Jake Sully, un ancien marine paralysé des jambes, est recruté par une entreprise qui s’intéresse de près à un précieux minerai se trouvant sur une planète luxuriante mais hautement toxique, Pandora, habitée par les Na’vi. Grâce à un corps hybride, un avatar (corps contrôlé à distance constitué à partir d’ADN humain mélangé à celui des autochtones), ce soldat infiltre un clan de Na’vi, faisant obstacle à l’exploitation de ce fameux « or bleu ». Mais bientôt, la Nature, face à la cupidité des hommes, trouve un passage, reprend ses droits et, alors que les marines high-tech et les extra-terrestres proches de la nature se livrent à une guerre intergalactique sans merci, le cheval de Troie qu’est Jake Sully rencontre l’amour auprès de la jolie Neytiri, une très belle Na’vi…
« Entrez dans le monde Avatar » nous dit la phrase d’accroche de l’affiche française. « Une expérience magique, envoûtante et sensorielle » nous dit la publicité vendant le jeu vidéo adapté du film de James Cameron. Le dernier film de ce cinéaste gros calibre (Aliens, Terminator 1 & 2, Abyss, True Lies, Titanic) est l’objet des excès en tous genres et de tous les superlatifs : on sait qu’il a coûté 300 millions de $, qu’il fait un carton au box-office hexagonal (6 millions d’entrées en quelques jours) et qu’il avance, telle une lame de fond qui emporte tout sur son passage, dans le box-office américain (déjà 250 millions de $ engrangés, avec un démarrage encore plus fort que Titanic) ; « le truc le plus incroyable que j’aie jamais vu » (Steven Soderbergh à une avant-première), « titanesque », « insubmersible », « abracadabrantesque », peut-on lire ici et là dans la presse, et puisqu’on n’a pas envie de rester en reste quant à cette surenchère langagière qui cherche à se hisser aussi haut que les ambitions pantagruéliques du blockbuster, on a envie de qualifier ce film d’… avataresque. Je m’explique. Puisque ce film – et ceci n’est pas un scoop – est suffisamment singulier pour s’imposer telle la force de l’évidence (un monde imaginaire créé de toutes pièces, enfin à quelques nuances près), il est fort possible qu’à l’avenir tout film qui s’aventurera dans les contrées bio-écolo-chlorophylles d’Avatar pourra être qualifié d’« avataresque », adjectif employé qui invitera ainsi à soupçonner l’objet en question d’empiéter gravement sur les plates-bandes d’un tel film-mastodonte risquant de faire école ; d’autant plus que, vu tout le merchandising et le marketing mis en branle par Cameron & Cie, une ou des suites sont fort possibles, voire inévitables.
Alors, allons droit au but, il est comment Avatar ? Face au succès fulgurant du film et à la ferveur populaire qu’il entraîne, il serait de bon ton de le regarder de haut, de jouer au filmologue patenté ou au snob à la bouche pincée et de l’accuser d’être faussement révolutionnaire (la 3D existe depuis belle lurette au cinéma), d’être trop américain, trop coûteux, trop naïf quant à sa vision fleur bleue et rousseauiste du Bon Sauvage et d’être un énième film hollywoodien se donnant une bonne conscience de gauche - non à la loi du profit - en surfant sur l’air (victimaire) du temps : poids de la culpabilité écologique et libérale : on a vu ça récemment dans les pensums filmiques, à l’hygiénisme moralisateur pesant, signés Arthus-Bertrand, Hulot & Co. Certes, ces accusations sont loin d’être erronées, et il y en aurait bien d’autres encore à formuler (la critique est aisée lorsqu’il s’agit de tirer à boulets rouges sur un blockbuster US attendu depuis des lustres), mais force est de constater qu’Avatar a une puissance de frappe filmique et lyrique indéniable. Cameron est un cinéaste hors pair. Maîtrisant parfaitement tous les rouages de la fabrication d’un long métrage, son film de 2h50 se suit sans ennui, il combine tout ce que sait faire Cameron : la création d’un univers (Aliens), d’extra-terrestres (Abyss), des scènes de combat dantesques (Terminator), la monstration des failles du facteur humain ou encore une histoire d’amour impossible (Titanic). Et, de ce mix, naît pourtant un continuum crédible, ce qui n’était pas gagné, tant mieux. La découverte de Pandora, planète fourmillant de grands oiseaux préhistoriques, de méduses volantes translucides, de bêtes féroces à la peau dure de rhinocéros et de plantes exotiques rétractiles, est un pur plaisir pour la rétine, c’est le meilleur du film. Puisque Cameron est dans la logique du gros film qui cherche à épater la galerie, il répond à son cahier des charges et remplit donc son contrat haut la main. Au rayon imagerie numérique, Avatar réserve de belles surprises. Tout ce qui concerne les envolées aériennes (le domptage d’oiseaux géants à la Jurassic Park, les scènes d’action de la bataille finale) étant, selon moi, le plus épatant. On décolle vraiment et, malicieusement, son film, cultivant les avatars (à savoir des personnages représentant des utilisateurs sur le Net, dans les jeux vidéo et au cinéma - ou de l’art de s’identifier à un héros de film), vient redoubler à l’écran l’expérience même du film et de la projection en salle – avouons-le, on vient aussi au cinéma pour ouvrir la boîte de Pandore et pour aller outre les mornes plaines du quotidien. Et, comme Jake (excellent Sam Worthington), on préfère se plonger dans l’inquiétante étrangeté de Pandora plutôt que d’avoir à se taper l’esprit rationaliste, et sans mystère, de marines décérébrés.
Formidable directeur d’acteurs, excellent storyteller, cinéaste démiurge ayant la capacité de créer un monde fascinant (on se souvient encore de l’apocalypse futuriste flippant de la franchise Terminator, de la planète LV-426 infestée d’Aliens ou encore du bleu nuit aquatique et hallucinogène d’Abyss), Cameron, via Avatar, n’en reste pas qu’à l’image illusionniste séductrice, la forme perspectiviste - ou de l’art de creuser l’espace de la toile blanche - s’allie à un fond qui s’inscrit au carrefour des mythes. Comme un Seigneur des Anneaux ou la saga Star Wars qui parvenaient à revisiter des mythes anciens (par exemple pour La Guerre des étoiles la quête d’Ulysse dans L’Odyssée ou le sabre-laser de Luke Skywalker comme dérivé de l’épée Excalibur), Avatar tire sa force (mais aussi sa faiblesse car certains clichés sont parfois au bord du risible) du recours au mythologique : c’est un western intergalactique, avec Neytiri en Pocahontas, les marines étant ici les pauvres hommes blancs qui tuent les animaux et cherchent à posséder la terre pendant que les Na’vi, eux, à l’écoute de la nature (pas de propriété sur la terre et les animaux sont égaux aux humains et aux extra-terrestres), incarnent les Indiens face à l’Amérique blanche crapoteuse. Ils sont ceux qu’on a dépossédés de leur terre, manu militari. Et ceux qu’on a honteusement exterminés au napalm : la machine de guerre qu’est le chef des marines dans Avatar rappelant furieusement le lieutenant-colonel Kilgore d’Apocalypse Now. Ainsi, Avatar se rapproche d’un Little Big Man dans le cyberespace, d’un Danse avec les Schtroumpfs (variante possible d’un Danse avec les loups !) et surtout du Nouveau Monde (2006). Cependant, moins onirique et délirant qu’Apocalypse Now (je pense aux dérives hallucinantes de Kurtz à la frontière du Cambodge), nettement moins poétique et mystérieux que le sublime New World du chamane Malick, Avatar, dans sa description de la civilisation très ancienne des Na’vi, n’évite pas par moments le niaiseux et le kitsch New Age quelque peu embarrassant. Ses Indiens de Montmartre peinturlurés et emplumés, lorsqu’ils dansent au coin du « feu » de l’Arbre des Ames, font un peu Heroic Fantasy de BD passe-partout.
Cherchant à montrer un monde inventé cohérent (et Cameron y arrive, c’est évident), celui-ci en vient à surligner, à surcharger la vision panthéiste et animiste des Na’vi au point de leur enlever une certaine opacité – ce que ne manquait pas de faire Malick en truffant son Nouveau Monde de zones d’ombre, de glissements contemplatifs et de flottements métaphysiques fascinants. A force de viser le film fédérateur et intergénérationnel qui brasse très large, Cameron livre avec Avatar un film un peu trop manichéen, un peu trop politiquement correct, un peu trop balisé. Il lui manque un certain mystère, voire même une certaine dose d’humour libérateur – alors que Cameron, d’habitude, via Terminator, True Lies et autres Aliens, sait habilement le distiller. Dommage. Mais c’est peut-être avec un Avatar 2, et maintenant que le décor est bien planté et connu de tous, que Cameron se lâchera plus complètement. A suivre donc. Au demeurant, Avatar reste tout de même un objet filmique hautement réussi (du 4 sur 5 pour moi), qui donne envie d’être revu et qui sait faire appel à l’enfant, petit ou grand, qui sommeille en nous - « Ce film a été fait pour l’ado de 14 ans qui vit en moi » (Cameron) - sans jamais nous prendre pour des cons ou niveler l’enfance par le bas ; ainsi, et pour ne prendre qu’un exemple actuel, il y a selon moi un abîme entre les ambitions filmiques et narratives d’Avatar et la pauvreté visuelle et intellectuelle d’Arthur au pays des Minimoys de l’écurie Besson.