Claire de la Lune
Nous l'appellerons Claire sans que jamais elle ne nous ait dévoilé son prénom. Elle se cache, se dissimule, ne cherche pas à se mettre en danger. On la devine inquiète, effarouchée même au point de se prendre la tête pour oser nous regarder les yeux. Qu'est-ce qui la tourmente ainsi ? Est-ce ce voile blanc qui semble vouloir la dévorer tout entière, la faire disparaître d'une toile qui ne supporte pas sa nudité ?
Claire perçoit le danger qui la menace. Elle a vainement tenté de se dissimuler derrière sa chevelure, obéissant sans doute à cette injonction masculine de se cacher aux regards concupiscents de mâle incapable de voir en la femme autre chose qu'un objet de leur seul désir. Terrorisée, la pauvrette perd progressivement face humaine, elle se métamorphose sous son masque capillaire.
Elle devient fête traquée, animal aux abois, proie que l'on pourchasse. Toute sa détresse se perçoit dans son regard qui perd dimension humaine. Est-elle louve ou bien chienne ? Va-t-elle pouvoir mordre et se battre ou ben se coucher au pied de son maître et s'abandonner à ses désirs ? Le combat est terrible tandis que le fond blanc la dévore inexorablement.
Autour de sa face, un anneau, une Lune, un quartier, une couronne mortuaire. Chacun peut y aller de son interprétation. Claire sent la lourde menace qui pèse sur elle, sa vie est en danger, le féminicide ou l'esclavage, la mort ou la servitude. L'alternative la réduira au silence tandis qu'elle-même se dissout dans l'absence.
La condition féminine en un portrait, un face à face avec la crainte pour une femme dont on perçoit pourtant la force dans une musculature qui laisse entrevoir qu'elle a du répondant. Dans la tourmente, elle ne s'incline pas, elle se tient droite face à ce destin qu'elle n'accepte pas.
Ses cheveux justement lui font bâillon. Il est impératif pour elle de taire son angoisse, de s'interdire de crier, de s'empêcher d'appeler au secours. Elle sait que tout ce qu'elle dira sera retenu contre elle. Il en a été ainsi de toute éternité, elle n'est pas dupe, rien n'a fondamentalement changé dans cet empire de la braguette souveraine.
Voilà tout ce que je puis dire, sans disposer de la plus petite expertise picturale à propos de ce tableau pour lequel sur une autre toile, j'ai eu la maladresse d'écrire un commentaire lapidaire : « Éloquent » me refusant à utiliser ce pouce bleu si indigne. Françoise Tixier, l'artiste, ne se satisfit point d'un adjectif, pour explicite qu'il puisse être.
La dame me réclama un écrit alors qu'elle de son côté se contente aisément d'un dessin. Je ne pus me dérober et remplis ici ma mission, tentant de donner sens à cette première impression qui demandait des explications. Mon éloquence mise en doute, elle me poussa dans mes retranchements, attendant que je dépeigne en mots son tableau.
La difficulté manifeste ne m'a pas fait reculer au risque habituel d'être pris pour un peintre, un béotien en tout, un gars qui étale sa prose sans nuance ni pertinence. J'ai néanmoins regardé le modèle dans les yeux, cherchant à lire son message silencieux. Me suis-je fait l'avocat du diable ou bien le procureur mettant en doute les intentions de l'artiste ? Qui d'autre pourra nous le dire que celle qui conçut la toile.
Est-il du reste nécessaire qu'elle s'en explique. Toute création doit conserver sa part de mystère, elle échappe d'ailleurs si souvent à son concepteur que les élucubrations des exégètes sont sans la moindre importance. Je me retire donc sur la pointe du clavier, vous laissant à votre tour, la possibilité d'interpréter ou simplement regarder.
À contre-toile.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON