Bézu, combien de jours de deuil ?
La France de Bayrou, de Villiers et Giscard en deuil : André Bézu n’est plus. Quelques jours après l’Adoration de l’abbé Pierre, on peut craindre (espérer ?) de nouvelles obsèques nationales... à la queue leu leu.
Les grands hommes finissent toujours par mourir. L’abbé Pierre tout juste rangé des chiffons, voilà qu’André Bézu, le samaritain de la gaudriole, qui casse sa pipe, seul comme une bouteille vide, sans un pékin pour lui tenir la taille. C’est un peu de Patrick Sébastien qu’on voit partir ainsi, entre la poire socialiste et le fromage de tête de Neuilly, c’est une certaine âme de notre beau pays qui s’échappe, d’un pet même pas de lapin, au pays de ceux qui font peut-être du bruit, mais en silence. André Bézu (disait-on « Dédé » ?), c’était « La Classe », le cultuel rendez-vous de FR3 pendant un septennat, déconnade du dernier rang qui révéla d’immortels talents nommés Palmade, Bigard, Lagaff’, les Vamps, j’en passe, c’est fait exprès. Il faut savoir ne pas s’éterniser.
Mais le grand fait d’arme de ce personnage hors norme, humain en diable, à l’esprit vif comme l’éclair et au sourire espiègle, qui savait parler au cœur de cible des gens et non à leur cerveau étriqué, la grande œuvre de ce Monsieur sans arme, sans plan, sans sous-entendu narquois, restera La queue leu leu, générique comme on n’en fait plus qui en trois quatre notes nous faisait de plain-pied pénétrer l’ambiance si particulière de cette modeste salle de cours qui d’un coup d’un seul savait renvoyer « Le petit théâtre de Bouvard » aux calendes égyptiennes et les œuvres complètes de Michel Leeb aux pyramides grecques. La queue leu leu, c’était notre sauce béarnaise quotidienne, notre Chabichou proustien, une sorte de code secret donnant accès aux plus grosses poilades imaginables, aux pâtés de sable les plus improbables, aux calembours pas encore estampillés Ruquier, aux vacheries de régiment bien grasses, aux extravagances inimaginables en nos temps si obscurs qu’on ose demander des comptes à un hebdomadaire satirique qui se prend du coup pour L’Aurore de Zola. Et tout le monde avale ça, à la queue leu leu. La queue leu leu, c’était encore mieux que le générique de « L’île aux enfants », plus facile à chanter chez Arthur. C’était le symbole d’une certaine liberté d’expression, l’absence totale de censure, une douce période où tout était permis, même de rouler bourré, même de fumer assis, même de baiser sans protection, juste avec sa bite. C’était beau, c’était brillant, c’était Bézu. Ce zouave-là avait même poussé son vice à créer un groupe « Le grand saint germain » (Paris Saint-Germain ?) qui avait « notamment interprété » comme le souligne Le Nouvel Observateur (le notamment est capital) Ali Baba et Moi vouloir du couscous. Ce n’était pas du Bénabar, c’était bien mieux.
Mais loin de se satisfaire des vocalises de derrière le comptoir, Bézu avait aussi sur son CV inscrit le nom de Valéry Giscard d’Estaing, le bouddha de Chamalières, pour l’image duquel il travailla en 1975. C’est Bézu qui conseilla notamment au garde républicain champêtre d’Auvergne de jouer de l’accordéon devant les caméras pour « assouplir son image » comme disent les cons-eillers en communication. L’animal à béret et pompon fut aussi au générique de films couillus comme Les valseuses ou burlesques comme La moutarde me monte au nez ou La course à l’échalote. On le retrouvera plus près de chez nous au menu de l’inquiétant Irréversible en 2002. De quoi peut-être faire taire les mauvaises langues qui se mettraient en tête de prendre l’annonce de sa disparition par-dessus la jambe par-dessus l’épaule et derrière l’oreille pour faire passer cet événement colossal pour la cinquième roue du carrosse de l’actualité.
Oui, Bézu est mort, et oui, c’est un fait divers majeur, au moins aussi important que l’extinction des feux de l’hiver 54 de l’idole de Lambert Wilson. Bézu vaut bien une tente, ou même plusieurs, Canal Saint-Martin ou ailleurs. Il vaut bien quelques commentaires granitiques à la Narcy ou à la Villeneuve ! Au point où on en est ! Autant sortir aussi les grandes pompes (dans ta gueule ?) et les non moins grandes orgues pour accompagner l’idole de personne « dans sa dernière demeure », comme dirait Pernaut.
Non mais, quand même, Bézu ! Un type qui a croisé dans sa vie Depardieu, Dewaere, Blier et Jean-François Dérec ! Vous réalisez ? Jean-François Dérec ! Celui qui « un jour apprit qu’il était juif » et quelques années plus tard vint chez Fogiel raconter ce passionnant moment de son existence qui ne concerne que lui mais qui touche aussi Gérard Miller, le psy de service public, qui a « adoré le livre de Dérec ». Une des meilleures ventes d’ « essais » en librairie. Bézu a connu Dérec, ce génie-là. Avec Bigard, Palmade, El Chato (El Chato !!) autres icônes incomparables qui participent au rayonnement de la France de la région Paca jusqu’au canapé rouge de Michel Drucker. Bézu, c’était un peu le point (dans ta gueule ?) commun, peut-être le trait d’union, de tous ces « univers »-là, de tous ces talents immenses qu’on enterrera, un jour, et qu’on pleurera, longtemps, en DVD et DVD collector.
Alors bien sûr, aujourd’hui, en pleine célébration de l’ascension miraculeuse de François Bayrou, c’n’est pas évident de se recueillir un moment pour saluer la mémoire de Bézu, c’n’est pas évident, en pleine allégresse centriste, de calmer un peu notre euphorie, notre impatience de voir enfin le Béarn chanter à l’Elysée, pour un instant prier, « avoir une pensée » comme on dit, pour tous ceux qui ont connu l’Artiste et qui aujourd’hui sont dans la peine. C’n’est pas évident, mais il faut savoir parfois souffrir, parfois se priver, parfois lire Télérama, parce que tout n’est pas que joie, dans ce monde, et au moment même où l’on oublie un tant soit peu, grâce à l’UDF, les grands dangers du réchauffement climatique ou l’impasse irakienne, eh bien le cruel sonne à la porte, tout de noir vêtu, un béret sur la tête, et il chante :
Tout le monde s’éclate - à la queue leu leu Tout le monde se marre - à la queue leu leu Tout le monde chante - à la queue leu leu Tout le monde danse - à la queue leu leu
Refrain : A... A... A... à la queue leu leu A... A... A... à la queue leu leu A... A... A... à la queue leu leu Tout le monde s’éclate à la queue leu leu
Dans les anniversaires, dans les bals populaires Pour les nouveaux mariés, pour la nouvelle année Même dans les discothèques quand on veut faire la fête Il n’y a rien de plus simple, il suffit de danser au Refrain
Tout l’monde s’amuse à la queue leu leu Tout l’monde chahute à la queue leu leu Tout l’monde s’embrasse à la queue leu leu On fait la fête à la queue leu leu au Refrain
Aux quatre coins de France quand on veut s’amuser Dans les clubs en vacances en Méditerranée Du Nord à la Bretagne et du Sud à l’Espagne Il n’y a rien de plus simple il suffit de danser au Refrain
à la queue leu leu, A la queuleuleu, A la queuleuleu, à la queue leu leu, A...A...A... Tout l’monde s’éclate à la queue leu leu Tout le monde se marre à la queue leu leuTout le monde chante à la queue leu leu Tout le monde danse à la queue leu leu au Refrain
Tout l’monde s’éclate à la queue leu leu Tout le monde se marre à la queue leu leu Tout le monde chante à la queue leu leuTout le monde danse à la queue leu leuau Refrain
Pour paraphraser le royaliste catalan Cali : combien de jours de deuil à la mort de Bézu ?
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