« Chomsky et Cie », un documentaire de salut public
Grâce à une certaine promptitude, nous avons eu l’immense privilège ce samedi 6 décembre, en fin d’après-midi, de pouvoir assister à la projection organisée par le cinéma l’Atalante, situé à Bayonne, du redoutable documentaire « Chomsky et Cie », en présence de Daniel Mermet co-réalisateur de ce travail avec Olivier Azam. La salle était comble de spectateurs trépignant d’impatience devant pareille aubaine, le tout baigné dans une atmosphère extrêmement chaleureuse. La projection de cet objet cinématographique unique s’est déroulée dans un recueillement pétri de concentration, tous buvant avec ferveur ces images enrichies par une pensée souvent fulgurante, mais non absconse, distillées par celui que le New York Times a un jour qualifié de plus grand penseur vivant, ce que Noam Chomsky [1] réfute par ailleurs bien volontiers du haut de son humilité naturelle.

Mais reprenons la genèse de ce film qui a pu voir le jour grâce à un mode de production parfaitement alternatif, puisque son financement aura été bouclé grâce à la générosité d’une multitude de donateurs que Daniel Mermet appelle affectueusement les Souscripteurs Modestes et Géniaux (SMG), soit l’indépendance à tout prix pour un pari réussi. Pas de pré-vente, ni avance sur recette, et encore moins la présence d’une chaîne de télévision comme partenaire financier, non, juste le soutien institutionnel du Centre National de la Cinématographie.
Ainsi, l’objet est aujourd’hui bel et bien vivant, soutenu et distribué par la coopérative « les Mutins de Pangée », visible dans plus de 120 salles de cinéma, avec comme support publicitaire l’indispensable bouche à oreille. AL-TER-NA-TIF, le mot prend ici toute sa dimension tant ce projet mené à bien par Daniel Mermet et Olivier Azam (derrière la caméra) aura réussi à défier un univers impitoyable où le retour sur investissement vaut parole d’évangile. Ce travail se situe donc aux antipodes du consumérisme dominant, cet ogre qui dévore aussi les biens culturels pour produire au final une pensée en forme de bouillie sans queue ni tête.
Mais là n’est pas le seul tour de force réalisé par nos trublions, puisque le sujet central du documentaire n’est autre que la pensée de Noam Chomsky, et son prolongement militant dont la notion centrale réside dans ce qu’il dénomme « l’éducation populaire », concept simple à digérer que Daniel Mermet sait faire vivre au quotidien avec une maestria certaine fort généreuse.
D’ailleurs, on retrouve ici tout son style, sobre et efficace, au service d’une réflexion qui se veut toujours ancrée dans la réalité de cette humanité qui fait que ce monde demeure diablement vivant, à la fois triste et risible, mais si profondément humain.
Dés lors, le documentaire déroule son fil d’Ariane tout du long, centré sur l’interview du grand penseur, parfois commenté et explicité par d’autres penseurs ; souvent entrecoupé d’images d’archives exhumées afin d’étayer par la force de l’exemple une démonstration toujours implacable.
Le thème de la liberté de parole est illustré par un radio trottoir où défilent une à une tout ce que la France compte de sommités journalistiques qui affirment sans ambages combien ils sont libres dans l’exercice quotidien de leur profession, oubliant qu’ils œuvrent en fait sous le haut patronage d’une auto-censure permanente. D’ailleurs, Noam Chomsky d’abonder dans ce sens, affirmant avec raison qu’il n’y a plus envahissement du politique dans quelque ligne éditoriale que ce soit puisqu’il en est nul besoin, la machine bien huilée sachant aller de l’avant sans qu’il soit nécessaire de lui indiquer le bon chemin. Il n’y a pas de théorie du complot qui vaille [2] selon le chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technologie), l’alliance tacite se suffit à elle-même, agissant comme un liant invisible, naturel, qui coule de source. « La fabrique du consentement » [3] est une mécanique imparable qui déroule toute sa puissance de feu en s’auto-alimentant, tout simplement. Telle est la règle du jeu, et tous les joueurs y adhèrent au risque de se voir exclus plus ou moins définitivement s’ils enfreignaient les dites règles.
Au détour de ce sujet, Mermet et Azam n’auront pas éludé la question du soi-disant soutien apporté par Noam Chomsky à Robert Faurisson, profitant de l’occasion pour clore définitivement une polémique soigneusement entretenue par certains de nos « penseurs » médiatiques pétris du levain de la mauvaise foi la plus abjecte. Qu’on se le dise une bonne fois pour toute, Noam Chomsky n’est pas un négationniste, il n’a pas préfacé le torchon de cet universitaire diabolique, il défend simplement l’idée d’une liberté d’expression absolue, dont la seule limite serait l’appel au meurtre. Il y a juste ici un fossé culturel qui sépare l’Europe des États-Unis, et nous n’avons pas de premier amendement qui affirme cette façon de voir.
Autre thème abordé, tout aussi cher à Noam Chomsky, celui du deux poids, deux mesures. Il illustre sa pensée par la mise en rapport de la mort de deux hommes d’église, assassinés pareillement pour leur engagement respectif. Mais, alors que l’un fera l’objet d’un traitement médiatique plus que généreux (l’assassinat du père Popieluszko), l’autre ne fera même pas illusion dans les médias (l’assassinat de Mgr Romero). Ici, le documentaire rétablira une certaine justice en incluant des images d’archives douloureuses et poignantes.
Ce thème sera encore illustré par l’exemple du Timor oriental qui vivra en même temps que le Cambobge un drame épouvantable mais dans l’indifférence la plus générale. D’un côté le régime indonésien était soutenu par nombre de nos démocraties, alors qu’il fallait souligner toute l’ignominie (indiscutable) du régime communiste des Khmers rouges dont on oublie pourtant de dire qu’il a tiré toute sa force du fait que son peuple croulait sous un tapis furieux et indécent de bombes américaines. Les exemples dans ce sens sont légions, le traitement de l’information au quotidien étant parsemé de telles dérives. C’est aussi cela le militantisme de Chomsky, rétablir une certaine équité dans notre rapport aux événements historiques.
Ce sont là les thématiques essentielles que développe ce travail qui souhaite avant tout démontrer combien le simple citoyen, acteur du quotidien, faiseur de ce monde qui ne tourne pas vraiment rond malgré lui, peut émettre sa propre pensée, bien loin des diktats du politiquement correcte, tout en étant détaché de cet intellectualisme pervers auto centré. C’est ici la leçon ultime de Noam Chomsky qui affirme avec force qu’il n’est surtout pas nécessaire de penser comme lui, mais encore, qu’il est vital pour toute pensée de s’inscrire avant tout dans l’agir.
Enfin, la projection se prolongera d’un débat sans bla bla, Daniel Mermet donnant volontiers de sa simple personne, au plus proche d’un auditoire, cette fois présent physiquement, qui ne manquera pas de le saluer par une salve d’applaudissements chaleureusement sincères, mais surtout bien mérités.
Alors agissez citoyens, déplacez-vous en nombre pour voir ce documentaire de salut public, et puis réfléchissez ensemble au monde de demain qu’il nous faut bâtir, non pas sans coup férir.
[1] Site internet de Noam Chomsky
[2] Cahiers de l’Herne, Paris 2007.
[3] La fabrique du consentement, Noam Chomsky et Edward Herman, éditions Agone, 2008
34 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON