Capote : genèse d’une œuvre
« Truman Capote », de Bennett Miller, est un film riche et passionnant sur la création, porté par des acteurs justes, et une mise en scène raffinée.
"Par tous les moyens, l’écrivain aujourd’hui cherche à échapper à l’enfer qu’il est pour lui-même.[...] Capote ne s’est pas contenté de suivre une affaire. On peut dire aussi qu’il l’a conçue, orchestrée. Il l’a restructurée. Il l’a démontée et remontée selon une technique tragique qui lui est propre". J.M.G. Le Clézio (Magazine littéraire n°1 - novembre 1966).
Philip Seymour Hoffman a remporté à juste titre, c’est un euphémisme, l’Oscar® du meilleur acteur pour son interprétation de Truman Capote dans Capote, le premier film réalisé par Bennett Miller d’après Capote : a biography, de Gerald Clarke.
En 1959 un quadruple meurtre a lieu dans une bourgade du Kansas. L’inspecteur Dewey du Kansas Bureau Investigation mène l’enquête. Après l’arrestation des meurtriers de la famille Clutter, Truman Capote (1924-1984) s’intéresse à l’affaire et aux protagonistes, dont les assassins, Smith et Hickock, condamnés à mort par pendaison. Ce qui au départ devait être un article pour le New Yorker deviendra un livre qui sera achevé quand aura lieu leur exécution. En 1966 paraît In cold blood (De sang-froid) qui a nécessité plusieurs années de travail et d’attente.
Ce n’est pas à proprement dit une biographie filmée (biopic) mais la genèse d’une œuvre, de la naissance à son achèvement. Le film montre deux réalités, ou deux perceptions de cette réalité. Qu’est-ce qui est vrai ? Les faits tels que relatés par Truman Capote dans son livre, ou les événements, des meurtres aux exécutions ? Truman Capote n’a pas fait qu’observer, il est entré dans l’histoire et y a joué un rôle. Son roman-fiction invente une réalité, celle que l’on tient pour authentique, car il ne se montre pas dans le livre, il est hors champ. Il s’immisce dans le cours de l’histoire en interrogeant les personnes impliquées de près ou de loin, s’y installe, il organise par exemple une séance photographique des deux condamnés avec Richard Avedon, puis y bascule. Il offre une enveloppe au directeur de la prison de Lansing afin d’obtenir un accès illimité aux deux détenus, puis, le cours des choses se précipitant, il offre les services d’un nouvel avocat pour arracher des reports à l’exécution. Il a besoin de temps pour faire parler Perry Smith, connaître sa vie, et les circonstances du crime, pour avancer son livre.
C’est sa motivation première, conscient qu’il est de l’importance de l’œuvre à venir. Capote oscille entre sincérité et mensonge, il n’avoue pas à Smith qu’il a depuis longtemps le titre du livre. Mais il s’attache aussi à lui, voulant restituer non pas l’acte d’un monstre mais la genèse d’un crime.
Au bout de trois ans d’écriture, il est au bord de la conclusion, cette conclusion qu’il appelle de ses vœux mais qui passe par la mort des condamnés. Or l’avocat a pu remettre à plusieurs reprises la pendaison, poussant l’écrivain au désespoir, pris au piège de ses compromissions et du tableau qu’il a dessiné de lui, absent de son destin comme Dorian Gray.
Au jour de l’exécution, l’écrivain devra faire face à ses émotions et à ses démons.
Au-delà du classicisme formel, derrière la maîtrise simple des plans, le film aborde lentement et graduellement la narration. Cette lenteur, rarissime dans le cinéma contemporain, instaure un climat apaisé en opposition avec la violence du crime, comme la photographie lumineuse instaure une ambiance feutrée, comme la manière douce qu’a Capote/Hoffman de parler. Avec lenteur aussi, les éléments narratifs sont déposés, les ellipses ne se font pas ressentir. Ce qui synthétise ce film, et en fait toute la force, c’est sa délicatesse.
Pour tenir le film, reposant sur le fil ténu de la création, il fallait une distribution à la hauteur. Personne ne pourra ignorer maintenant qui est Philip Seymour Hoffman, qui ne force rien, et n’a eu aucunement besoin de se documenter sur l’écrivain, son physique, son allure pour s’en rendre compte. L’émotion est toujours présente, et quand l’acteur fait une lecture publique de ses premiers chapitres, plusieurs années avant la parution définitive du livre, on voudrait que cela ne cesse, que la lecture soit « pour de vrai ». C’est là encore la délicatesse dans la composition qui est fascinante, le travail colossal construit sur un ensemble de riens dissimulé dans la trame du film.
Tous les autres comédiens sont à l’unisson, quelle que soit l’importance du rôle, tous en simplicité et vérité. Lorsque Clifton Collins Jr. qui interprète Perry Smith, le bras armé du duo criminel, raconte dans sa cellule le crime tel qu’il s’est produit, comme un flash et filmé comme tel, son jeu instille le doute et brouille la frontière entre fiction et réalité.
À l’encontre de toutes les pauvres modernités qui tombent en désuétude déjà passée la caisse, ce film brille par sa simplicité et la limpidité cruelle du portrait d’un artiste.
En novembre 1966 dans le premier numéro du Magazine littéraire, Le Clézio écrit "Truman Capote - Une révolution de la conscience". [http://www.magazine-litteraire.com/archives/ar_clezi.htm]. Il résume l’idée du film en quelques lignes : « Truman Capote a exploré avec tout son corps et toute son âme un tourbillon, une action en marche. Il a été à la fois la caméra et le magnétophone, et mieux qu’aucun instrument de mesure, il a suivi le courant d’une aventure, il y a participé, il s’y est trouvé compromis, impliqué. Il a été meurtri, il a été passionné, il a souffert et vécu durant chaque minute l’histoire qu’il voulait écrire. C’est d’abord avec sa vie qu’il a écrit. »
P. S. : En 1967, Richard Brooks adapte fidèlement De sang-froid, sur les lieux du crime et avec des jurés du procès. (Le film nominé quatre fois aux Oscar® dont Quincy Jones à la baguette sera diffusé sur Arte le mercredi 29 mars). Pour d’autres informations sur le film : [http://www.sonyclassics.com/capote-> ;http://www.sonyclassics.com/capote]
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