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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > C’est quoi l’art ?

C’est quoi l’art ?

 Si la collection Pinaud, qui occupe aujourd’hui deux bâtiments magnifiques mais très différents à Venise, a quelque chose à affirmer, c’est bien la question, centrale de nos jours, de l’identité de l’art contemporain. Arthur Danto s’amuse de dire « que la beauté, importante pour la vie, ne l’est pas pour l’art ». Soit. Mais il s’agit là d’une définition négative qui ne présuppose certainement pas « que tout ce qui est laid, c’est de l’art ». Pour être, une œuvre d’art, et toujours selon Danto, doit répondre à au moins deux critères quasi obligatoires : elle doit représenter quelque chose, avoir un sens, et ce sens doit être intégré à l’œuvre elle-même et non pas être laissé à l’interprétation. En d’autres termes, le message, peut prendre une forme hideuse à condition qu’elle ne vous laisse aucune échappatoire quand à ce qu’elle veut dire. Je veux bien prendre sur la gueule toutes les horreurs du monde à condition que cela serve à quelque chose, en l’occurrence à un stimulus pour une réflexion à venir. Même si cette réflexion concerne le vide de sens, de perspectives, de projet, d’espoir, etc. Même si cette réflexion me porte vers les impasses de la complexité chaotique, à une paralysie face à l’entropie.

Si certaines œuvres de la collection répondent à ces critères et parfois de manière magistrale, l’ensemble de la collection lévite autour de l’insignifiance, non pas de ce que représentent les œuvres - ce qui serait en soit un message cohérent et révolutionnaire – mais en tant qu’objet en soit. Je veux bien donner un sens subjectif et arbitraire à chacune de ces œuvres, mais elles, que me donnent-elles ? Pour revenir à Arthur Danto, il dit aussi que tourner le dos à la beauté, c’est tourner le dos à la tradition grecque et au concept « ce qui est beau, est vrai ». Il dit même « Si quelqu’un, vers 1964, accrochait les Campbell’s à côté des œuvres de Greco ou de Velasquez cela serait choquant, injuste et sarcastique envers Andy Warhol », tout en reconnaissant à ce dernier d’avoir révolutionné l’art contemporain. A quel prix ? A celui de passer de la peinture à la philosophie, c’est à dire à exiger d’une œuvre d’art d’avoir un sens transcendant, à expliquer le monde, à témoigner au niveau global, à conceptualiser, voir à disparaître en tant que telle.

L’esthétique étant entrée depuis longtemps, avec Kant, dans le domaine de la philosophie pure, deux formes de pensée, l’une picturale, l’autre écrite s’interpénètrent avec leurs handicaps spécifiques : l’abstraction et le linéaire de l’écrit traitant d’esthétique pour l’un, la conceptualisation exigée et qui se doit explicative, ayant perdu sa référence et son savoir faire esthétique pour l’autre. 

Parallèlement, le « critique d’art » pour répondre à cette double évolution se transforme en « philosophe d’art » dès lors qu’il s’occupe d’art contemporain. Ce n’est donc pas un hasard si Arthur Danto qui persiste sur l’importance de l’art contemporain malgré une perte (ou un abandon volontaire) du « savoir faire », situe la « coupure », la métamorphose, au Dadaïsme autour de 1916. « Le mouvement dadaïste se refuse de produire de la beauté pour protester contre la barbarie de la première guerre mondiale » dit-il. « Il ouvre la voie vers des créations laides, voir hideuses ». Certes. Mais comme le surréalisme et le mouvement Cobra, Dada pense sur l’art. Il balaie les conventions, les règles et les canons avec exubérance et humour. Il n’est pas pompeux mais jouissif et même lyrique, onirique. Il invente des nouveaux matériaux, des nouvelles formes, bref, s’il pense le monde (et souvent le réfute), il réfléchît autant sur l’art, sa représentation, sa forme, désarticule, dissèque. Sa recherche n’est pas loin des questionnements formels des maîtres du Quattrocento ou des courants du XIXe aboutissant au fauvisme, au pointillisme, au cubisme. Il n’est pas loin non plus du suprématisme de Malevitch qui, contestant « l’art bourgeois » n’est pas moins fasciné par la notion purement picturale de la fusion des dimensions.

Certes, le geste primaire, l’invasion de l’onirique, le collage et le tract peuvent faire abstraction d’un savoir faire désormais éclaté et se souciant peu du formel : C’est l’héritage surréaliste qui relie Ernst à Basquiat et aux tags, Picasso à Lichtenstein, Giacometti à Richter et Pollock. Cet art là, une chose est sûre, on ne se demande pas « que veut-il dire ? ». Il se pense, et, sans effort aucun, il pense le monde.

Pour revenir à la collection Pinaud, l’impression paradoxale qui m’imprime c’est que je me trouve face à du formel désincarné, et, mis à part certaines œuvres sublimes ou très drôles (et c’est très important à mon sens), les œuvres, sans humour et avec l’insistance d’un mendiant, me demandent leur signification. 

C’est peut-être un nouveau concept, mais je ne marche pas. 


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10 réactions à cet article    


  • Pierre de Vienne Pierre de Vienne 3 septembre 2010 11:02

    C’est je crois Pinault au lieu de Pinaud, ce qui donne à votre article un gentil effet comique et distancié .

    Comme vous je crois que à la joyeuse et féconde férocité des artistes du début du siècle dernier a succédé une génération de pisse froid qui ont substitué le cynisme et le calcul comme mode d’emploi à leurs productions.
    Merci pour votre article.

    • paul 3 septembre 2010 12:28

      Cette très belle exposition ne donne que plus de regret à l’échec de la fondation culturelle qui était
      prévue à l’ Ile Seguin jusqu’en 2005 .
      Mise en cause, « la lourdeur de la machine administrative ». Mais surtout, une grave déficience du
      personnel politique pour défendre l’ambition culturelle du pays .


      • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 3 septembre 2010 14:21

        Ils ont du vraiment lui faire voir des vertes et des pas mûres à Monsieur Pinault, puisque au sommet du musée de la vieille douane vénitienne flotte désormais le drapeau breton...


      • dup 3 septembre 2010 17:00

        l’art c’est une création qui exige de la technique ,du savoir et de l’inspiration . C’est une chose qui par definition est réservée à peu d’élus . L’oeuvre doit inspirer une émotion (pas forcément belle). Malheureusement le mot art est utilisé par des imposteurs. Comme l’art est considéré comme une activité élevé de l’esprit humain beaucoup sont protégés par le terme d’art qui n’en est pas

        http://au-bord-du-gouffre.voila.net/merde_alors.html

        http://www.youtube.com/watch?v=A8cqqmUNLEM

        il faut oser dire que c’est de la M quand ça en est


        • Arunah Arunah 4 septembre 2010 01:28

          La seule émotion provoquée par l’art contemporain est dûe au prix des oeuvres...


          • antonio 5 septembre 2010 10:42

            L’art contemporain ?
            Quelques énormes sujets en plastique dans les jardins de Versailles ( j’ai oublié le nom de
            « l’artiste » et ce n’est pas un hasard !).
            Un requin blanc conservé dans l’eau et exposé à Monaco ? La petite danseuse de Degas malmenée et des écorchés ? J’ai du mal à suivre  ! Peut-être suis- je dépourvue de sensibilité artistique ? En tout cas, pour moi, c’est de l’arnaque et une arnaque qui rapporte gros.
            Baudelaire écrit « Les Fleurs du Mal » , voulant montrer la beauté qui existe dans le mal et réussit magistralement.
            La laideur pour la laideur comme concept artistique me laisse pour le moins songeuse...
            Je n’ai pas toute la « logorrhée » technique des critiques d’art contemporain pour parler de l’art.
            Pour des raisons mystérieuses, une oeuvre d’art nous touche et c’est tout.
            Exposition Kandinsky récente à Paris : elle m’a fascinée et ...je ne cherche pas plus loin !
            Il est dommage que sous couvert de « contemporéïnité » le savoir-faire artistique disparaisse.
            Quant à Andy Warhol, voir sans cesse les même fac-similés de ses oeuvres répandus partout me lasse.
            J’ai une admiration profonde pour les fresques de Lascaux et autres : la beauté y éclate à chaque trait ! Les artistes préhistoriques se posaient-ils le problème de la laideur ?

            Merci pour votre article.


            • Kalki Kalki 5 septembre 2010 11:40

              Un ajout en passant , le travail de l’artiste, ou du métier de créatif est également MORT



              Tout absolument tout peut être fait avec des machines.

              La guerre, comme la paix.


              • lili-oto lili-oto 7 septembre 2010 14:32

                Je vous souhaite de lire les livres de Raymonde Moulin sociologue de l’art car je crois que votre article si bien soit-il écrit, il est un complètement à coté de la plaque... Vous avez un train de retard...
                Par exemple je vous cite :"critique d’art » pour répondre à cette double évolution se transforme en « philosophe d’art » dès lors qu’il s’occupe d’art contemporain« , réponse : le noyau du marché de l’art contemporain avant était le »marchand/le critique« aujourd’hui c’est le »marchand/le conservateur« , le critique n’est qu’un exécutant de piètre importance comme la collection Pinaud d’ailleurs qui ne représente que des placements financiers. Les institutions bloquent en France toutes formes d’émergences artistiques qui leur échappent, qui n’est pas dans le droit fil du marché de l’art et des institutions car la collection Pinaud du jour au lendemain pourrait flop, et tout ce beau fric, des millions et des millions d’euros à la poubelle. C’est pour ça que des artistes comme moi-même se battent contre les institutions et le marché véreux de l’art contemporain qui baignent ensemble dans des conflits d’intérêts et des délits d’initiés.
                Je vous cite :  »Mais comme le surréalisme et le mouvement Cobra, Dada pense sur l’art« , réponse, le mouvement Dada était surtout d’une fabrique révolutionnaire et anarchiste qui s’attaquait à l’art dit »bourgeois" et l’art de musée (l’art muséal) comme les ready made, des ready made sur lesquels les historiens et critiques disent des conneries plus grosses que leurs têtes depuis au moins trois décennies. Les musées d’art contemporain aujourd’hui comme ces collections d’art de fortunés sont d’un concept ringard, à un art vivant, un espace vivant ! c’est mon slogan, et comme dans la musique, la danse, le théâtre, etc, la direction aux artistes non plus des musées d’art contemporain mais d’espaces de diffusion pour la création contemporaine, EDCC. Petit rappel : l’art contemporain est un sigle inventé par des marchands d’art américains pour différencier leurs produits de l’art moderne auprès de leur clientèle... Lili-oto http://www.lili-oto.com/


                • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 7 septembre 2010 16:05

                  Dois-je lire encore ? Et encore ? J’aime bien votre intervention, laissez moi vous dire que la transition critique-philosophe de l’art avait quelque chose d’humoristique, même si certains (et des plus prestigieux) s’identifient de la sorte. Le mouvement surréaliste, Dada et Cobra (mais je l’indique) étaient j’en conviens avant tout des mouvements liés à la gauche révolutionnaire. Mon père (Neoclès Coutouzis) en faisait partie, et j’ai grandi parmi les surréalistes. Que les marchands et les musées soient  aujourd’hui les moteurs principaux de la « marchandisation » de l’art, ma foi, c’est un secret de polichinelle. 

                  Je fais partie des pessimistes, de ceux pour qui la création picturale, dans toutes ses formes n’arrive pas à se renouveler, cherchant désespérément du nouveau, du vivant. Avez vous un atelier, un coin ? Je pourrais eventuellement vous rendre visite ?

                • Mikael Eon Mikael Eon 7 septembre 2010 22:47

                  Si nous décidons de prendre le parti de la peinture nous devrons convenir que peindre n’est pas discourir, peindre c’est faire, c’est savoir faire. Peindre c’est créer du sens et des sensations. Peindre c’est traduire le réel, celui du vécu de l’artiste forcément, celui du monde où il vit forcément. La peinture comme pensée, comme création, comme traduction (synonymes), pose des objets visuels dont la valeur peut être reconnue en tout temps et en tout lieu.

                  Nous revendiquerons ce qui de tout temps a défini l’artiste, et ce qui hiérarchise les artistes entre eux 

                  Le métier

                  La volonté de transcender le réel

                  L’insertion de la création dans son temps et dans l’intemporel

                  Nous exclurons ceux qui miment ou dévoient l’art, qui érigent des bribes en totalité par :

                   L’absence de savoir faire
                   La négation de la transcendance
                   L’absence de dimension rhétorique.

                   Le métier :

                  C’est l’acquisition d’un savoir faire, la maîtrise d’une ou plusieurs techniques , l’affirmation d’un style. Aucun savoir faire, aucune technique, aucun style ne surgit ex nihilo. Le métier c’est la trace de l’expérience des autres dans l’épreuve de son expérience propre.

                  Le métier de l’un et le métier de l’autre n’ont pas la même qualité. L’apprentissage, le travail qu’implique l’acquisition d’une technique lui confère une valeur.

                  Il n’y a peut être pas de progrès en art mais il y a filiation toujours. La création considérée comme devant obligatoirement nier le passé aboutit inéluctablement à des impasses, si, à l’antithèse, ne succède pas la synthèse ou l’affirmation d’une autre forme. De négation en négation la matière, la forme la couleur, les techniques et les styles, disparaissent jusqu’à ce que ne soit conservé que le concept. Tout art est en soi conceptuel. L’art conceptuel est la dernière épuration de l’art, où l’art a disparu au bénéfice du discours sur l’art.

                  La transcendance et sa négation :

                  L’art transcende le réel, ne s’en voulant jamais la représentation ni l’illustration, se posant en interrogation ou interprétation. L’art est avant tout traduction, c’est à dire pensée, réel qui devient en devenant signe, langage, dépassement, l’art est création d’avenir, jamais recréation. Il est synthèse ou dépassement, non démembrement. Que cette transcendance se colore selon la culture et l’époque de magie de religion d’idéologie profane ou sacrée, qu’elle soit créatrice d’émotion, de sentiment, est affaire de lieu d’homme et de temps. L’essentiel est l’émergence d’une nouvelle réalité, d’une œuvre.

                  Un art qui s’auto-complaît dans la mise en scène ou la dialectisation de sa dirilection, n’est plus un art mais une perversion idiosyncratique de l’art, une autophagie, un cercle vicieux, une tautologie, un onanisme entropique.

                  La peinture est par essence rhétorique

                  Tout mode d’expression n’est pas art. Par art nous entendons «  grand art  », par opposition aux arts mineurs qui tiennent plus de l’artisanat ou de la production populaire, de la décoration ou des techniques de communication, du merchandising, du design, ou de la publicité. L’art, le «  grand art  », n’a pas de fonction utilitaire. L’art a une fonction rhétorique. Cette fonction peut opérer dans le registre des idées, des sentiments, des sensations, mais essentiellement à un niveau que nous pourrions qualifier de proto-conceptuel, où jouent des archétypes universels. L’apprentissage du regard, la «  culture  », est ce qui permet de reconnaître dans la traduction que constitue chaque œuvre particulière, la phrase universelle que l’artiste a voulu prononcer.

                  Le parti pris peinture, c’est le parti pris d’un art où, sur quelque support que ce soit, par des formes, des couleurs, des matières, l’artiste, manifestant un style et une technique affirmés, donne en une œuvre intemporelle, un fragment de sa traduction du monde. 

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