Cézanne et sa montagne magique, la Sainte-Victoire
Le lendemain, il n'en reprenait pas moins le combat : il se levait tous les matins à six heures, traversait la ville pour gagner son atelier où il restait jusqu'à dix heures ; puis il revenait par le même chemin pour déjeuner, mangeait, repartait : souvent à une demi-heure de route de son atelier, « sur le motif », dans une vallée au fond de laquelle la montagne Sainte-Victoire se dressait, indescriptiblement, tâche innombrable.
Lettres sur Cézanne, Rainer Maria Rilke, 1907
Cézanne et les couleurs de la Terre ou le chant de la Terre- Mère
Le génie du Maître Aixois opère à partir de 1885 lorsqu'il se rapproche du paysage qui va l'occuper jusqu'à la fin de sa vie, la montagne Sainte-Victoire, transfigurée par toutes ses sensations ; tour à tour observée sous le soleil éblouissant et les ombres nettes de la Provence, terre aride balayée par un vent violent venu du Nord, le mistral. Tout au long de sa vie, la nature lui est indispensable, il y pratique le travail en plein air, « sur le motif ». Il est le premier artiste avec Monet dans son jardin à Giverny à créer de nouveaux volumes par la lumière contenue dans la couleur et par l'association de ces couleurs dans un monde minéral et végétal intimement liés.
Dans ses dernières années, il affranchit la peinture des référentiels impressionnistes, tout en demeurant dans une dialectique entre la perception d'un lieu « sur le motif » et la nature environnante. En cela il se distingue de l'abstraction, mouvement qui va naître au début du XXème siècle. Il n'a cessé de revenir sur son métier pendant vingt ans pour nous livrer dans une série de tableaux peints à partir de 1904, un poème cosmique où se mêlent le ciel et la terre, le minéral et le végétal dans un désordre harmonieux de formes géométriques et de couleurs primaires, jaune, orangé, bleu, vert. Cette vision réduite à l'essence même de la montagne est le fruit d'un immense travail accompli tout au long de ces années.
Union de l'art et de la nature, des sens et de l'intelligence, de l’œil et de l'esprit
La peinture de Cézanne apparaît comme une succession de questions sur le monde de par son interprétation et sa recréation du monde visible. Merleau-Ponty à son propos nous parle de la lenteur, du doute de l'artiste comme d'une façon d'être au monde, de se laisser envahir par lui pour le retranscrire sur la toile. Pour le philosophe « c'est ce monde primordial que Cézanne a voulu peindre,et voilà pourquoi ses tableaux donnent l'impression de la nature à son origine... » 1945, le doute de Cézanne
Le tableau « la Montagne Sainte -Victoire vue des Lauves, 1902-1906 », nous fait passer de la visibilité apparente vers quelque chose en train de naître, de prendre forme, d'inachevé. La leçon picturale de la Sainte-Victoire concerne aussi le travail constructif des jeux d'ombres et de lumière. Sainte-Victoire est le lieu à partir duquel cet homme à l'humeur sombre, perpétuellement insatisfait, grand solitaire, s'ouvre à la lumière et à la couleur de la montagne magique, chère au cœur de tous les Aixois. Elle apparaît alors, dans les dernières années de sa vie, au travers de l'impermanence de cette nature majestueuse, comme une métaphore de l'ensemble de son œuvre .
Au travers de son parcours qui mène du paysage pittoresque au pictural en quittant les conventions de la perspective et de représentation, le Maître d'Aix a élevé une montagne de dimensions modestes, offerte à son regard de la colline des Lauves, au rang d'un mythe dans la géographie picturale du XXème siècle. Le travailleur acharné qu'il fut, son influence déterminante aux confins de l'abstraction sont encore célébrés de nos jours.
Paul Cézanne , 1839-1906
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON