Cinéma : le Final Twist / le retournement final
Le premier final twist, ou "retournement final" date selon moi de l’invention du cinéma par les frères Lumière.
Autant, au théâtre, les spectateurs pouvaient applaudir les acteurs "désincarnés" de leur rôle à la fin de la pièce, autant, au cinéma, ils avaient besoin de se rassurer, de se remettre de leurs émotions, en se disant "c’est du cinéma". Problème de cette méthode Coué : la catharsis n’est pas complète si le film n’inclut pas un côté rassurant après avoir torturé lui-même son public.
Il ne s’agit donc pas de jeter un regard méprisant sur les happy-ends (happy-ending en vo) : le cinéma s’est avéré, dès ses débuts, un médium tellement puissant, tellement impressionnant, qu’il fallait trouver un moyen de bien doser la réalité, la fiction, le vraisemblable et le fantastique.
"Veuillez laisser ce spectateur dans l’état où vous l’avez trouvé avant la séance" en quelque sorte.
Comme quoi, tout est question de formulation.
Quelques exemples d’adaptation au spectateur
Dans le premier Fantômas (A l’ombre de l’échafaud - 1913), Louis Feuillade a eu l’intelligence de comprendre qu’il ne pouvait pas garder la fin du roman, trop sombre. Juve sauve donc un innocent de la guillotine promise à l’Empereur du crime.
Un peu plus tard, la question s’est posée sur la manière de présenter Le Cabinet du docteur Caligari (1920) au public. Un prologue et un épilogue permettent d’atténuer le choc des audaces visuelles et du récit fantastique.
Bien plus tard, William Goldman a eu beaucoup de mal à accepter d’adoucir cette scène clé de Misery (1993) où le romancier se fait trancher les pieds. A l’écran, il n’a plus que les chevilles brisées, et pourtant, visuellement, toute la puissance et la violence de la description de Stephen King sont là.
Le retournement final : écris avec tes pieds, avec Agatha Christie
Aujourd’hui donc le spectateur serait, en théorie, plus difficilement impressionnable. C’est pour cela que la recette éculée d’Agatha Christie, qui consiste à partir d’une révélation finale pour berner le lecteur dans le reste du récit, a fait une entrée en force dans les salles ces dernières années.
Usual Suspects, Le 6e Sens, Memento... tous ont bati leur réputation sur une esbrouffe, où le spectateur croit sentir son intelligence aiguillonnée parce qu’il a été mené en bateau durant 90 minutes. Faire diversion avec les mains pour pouvoir écrire une histoire avec les pieds. Night Shyamalan en a même fait son fond de commerce. Les gens ont été impressionnés une fois, et la fois d’après, ils sont indulgents (mais de moins en moins).
Quand Carnival of Souls (1961, dont on a beaucoup parlé à la sortie de 6e sens) amène sa conclusion, il s’agit d’une conclusion logique, pas d’un grand coup de cymbale "regardez comme je suis intelligent, comme je vous ai bien eu. Toi aussi, montre que tu es intelligent, et montre à tes amis que tu as compris le film".
Idem pour Fritz Lang avec La Femme au Portrait (1944) : le final twist/happy-end intervient dans un plan magistral de transition, et la fin est chargée d’ironie et d’humour, des notions qui ne font certainement pas partie du langage cinématographique de Shyamalan, Singer ou Nolan.
"On va rentrer, et on va s’inventer une petite charade. Et là, il sera bien feinté."
In cauda venenum : à propos de Roald Dahl
Je lisais récemment des nouvelles de Roald Dahl, plus connu ces jours-ci comme le papa de Charlie et la Chocolaterie que comme l’auteur de pages où l’ironie le dispute au macabre. Bon, c’est pas Edgar Poe non plus, mais les descriptions des personnages, de leurs actes et motivations valent largement le détour. Le truc le plus gênant, selon moi, c’est le côté systématique du retournement final. D’une part, quand on connaît l’auteur, on s’y attend un peu, et le fait d’appréhender la fin change complètement la lecture, et l’on se met à cogiter au lieu de boire les phrases de l’écrivain. Et même si on découvre Roald Dahl dans une de ses nouvelles qui se terminent non pas en queue de poisson mais en hameçon, la fin arrive comme un coup de cymbales qui nous éjecte de la narration au lieu de nous laisser tout légers, quoiqu’un peu groggy sous cette succession d’images légères convergeant vers l’émotion forte du tableau. Bien sûr, Roald Dahl écrit cent fois mieux que la douairière Agatha Christie, mais il y a ce petit côté paresseux "je tourne mon récit de manière à avoir le dernier mot", qu’on ne retrouve jamais chez des écrivains de la classe de Joseph Conrad, par exemple. Ses écrits ne se terminent ni en eau de boudin ni en eau de rose, mais laissent une impression forte, une impression achevée par un torrent de mots ambitieux guidés par la même volonté.
"My task which I am trying to achieve is, by the power of the written word, to make you hear, to make you fell - it is, above all, to make you see. That - and no more, and it is everything."
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