Avec James Ellroy, « Au bout de la nuit » du polar américain

Je veux bien aller Au bout de la nuit californienne avec Keanu et Forest forever. Rien que de voir Keanu Reeves, bien étoffé depuis Point Break et Speed (légèrement bodybuildé même !), en train de siphonner des mignonnettes de vodka à tire-larigot dans ce polar poisseux peut suffire à mon bonheur purement scopique. Sacré savoir-faire de David Ayer (Training Day, Bad Times, S.W.A.T. Unité d’élite) pour infiltrer et nous plonger illico presto dans l’Ad Vice, unité spécialisée de
La scène de gros durs Blacks, cagoulés et armés jusqu’aux dents, canardant sec dans une supérette style grindhouse, est impressionnante au niveau balistique : on en prend plein la tronche, à fond les manettes - avec son quadrillage de caméras de vidéosurveillance, on se croirait dans un jeu vidéo hyperréaliste style Grand Theft Auto 4. Ambiance dark side à souhait, c’est la vie d’un flic actuel à Los Angeles, aux méthodes expéditives, qui nous est montrée cash, sur fond de total western, de rues glauques, de flics ripoux, d’assassinats sanglants, de gangs, de culture tribale, de racisme affiché plein pot et de communautés (wasp, blacks, asiates, latinos) emmaillotées dans les tréfonds de l’âme humaine – par exemple, il suffit de voir comment, au début, Tom Ludlow dézingue à toute berzingue, sans peur ni reproche, un repaire de malfrats asiatiques bardés d’armes à feu, ça dépote sec ! On sent bien que ce film ténébreux, tendu et ultra-nerveux est travaillé par les tensions communautaires exacerbées par le Los Angeles post-émeutes de 1992. Dans cette plongée à la noirceur absolue dans le malaise de l’Amérique d’aujourd’hui, on reconnaît bien là la patte sombre du James Ellroy de Dark Blue, dieu vivant du roman noir, grand amateur d’air vicié et de ville moite gangrenée de l’intérieur.
Avec Au bout de la nuit (2008), notre maître du polar crépusculaire (né en 1948 à L.A.) s’essaie pour la première fois à l’écriture de scénario, à partir d’une idée originale. Comme d’habitude, c’est « l’humain trop humain » qu’il nous montre ici, en n’oubliant point que « L’homme est un loup pour l’homme » (Hobbes), et les basses bourdonnantes de la bande-son (Graeme Revell) vrombissant comme un moteur - ou du (gros) son (qui tue) considéré comme une arme - participent grandement de ce désenchantement généralisé. Alors, Los Angeles brûle-t-il ? En tout cas, le moins que l’on puisse dire, c’est que ça dégaine facile. Des lampes torches aveuglantes, voire humiliantes, dévisagent et tracent non-stop les oiseaux de nuit bling-bling, des fusils mitrailleurs pétaradent en plein L.A.(W ?), du côté des quartiers malfamés de Downtown. L.A,
Son poulain Tom Ludlow est un flic U$ violent, baraqué, menteur, limite raciste et imbibé d’alcool, du soir au matin. Addict à 200 %. Désabusé. Dantesque. Aux méthodes de voyou. En roue libre. Ses gunfights freestyle, qui ne sont pas sans rappeler le non politiquement correct Dirty Harry, font ô combien jaser ses collègues, dont certains infiltrés, un max, dans la matrice nébuleuse du Mal. On a tous nos secrets (de légitime) défense. Ellroyien à souhait, « le Mal engendre le Mal », « tout ce que j’approche meurt », « on est tous des méchants y compris les cops », ça ne fait pas dans la dentelle, certes on connaît cette chanson du Dog par cœur (Cop, L.A. Confidential, Black Dahlia…), mais ce polar urbain est suffisamment bien troussé et mené à un rythme d’enfer (des coups d’accélérations formelles et narratives assez réjouissants, sur fond de rap, de tambours battants et de hip-hop qui cognent) pour nous faire dire qu’un polar américain Black&White, avec des stars de gros calibre (Forest Whitaker & Keanu Reeves), eh bien ça fait vraiment son effet (spécial) : haut les cœurs et… les flingues, quoi ! Ça fera du 2 étoiles (de shérif !) sur 4 pour moi. On a de l’humour aussi : à un moment, un gaillard Black, à moitié endormi, verse sa canette de bière dans ses corn-flakes du matin, éclat de rire général de la salle UGC Odéon (Paris) - j’aime ça, un certain flegme dans le cinéma américain contemporain. Ouais, par Toutatis, ça nous change grave de L’Inspecteur Derrick germanique (je sais, facile) ainsi que, chez nous, de Maigret et des cuirs vintage à la papa d’Olivier Marchal !
Documents joints à cet article



3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON