Claire Denamur, la fille qui « n’en a rien à se foutre en l’air... »
C’est le genre de fille qu’on imagine plutôt descendre de sa Mini-Cooper, avec deux têtes blondes à l’arrière, une belle villa d’architecte devant, un mari au boulot, un amant dans le placard, un smartphone dans chaque oreille, des macarons Ladurée à la main. La routine des belles bourgades des Yvelines…
Sauf que pas du tout. Celle-ci a la voix trop rauque pour être honnête, dans les bottes trop de questions pour lire Marie-Claire et dans les synapses des histoires de femmes qui auraient vingt ans de plus qu’elle. Une impression d’avoir vu le film avant même de s’être assise dans son fauteuil d’orchestre.
Comme une frangine de Bashung (qu’elle a connu trop tard) et sous le jean prometteur, comme une façon griffonnée de prendre la plaine à travers les trains. Quand on la voit, on ne sait trop ce qui domine, entre le risque de se prendre une pointe de Santiag dans les choses de la vie, ou bien son bruit de porcelaine cassée en dedans.
C’est pour ça qu’on peut s’asseoir un moment et l’écouter, avec son mélange subtil de brutalité masculine et son bruit de vaisselle cassée du côté du tiroir qu’on n’ouvre pas au premier venu.
Je me souviens très bien où et quand je l’ai vu pour la première fois, sur un passage à la TV belge (alors que, malgré son nom, elle n’est pas belge, ni de près ni de loin, mais d’origine franco- argentino-hollandaise).
J’étais avec deux amis de canal historique bashungien, et on l’a vu s’attaquer à « la nuit je mens » avec des rictus goguenards, tant il est vrai que tous ceux / celles qui ont tenté cette face nord ont tous lamentablement dévissé et sont rentrés direct se soigner à l’infirmerie de la vallée…
Mais non, ça l’a fait, on n’a pas moufeté, on s’est regardé sans maux ni mot dire. Je me souviens avoir resservi les verres de Brouilly (ou de St Amour peut être) dans le salon. En la voyant, « des requins qui fumaient plus ont rallumé leur clope ».
Certains d’entre nous se voyaient bien l’installer dans un petit chalet dans le Vercors, faire du saut à l’élastique sur les aqueducs, et puis rentrer le soir faire un feu qui crépite, toussa, toussa.
Celle-là, on allait en reparler, avec sa rauquitude bien placée et sans ostentation, son phrasé nasillard, sa guitare sobre mais efficace.
Et puis oui, on en a reparlé un peu.
Des albums soignés (« Vagabonde », « rien de moi », puis « Bang, bang »)
De ses dix ans passés aux Etats-Unis avec son père, elle a ramené (outre des 33tours du dit-père, Led Zep, Neil Young, etc) un gout prononcé pour le blues country, ou le country rock (on s’en fout un peu des étiquettes).
Couplé à une belle guitare vibrato sans frime, une basse discrète, des caisses claires et un batteur appliqué, ça a donné ça, en 2011 :
Et encore ce titre, où, bien qu’elle n’ait aujourd’hui que 37 ans (et 27 en 2011 quand elle enregistre ce morceau) elle parle intelligemment – comme le ferait une quinquagénaire- de la féminité et de la séduction qui se barre comme des bas filés, du fait qu’on aimerait bien retenir ce taxi et son compteur fou qui tourne sans cesse. Mais que cela ne se peut point, comme chantait Gérard Manset.
Pas de frime dans ses rimes.
Ca tape là où il faut pour faire tomber le bonhomme, juste en dessous du plexus.
Le calendrier s’est ensuite effeuillé, on s’est retrouvé un 34 septembre.
On s’est gentiment habitué à sa tessiture de voix d’un autre monde, sa voix cassée pour de vrai (pas comme celle du sieur Benguigui …).
Sa belle culture musicale des seventies et des eighties l’a par ailleurs conduit à faire de belles reprises (Lana del Rey, Johnny Cash, Cold War Kids, Florence & the Machine, etc)
Son apogée fut sans nul doute en 2015 la musique de film « l’Hermine », (avec Lucchini et Sidse Babett Knudsen) qui inclut notamment ce petit bijou qu’est « Dreamers », qui l’a pas mal fait connaitre.
Le morceau est superbe, mais l’hommage à « Summer wine » de Lana del Rey un peu trop appuyé tout de même (mais bon, je ne suis pas de la police des plagiats, non plus…)
Et puis elle a disparu.
J’ai lâché mes plus fins limiers à travers la plaine, qui ont fini par retrouver sa piste – toujours aussi belle - en juin 2020, dans un duo avec le trio « Diva Faune », sur une reprise de « Would you stand by me ? ».
Nous, on aurait bien voulu rester avec elle, puisque c’était demandé si gentiment, mais elle est repartie « on the road again », in the middle of nowhere.
Depuis, elle manque à l’appel. Et pour tout dire à la pelle, aussi.
En tant que sheriff du coin, je ne lâcherai pas l’affaire. Les recherches ne s’arrêteront pas avec la nuit. Je ne mens pas…
----------------------------------------------------------------------------
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON