément en lui. Le rapport psychologique entretenu avec le mythe de ses ancêtres, crée un genre de « surmoi » qui inhibe et oblige le cow-boy à aller de l’avant, à refuser l’idée même de l’échec. Il s’agit-là, bien entendu, d’une lecture personnelle de la pièce. Dans celle-ci, Sotha, beaucoup plus fine que moi, ne fait que suggérer ce type de réflexions. On passe le plus clair de son temps à rire, non à commettre des analyses géopolitiques saupoudrées de psychanalyse.

« Une comédie-western écologique et sauvage »

La file d’attente est relativement longue, mais ça va vite, tout le monde s’y met. Avant de rentrer dans la salle, mon billet est déchiré par –je le reconnais ensuite – Philippe Manesse qui interprète Archibald, propriétaire terrien cynique et brutal. Chef de file du clan Keller, opposé au clan Ruksdule depuis si longtemps que nul ne se souvient plus de l’origine du litige. Ces deux clans « ennemis » n’en partagent pas moins leur vie quotidienne, leur repas et leurs soucis de famille. Les premières scènes d’exposition créent une connivence avec les acteurs. Le décor impressionne par son apparente authenticité. Habilement aménagée, la scène peut ainsi représenter plusieurs actions simultanément : les dialogues, les enjeux et les situations s’entremêlent, créant un décalage hilarant, que les acteurs font durer selon la réaction du public.

Les repas pris en commun donnent lieu à d’interminables conversations, ponctuées de lazzis, de calembours, de mimiques hilarantes et de ces onomatopées marmonnées qui causent un fou rire immédiat, et dont Philippe Manesse use tel un orfèvre. Son entrée en scène, tardive, tel Tartuffe, fait basculer la pièce dans une dimension burlesque bienvenue, tant la vie quotidienne et les dangers de ce Far West contemporain, sont durs à vivre. Sur la brèche, les personnages ont recours au cynisme ou à l’excès dans le clan Keller, à l’insouciance ou à l’oubli pour les filles Ruksdule, à l’opposé de leur mère, femme de l’ouest obstinée qui ne lâche rien ; ainsi ils survivent dans un univers hostile, voire inhumain. La dérision est le point commun entre les acteurs, leurs personnages, et le public, qui rie de bon cœur.

Dans cette province fantastique, où les rapports sont bien rodés et où la place de chacun est faite, trois gars de la société de chemin de fer débarquent dans le but de résoudre par tous les moyens une affaire avec madame Ruksdule. Celle-ci fait preuve de son fameux tempérament… 

Les neuf acteurs démontrent un sens de l’équilibre, une écoute et une implication générale grâce auxquels ils peuvent évoluer ensemble en scène, enchainant les quiproquos, les réparties à retenir et les blagues à froid que l’on comprend quelques secondes plus tard.

C’est encore Sotha, metteure en scène, qui en parle le mieux :

« Tous les acteurs qui jouent dans ce spectacle

ont une carrière particulièrement copieuse,

au théâtre, au cinéma, et/ou à la télévision.

Ils sont tous acteurs, auteurs, metteurs en scène,

ils sont, comme on dit, « dans le métier »,

certains parfois depuis l’enfance.

Mon plus gros travail en tant que metteur en scène

a été de les choisir,

et mon plus grand plaisir de les réunir.

Ils ont déjà tous travaillé ensemble,

ils s’aiment et s’estiment mutuellement.

Il leur a suffi ensuite d’apprendre le texte,

et tout ce que j’attendais d’eux est sorti.

Vous donner leurs curriculums serait donc fastidieux,

répétitif et sans grand intérêt, sinon pour calculer leur retraite,

qui n’est pas pour demain. »

Interview de Sotha :

Le spectacle terminé, alors que les lumières de la salle se rallument, la salle commence à se vider. Les mines sont réjouies : le gang du café de la gare a encore frappé…

Je sors avec l’idée de fumer une cigarette ; mais Sotha offre du gaspacho aux spectateurs. Il fait tellement chaud que le tabac peut attendre. Les acteurs sortent les uns après les autres. Les blagues fusent. Le spectacle continue en quelque sorte… C’est le moment de dire ce que l’on a pensé du spectacle. On peut dire « bravo » aux acteurs -personne ne leur dit « c’était nul ! ». C’était une bonne soirée pour tout le monde visiblement.

Evidemment si ce spectacle ne m’avait pas plu je n’aurai même pas eu l’idée d’en faire la critique. Spectateur du théâtre privé comme du théâtre public parisien depuis des années, je me permets simplement d’en souligner la qualité. C’est suffisamment rare.

 Visite du théâtre en musique !


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