Christophe Gatineau, celui qui dérange le monde de la permaculture
Il agite le monde de la permaculture et de l'agroécologie depuis quelques années avec ses articles et ses livres. Pour certains, ses idées font avancer la cause quand d'autres sont dérangés par son humour ravageur. Ce spécialiste des agricultures innovantes ne laisse pas indifférent, à l'image de son dernier combat pour faire reconnaître le ver de terre comme une espèce à protéger.
Au-delà des polémiques, son but est de sortir la permaculture de l'idéologie dans laquelle elle s'est enfermée.
À notre école communale, nous partagions le même encrier sans jamais échanger un seul mot. Par le plus grand des hasards, je suis devenue il y a peu sa correctrice. Portrait.
Nous nous sommes retrouvés grâce à Internet. Je me rappelais très bien son nom : Christophe Gatineau. Pour le reste, je n'avais qu'un vague souvenir de l'école primaire : un garçonnet timide dont les cuisses maigres flottaient dans une culotte courte.
Aujourd'hui, Christophe anime un « petit » blog déjà incontournable : Le Jardin vivant. En seulement deux ans d'existence, ce site à l'esthétique exigeante – sobriété et photos originales de grande qualité – attire plusieurs dizaines de milliers de lecteurs – plus de 60000 par exemple pour les buttes, 40000 tout de même pour le mal-aimé ver de terre – rivalisant ainsi très largement avec la presse nationale !
Je sais bien que Christophe Gatineau en agace plus d'un avec sa manie d'égratigner les idées reçues, de toujours creuser plus profond, se moquant des modes, bafouant les dogmes, il n'est pas facile à classer et en plus il n'est pas mondain ! Mais il est un des meilleurs spécialistes mondiaux dans la connaissance de toutes ces techniques innovantes qui placent l'agriculture comme moteur du développement, un des rares à les connaître et les pratiquer, à expérimenter pour trouver des solutions reproductibles. Il œuvre à rassembler tous les courants de l'agriculture naturelle, écrivant dès 2013 : "Et si une certaine permaculture et une certaine agroécologie, c'était la même chose ?"
Petits, nous ne nous sommes pas parlé vraiment. Nous avons vécu en parallèle, sans jamais briser la cloison de verre qui nous séparait, lui fils, petit-fils, héritier d'une lignée de cultivateurs chez eux dans ce petit village de Charente Maritime ; moi l'urbaine intruse, fille d'un de ces militaires qui s'installaient dans les maisons neuves de lotissements toujours plus nombreux, décalée. Ce n'était pas la guerre mais on ne se mélangeait pas, une fidélité tacite au rang de nos parents qui entravait toute mésalliance. Chacun dans son monde. Je devais lui paraître aussi superficielle et sophistiquée avec mes vêtements à la dernière mode qu'il me semblait anachronique, avec ses bottes en caoutchouc et son tablier trop grand !
Mais voilà, quelque quarante ans plus tard, à la faveur d'un amour commun pour l'écriture, nous refaisons connaissance. Étrange cette relation à la fois neuve et proche. De l'enfance reste une connivence, un sentiment de proximité même si nous n'avons pas été copains ; comme il n'y a pas de contentieux non plus, nous sommes ouverts à la fraîcheur de la découverte.
Je me lance donc avec curiosité dans la lecture de ses livres, car Christophe ne se contente pas de surfer avec brio sur le Net, il est aussi l'auteur d'une trilogie sur la culture de la terre.
Le premier tome, Aux sources de l'agriculture, la permaculture, sort en 2014. Toute inculte que je sois dans ce domaine, je comprends qu'il y a urgence à sauvegarder et transmettre aux générations futures une agriculture vivante, au contraire de celles qui cultivent hors-sol et sont gourmandes en énergie fossile.
Puis paraît le deuxième opus, La permaculture de 1978 à nos jours, classé en 2015 parmi les cinq meilleurs ouvrages, et seul francophone, pour bien comprendre la permaculture.
Lorsque je lis son troisième tome, Pauvre de nous, c'est un choc. Je découvre un écrivain, un vrai. Drôle, brillant, original. Christophe est monté d'un cran. Travailleur acharné, il a su lâcher son écriture, affiner son style mais surtout je réalise, moi qui n'ai jamais planté la moindre carotte, que la permaculture est pour lui un sujet de réflexion philosophique qui lui permet d'interroger le monde, de sonder l'humanité, de se battre pour un avenir meilleur, plus juste, plus généreux. Il décrypte les systèmes et les comportements humains pour faire acte de pédagogie, informer et partager car Christophe est l'homme le plus altruiste que je connaisse. Par exemple, entre son travail de la terre, ses livres, ses articles, ses conférences, il a trouvé le temps d'éditer mon premier recueil de poésie et il m'accompagne pour la publication de mon roman, ce qui n'est pas chose facile tant je suis rompue au doute et à la procrastination !
Loin des agriculteurs d'opérette qui surfent sur la vague, de ces formateurs en design qui ont trouvé le bon filon pour s'enrichir sur le dos de bobos des villes qui entrent en permaculture comme on entre en religion, qui cherchent des gourous et appliquent des recettes toutes faites, Christophe observe, teste, expérimente, étudie, réfléchit, adapte.
Son esprit critique toujours en éveil, il ne se contente pas de croire, il demande à voir et ne se départit jamais de son bon sens. C'est un vrai paysan, au sens noble du terme.
Sylvaine Reyre
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