« Au-delà » : un Clint en toute petite forme

J’avoue être d’ordinaire un inconditionnel de Clint Eastwood, tant l’acteur que le cinéaste, mais là, avec son tout dernier film (Au-delà), force est de constater qu’il ne signe pas son meilleur film, loin de là. On assiste pendant 2h10 à un récit à tiroirs (trois histoires entremêlées) poussif, à l’émotion bien souvent téléguidée. Bien sûr, et parce qu’on n’a pas affaire à un manchot mais à un cinéaste de 1er plan, le film ne manque pas de séquences intéressantes et émouvantes (attention spoilers) : le tsunami dévastateur ; le jeu de séduction dans le cours de cuisine italienne ; la rencontre du collégien avec son frère aîné dans l’au-delà via le médium George Lonegan (Matt Damon) ; les retrouvailles finales entre Lonegan et Marie Lelay (Cécile de France) dans une galerie marchande de Londres. Bien sûr également, on saura gré à Clint, en cinéaste témoin de son temps, de traiter d’événements internationaux majeurs de ces dernières années (le tsunami de Phuket du 26 décembre 2004, les attentats terroristes en juillet 2005 dans le métro londonien) et d’en faire une fiction contemporaine qui puisse interpeller les spectateurs d’aujourd’hui. Bien sûr enfin, on peut reconnaître à Eastwood la capacité et le courage de traiter, au sein d’un film de genre (le mélodrame), d’un grand thème philosophique - la mort et ce qu’il y a après - sans chercher à nous asséner des vérités toutes faites. Comme à son habitude, il se montre humble par rapport à son sujet, ne se faisant ni gourou ni prophète, tout en mettant en garde contre les dangers du Net et le charlatanisme ésotérico-populiste. On reconnaît bien là le cinéaste-enquêteur qui brasse de grands récits sans avoir peur des clichés pour en savoir davantage sur les vérités de l’être humain ; on a ainsi en mémoire une phrase clé du cinéma eastwoodien (prononcée en guise d’état d’esprit ou de mise en garde par Jim Williams (K. Spacey) dans Minuit dans le jardin du bien et du mal, 1997) : « Mon vieux, la vérité, comme l’art, est dans le regard de celui qui la contemple. Croyez ce que vous déciderez, et je croirai ce que je sais. » Mais malgré ces quelques qualités à saluer (témoin de son temps, courage, humilité), doit-on pour autant en conclure qu’on a affaire avec Au-delà à un grand film ? Pas sûr...
Lors de la projection du film en salle obscure, on est un peu en peine de se dire qu’il y a bien un grand cinéaste aux commandes de ce gros téléfilm globe-trotter. Certes, on voyage (de San Francisco à Paris via Londres et autres) : le film présente manifestement une amplitude géographique mais, de là à ce que celle-ci le dote en parallèle d’une amplitude narrative, cela n’est pas des plus probants. Déjà, avant même de voir le film, avouons que l’affiche française, avec sa lumière surnaturelle spielbergienne, ses visages stéréotypés et la silhouette du jeune garçon se détachant sur un fond d’écran sulpicien, est vraiment sujette à caution, ne laissant guère augurer du meilleur. Et la phrase d’accroche (« Touchés par la mort. Changés pour la vie. ») nous fait craindre une histoire digne d’une production M6. Hélas, lorsqu’on voit le film, la guimauve, par moments, se confirme. Concernant l’au-delà, l’expérience de la mort imminente, Eastwood se contente classiquement d’effets numériques ô combien attendus. Des flashs à « l’effet fromage blanc » viennent manger les silhouettes : ils viennent nous dire, au cas où on n’aurait pas compris - « attention, vous êtes bien dans l’au-delà avec Marie Lelay ». Ils ont la subtilité graphique de panneaux de signalisation, c’est dire ! Soyons francs, ça fait un peu peine à voir, d’autant plus lorsqu’on a en souvenir la maestria visuelle, quoiqu’un tantinet putassière, d’un Gaspar Noé pour nous décrire l’au-delà, autrement dit l’activité imaginée après la mort, dans son inclassable Enter the void. A la limite, on préfère lorsqu’Eastwood fait décrire les phénomènes surnaturels de la vie après la mort (lumière blanche, vision à 360°, don d’ubiquité, omniscience) par le Dr Rousseau/Marthe Keller car, comme bien souvent au cinéma, suggestion vaut mieux que monstration pataude et mièvre ; et on s’épargne ainsi des effets visuels d’un goût douteux.
Pourtant, malgré ces faiblesses de taille, et certainement parce que Clint Eastwood est une icône, une certaine presse suit paresseusement. Les phrases dithyrambiques, aux allures de publi-reportages, pleuvent : « Clint Eastwood nous émeut encore une fois… Fantastique » (Figaro Magazine), « Magistral » (
Bref, j’aime trop Clint Eastwood pour tirer à boulets rouges sur Au-delà : un cinéaste, même grand, ne signe pas toujours que des grands films, et c’est peut-être d’ailleurs ce qui rend l’artiste humain, faillible et au final attachant. Aussi, je préfère ne point trop m’attarder sur une image crépusculaire eastwoodienne vue et revue ainsi que sur des images par moments dignes de téléfilms labellisés M6, cf. toutes les séquences de brainstorming et de plateaux TV dans les locaux de France 2 - soit dit en passant, la description américaine de Mitterrand - « vieux politicien coureur et malhonnête » - est amusante ! Je ne m’attarderai pas non plus sur un jeu d’acteurs pas toujours convaincant. Autant Matt Damon, sobre, semble habité par son rôle d’ouvrier travaillé par ses connexions avec les défunts. Autant Cécile de France, campant la journaliste frenchy, n’est pas toujours très crédible, elle est d’ailleurs souvent en passe de se faire piquer la vedette par une Bryce Dallas Howard qu’on dirait, elle, tout droit sortie des histoires fantastiques de Shyamalan (Le Village,
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