Avital Ronell : l’art du mixage
Focus sur une philosophe américaine méconnue qui commence à ne plus l'être tant que ça au vue de la puissance de sa pensée qui commence à se répandre en Europe.
Avital mixe à merveille les concepts et l'histoire de la philosophie pour une nourriture de l'esprit pour le moins dynamisante. Quoi d'étonnant pour une philosophe nietzschéenne, on l'imagine aisément reprendre la célèbre citation du philosophe de Bâle et affirmer : "je ne suis pas une femme, je suis de la dynamite !"
L’une des particularité de cette philosophe américaine, disciple et amie de Jacques Derrida c’est son talent pour mélanger différentes disciplines, genres et montrer le lien caché existant.
Entre langage urbain et conceptuel, entre philosophie, psychanalyse et littérature ou encore entre science et poésie et toujours entre différentes langues, ce dernier point est d’ailleurs un trait commun à tous les philosophes de la fameuse "French Theory".
Et ce serait un euphémisme que de dire que le résultat est réussi ou probant.
Elle se considère volontiers elle-même comme « voyou » (qui est aussi le titre d’un des ouvrages de Derrida) et commence à être largement reconnue sur la scène philosophique par ses ouvrages aussi étonnants que stimulants dont le dernier en liste est Loser sons, (les fils perdus), elle se penche sur les destinées d’Oussama Ben Laden, de Kafka ou encore de Georges W. Bush en entremêlant différents textes et analysant des faits politiques d’une éminente actualité dans une intuition souvent confondante d’audace et de génialité critique, on ne s'en étonnera pas pour une germaniste nietzchéenne pour qui les théories de Walter Benjamin n'ont pas de secrets.
Ses précédents ouvrages en porte la marque : Test Drive (1) analysait la dimension d’épreuve de l’antiquité à nos jours en faisant moult détours savoureux, Addict : fixions et narcotextes (2) traitait de la question de la drogue depuis Madame Bovary en passant par Freud et allant jusqu’aux les dealers de coke et d’hallucinogènes divers en circulation de nos jours. Enfin Lignes de front (3) entrecroisait avec brio trois destinées bouleversantes : celles de Georges W. Bush, Valérie Solanas et l’ami disparu d'Avital Ronell : Philippe Lacoue-Labarthe.
Cet art du mixage c’est aussi le concept entremêlé à une forme d’écriture de soi sublime empreinte de poésie et offerte dans une générosité intellectuelle mais sans froideur ou mise à distance dont souffre trop d’oeuvres philosophiques de haute volée. Il n’y a qu’à voir ses quelques textes engagés publiés dans L’impossible dernièrement, je pense notamment à celui paru dans celui d’aout sur la gay pride new-yorkaise intitulé poétiquement « rêvez, jeunes filles » .
Enfin l’oeuvre d’Avital signe aussi l’avènement du spectral déjà largement annoncé par Derrida, dans American Philo (4), recueil d’interviews mené par Anne Dufourmantelle dans lequel elle confie qu’en Europe il n’y a plus de lieux hanté mais des personnes hantées par ces nombreux fantômes ; ses textes sont en effet peuplés de ces êtres disparus mais toujours présents qui s’expriment à travers sa plume et de qui elle parle souvent davantage comme de vieux amis intimes que comme des figures illustres de l’histoire de la philosophie dont elle reprend malicieusement les concepts en les réinterprétant à la lumière d’aujourd’hui.
Ainsi quand elle nous confie sur France culture : « j’ai de sacrés gangs dans ma tête » on ne peut que la croire, et on se dit aussi que ce n’est pas nécessairement un mal à la lumière de ce qu’elle en fait !
1 Test drive : La passion de l'épreuve, Stock, 2009
2 Addict : fixions et narcotextes, Bayard, 2009
3 Lignes de front, Stock, 2010
4 American Philo : la philosophie dans tous ses états, Éditions Stock, 2006
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