Bazoches en Morvan
Aux confins du département de l’Yonne, où il vient mourir sur la Nièvre, le village dispersé de Bazoches se niche entre Vézelay et Morvan. Le calcaire impérial de la basilique où fut prêchée la croisade est son tropisme solaire ; le granit sauvage des contreforts, l’ancien « pays perdu » des scouts, est son immémoriale crainte. Point presque central d’un hexagone idéal, pas très loin d’Alésia, Bazoches ne pouvait qu’accueillir le maître des places fortes, Vauban le maréchal, lorsque Louis le Quatorzième l’eut disgracié pour libelle fiscal égalitaire.
On ne conçoit en effet une France en ses frontières, bien protégée des ennemis du dehors, qu’égale en ses prélèvements d’impôts. Scandale pour la noblesse de sang ! Son statut social ne lui faisait-il pas mission de payer de sa personne ? Eût-il fallu en plus payer de son argent ? Servir, oui, se dépouiller, non. Pour ceux qui les ont acquis, les statuts sont gravés dans le marbre et établis pour l’éternité. Croient-ils. La science militaire de Sébastien Le Prestes, seigneur de Vauban, se moquait bien des prétentions sociales. Né pauvre, il devint maréchal par son travail et non point par naissance. Il fut habile durant les 53 sièges qu’il tint. Il fit bâtir selon ses plans 33 places fortes pour établir les frontières et il en répara plus de 300. Les angles des remparts faisaient ricocher les boulets ennemis, déviant la force comme au judo. Disgracié pour crime de lèse statut en 1707, Vauban vint s’établir à Bazoches, château acquis après le siège de Maastricht emporté en 13 jours seulement.
La tentation du désert existe toujours devant les blocages mentaux des groupes sociaux à statut. Si la noblesse « de sang » semble avoir disparu (encore que la revendication ethnique en fasse douter), la noblesse « de grande école » sévit à loisir et l’administration, en ses fiefs, résiste pied à pied à toute remise en cause statutaire, fût-ce pour le bien du pays. Le fossé se creuse donc à nouveau entre les protégés et les précaires, comme hier entre les nobles et les manants. Les travers de la France éternelle hérissée de forteresses aux frontières, peuplée de groupes figés en statuts, impériale de la tête et angoissée du ventre, se retrouve tout entière en ce Bazoches où nous fûmes réunis.
Le château, l’église et les hameaux dispersés composent ce paysage de force tranquille si célèbre par ce qu’il montre des Français. Le château abrita Vauban et surtout, durant ses innombrables campagnes, la Maréchale qui le fit vivre, l’aménagea et l’agrandit de terres. L’église abrite la tombe de Vauban, profanée par les sectaires révolutionnaires, moins son coeur, transporté en 1808 aux Invalides. Les hameaux sont des fermes qui élèvent des boeufs charolais, produisent légumes et confitures.
Le château est construit au XIIe siècle avec vue directe sur Vézelay à dix km. Il a accueilli Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion en route pour la troisième croisade. Quatre tours et un donjon entourent une cour intérieure. Acheté en 1675 par Vauban qui le transforma en garnison militaire avant de s’y retirer, le château fut le berceau de ces études et plans de forteresses qui furent les ancêtres louisquatorziens de la ligne Maginot avant d’être ceux de la Bombe. Les Français aiment à se sentir remparés. Que fait donc le gouvernement ?
Dès janvier 2007 commencera la litanie mémorielle du « comme c’était bien avant ». Le tricentenaire de Vauban va créer agitation culturelle et de marketing politique pour justifier tous ces statuts de fonction publique : expo pour les collèges, docu-fiction télé, pièce de théâtre subventionnée, concert de musique baroque, anniversaire de baptême (mais oui !) le 15 mai 2007 à Saint-Léger Vauban, avec messe oecuménique (PC compris ?), lâcher de ballons, concert, frites et fléchettes, colloque intello sur (tenez-vous bien !) « Vauban et son fort intérieur » (une vraie plongée dans l’inconscient français, cette fois, juste au moment des présidentielles !), randonnées équestres reliant les villes, défilés et fêtes à neuneu en prime, spectacle vivant à Bazoches et marché fermier le 14 juillet (faut garder la tête près du bonnet), soirée cinéma, enfin un autre colloque engageant l’inconscient français : « Vauban et la réforme de l’Etat », le 29 septembre à Corbigny. Y parlera-t-on des impôts ?
L’église dédiée à saint Hilaire date du XIIe siècle mais fut remaniée au XVIe à cause des sectaires huguenots qui l’ont pillée et brûlée. C’est dans la chapelle de saint Sébastien que reposent Vauban, sa femme, sa fille et sa petite-fille. Nef et chevet ont été décorés à la mode néo-gothique chère au XIXe siècle, toute de couleurs et de fioritures. Jeanne d’Arc est célébrée ici en libératrice du royaume de France, guidée par saint Michel à Domrémy, populaire après l’invasion allemande de 1870, canonisée après la Grande Guerre en 1920. Jeanne est la Transgression : femme militaire en société machiste, innocente élue de Dieu, femelle sauvage issue des marches lorraines, telle ces Germaines agressant les Romains une fois les hommes tombés. Rien de tel qu’une révolution sexuelle, spirituelle et vitale pour contrer la rigidité des statuts, sans cesse reconstitués ! La dernière fut connue en 1968 ; à quand la prochaine ?
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