Calypso, Ulysse et Télémaque
Je vous propose un peu de douceur dans un monde de brutes ? Quoique...
Calypso avait aimé Ulysse.
Ulysse avait aimé Calypso.
Mais nos vies sont souvent doubles. Nos racines et nos voyages se disputent nos vies et nos cœurs.
Ulysse rêvait à Ithaque et à Pénélope.
Pénélope rêvait à Ulysse.
Le monde des rêves est le miroir de nos déchirements.
Calypso avait pris son fils dans ses bras. Le fils qui était celui d’Ulysse et obéissant aux dieux avait rendu la liberté à celui qu’elle aimait le plus au monde.
Qu’en est-il de cet amour « aimer le plus au monde » ? Il résonne comme un rêve, lui qui est un enfer car le monde, toutes les beautés du monde, sont anéanties par sa puissance. Mais ce poison tout le monde veut s’en nourrir.
Après le départ d’Ulysse, Calypso se retrouva dans un monde nouveau. Sans la beauté de la mer, sans la beauté de la nuit, sans la beauté des feuillages de son ile, sans la beauté des fêtes. Mais l’absence d’un corps d’une voix, d’un élan, étaient les seules présences auprès desquelles elle souhaitait vibrer.
Parfois, elle se disait : « Lui, pense-t-il à moi ? »
Oui, il pensait à elle. Sur son bateau. Dans la nuit qui suivait ses combats. Dans le lit de son retour à Ithaque après avoir aimé sa femme Pénélope. Car Calypso lui avait appris pour toujours l’inoubliable douceur. Mais il était au bout du ciel. Inatteignable.
Pourtant un jour il revint…
Elle se promenait sur la plage, là où elle trouvé le corps de ce noyé qui allait s’appeler Ulysse. Et soudain il fut devant elle. Plus jeune. Beaucoup plus jeune. Elle pensa qu’il était mort, qu’il avait bu le filtre d’immortalité qu’elle lui avait donné et qu’il revenait vers elle.
Elle courut vers lui se jeta à son cou, l’embrassa de mille façons, lui qui n’osait bouger. Et la lumière redevint la lumière et la mer eut à nouveau une voix.
Et comme elle l’appelait « Ulysse ! Ulysse ! », cet homme qu’elle serrait dans ses bras se mit à pleurer lui disant :
-Madame, si vous m’appelez Ulysse, c’est que vous avez vu mon père ! Quand ? Dites-le moi ! Je suis à sa recherche. Je suis son fils Télémaque !
Calypso fit découvrir son île à Télémaque. Elle n’osait le regarder tant son visage était proche de celui de son père. Et la passion qu’elle avait pour l’un glissa sur l’autre aussi facilement qu’un verre d’eau glisse dans une bouche assoiffée.
Mais elle gardait sa réserve. Avec lui, elle retrouva ses jardins. Les allées d’arbres immenses au bord de la mer, la forêt des palmiers . Et ce bonheur lui suffisait. Elle ne voulait pas qu’il puisse le reprendre quand il partirait.
Mais Télémaque n’avait pas envie de partir. Un jour il dit à Calypso :
-Madame, mon père vous a connue. Il a vécu avec vous. Elle vous a aimée puisque j’ai un frère. Et pourtant il a voulu vous quitter. Quelle folie ! Rien n’est plus beau que votre île. Connaissez-vous Ithaque ? C’est une île sèche. Connaissez-vous ma mère ? C’est une femme sèche.
-Je ne crois pas. Il m’en parlait souvent.
-Comme nous parlons de ce que nous n’avons pas et comme ce que nous avons, nous ne savons pas l’aimer puissamment plongeant jusqu’à la nuit de ses richesses ! Ce que nous avons, nous le parcourons. Nous le possédons rarement.
Une nuit ils se séparèrent alors que le jour se levait. Calypso résistait à ce qui l’attirait vers Télémaque car lui, en peu de jours, l’aimait comme jamais Ulysse ne l’avait aimée. Ce n’était ni le même caractère, ni le même homme. Il avait dans le regard cette passion qu’elle n’avait jamais lue dans les yeux de son père. Et c’était le même visage. Le même corps…
Le printemps renaissait sur l’île.
Une nuit, alors qu’elle n’arrivait pas à dormir, Télémaque la rejoignit dans sa chambre.
-Madame, lui dit-il, suis-je moins que mon père ? Tout le monde me le dit. Je ne suis que le fils d’un héros. Moi-même un homme simple. Votre île, votre personne mais je me tuerais si on voulait me les arracher !
-Je ne veux pas vous aimer non pas parce que je ne vous aime pas, mais parce que si je vous aime les dieux viendront me dire de vous laisser partir !
-Je vous rassure. Les dieux ne s’intéressent pas à moi. Ils s’intéressent au divin Ulysse. L’homme qui a massacré des milliers de Troyens en une nuit. Voilà les héros qu’ils protègent. Pour moi, je n’aime que la paix. Je cherche mon père. Mais jamais on ne trouve son père. Je vous ai trouvée. Et je ne veux pas vous quitter.
Ce disant, il s’assit près d’elle. Ils étaient immobiles. Elle se dit « Je ne ferai pas le premier geste. « et c’est lui qui le fit. Le souffle de ses mots fut la première approche :
-Madame, j’ai rêvé à cet instant depuis que je suis né. Je le connais, car toutes mes nuits m’ont donné le désir de le vivre. Mais vous me l’apprenez différemment dans un trouble qui amène mon sang au tumulte.
Il embrassa son épaule, sou cou. Sa bouche était plus douce que celle de son père. Elle se posait, respirait et glissait le long de son bras.
Elle posa sa main dans ses cheveux et les caressa puis embrassa son visage. Tant de douceur. Tant de feu. Ils eurent ce désir, prononcé par chacune des parties de leur corps, de donner à chacune le plaisir de leur bouche.
Quel est ce monde où vit la douceur ? Qui a voulu l’inventer ? Que signifie-t-elle ? La douceur de l’eau, la douceur des sables, la douceur des soies ; la douceur des ventres et des cuisses, la douceur des épaules et des bras, la douceur des nuits, la douceur du silence, la douceur des sexes qui glissent et libèrent le flot de la douceur suprême.
Pourquoi tant de douceur ?
Pourquoi ces paradis au cœur de nos tourments ?
Car Calypso n’aimait pas Télémaque comme elle avait aimé Ulysse…
L’impossible est un sel qui manquait à sa peau.
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