« Brazil » (Terry Gilliam) et moi (et peut-être vous...)
Un point de vue différent sur la morale d’un chef-d’oeuvre de cinéma.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L248xH361/Sam-768db.jpg)
La majorité des cinéphiles connaissent le film Brazil, mais cela ne dispense pas les ignorants du droit d’être informés de l’objet du film. Il décrit les passions et les angoisses de Sam Lowry, un bureaucrate agissant au sein d’une société totalement informatisée, aux deux sens du terme, c’est-à-dire soumise à la technologie et contrainte à la communication. Mais, le but de mon discours ici étant de dénoncer les effets secondaires sur ma propre personne d’un film à grand spectacle, ces néophytes peuvent s’abstenir de lire la suite de cet article, qui se doit de révéler par la suite des détails essentiels de la fin du film afin de garantir la cohérence de son argumentation. J’espère que quelques-uns parmi vous se retrouveront dans mon propos.
Pour faire bref, ce film, qui m’avait
bien enthousiasmé à mes 16 ans, me laisse désormais froid comme une
éponge qu’on vient de sortir du réfrigérateur (j’aime ce qui est propre
et frais). Je croyais adolescent que Sam Lowry était une sorte de héros. J’ai revu ça récemment, ben après quatre ans de fac et de
mise à distance de tout ce qui est possible de mettre à distance, je ne
suis plus d’accord avec la "morale" de ce truc. Les décors demeurent superbes, l’ambiance reste magique, mais il y a un point que je ne peux plus admettre concernant le personnage principal... ou le scénario...
En
fait, c’est surtout la fin que je trouve maintenant complètement déroutante. Si Jonathan Pryce est moins sur les nerfs et s’efface de
l’ordinateur en même temps que sa dulcinée, jamais les policiers ne les retrouvent,
jamais ils ne les tuent, jamais il devient fou. Pour profiter de son
bonheur immédiat avec sa nouvelle femme, il fait les choses trop vite
et se prive de quelque chose de durable en fait, peu important le
contexte autour. Certes, le monde dans Brazil est opprimant, mais ce
n’est pas le plus essentiel. Le plus essentiel, c’est qu’il pousse
les personnages à penser et à agir vite. Si Sam devait se sortir de ce
monde-là, il aurait juste dû traîner les pieds et aller lentement. Ca
lui aurait évité la négligence qu’il commet au moment où il a
objectivement toutes les chances de sortir de ce cauchemar.
Bon,
on va me dire, "ouais c’est un appel à la passion et à l’amour fou gna
gna gna", mais zut quoi... Amour et précipitation ne font jamais bon
ménage et c’est le propre d’une idéologie de la division que de faire croire le contraire. L’amour est le résultat d’une connaissance et celle-ci est un processus long, plein de surprises et d’angoisses. En amour, l’élan le plus passionné est aussi le plus réfléchi.
Bref,
finalement, je ne m’identifie plus au personnage de Sam, je trouve que
c’est simplement un gars un peu idiot et il ne me touche plus. Plus de
spontanéité ne signifie pas forcément plus d’humanité. Le romantisme, le surréalisme, la révolution étudiante de San Francisco ou de Paris relèvent tous d’un même état d’esprit faussement anti-conformiste qui pousse à voir dans la folie un signe de génie et la rend désirable pour la tête encore malformée. Je ne désire pas faire l’apologie de l’attitude opposée qui consiste à s’adapter sans cesse et à être (ou jouer) une coquille creuse, réceptacle de tous les vents de ce monde. Mais il faut bien reconnaître que les obsédés passionnels et les girouettes sans scrupules partagent la même vacuité de corps, étant attachés désespérément à un autre qui fait leur soi.
C’est ce que j’ai fini par comprendre à la révision de ce film. Sam Lowry n’est pas un héros. Il n’est pas désirable d’être fou, de rechercher la spontanéité, de vouloir trouver la vie, alors qu’elle est, là, prête à être changée. Il suffit juste d’un peu de raison, non ?
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