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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Colette et la renaissance d’Eros

Colette et la renaissance d’Eros

C’est sans doute se permettre une projection que de chercher à évoquer et expliquer l’influence d’un écrivain sur l’éveil du désir amoureux. Quand cet auteur s’appelle Colette, cela devient un piège délicieux.

Les premières années de collège sont souvent un supplice jusqu’au jour ou l’on découvre l’amour à travers les ébats brulants, parfumés et endiablés de Claudine en liberté. On se met à rêver alors de la mixité des études, mais avec une forte propension à la luxure. Dans les vagues de l’adolescence, sous le charme d’Eros, les tourments de l’inconnu, l’attrait physique, l’odeur, la voix, la résonance plastique lentement s’insinuent détrônant les études conventionnelles...c’est la faute à Colette et non pas à Rousseau, ni même à Voltaire.

En ces temps de violence, de virtuelles attentes, sa mémoire m’interpelle dans le seul partage où la vie et l’amour se mêlent chez elle éperdument à la faune, à la flore, dans un parterre de nymphes et de bacchantes en folies. Un paradis sur terre, mais avant la faute et sans la culpabilité.

"Ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques."

Sidonie Gabrielle Colette. Saint-Sauveur-en-Puisaye, Yonne, 1873 — Paris, 1954.
Fille du capitaine Colette et de Sidonie Landoy (« Sido »), Colette conservera toujours de son enfance campagnarde un amour et une compréhension presque instinctive des animaux et de la nature.
Un modèle de femme, d’amante, de compagne pour toutes les femmes en quête de la seule identité qu’il faut chérir, bien au-delà les croyances et les interdits. Pour tous les hommes à l’humeur vagabonde, à l’humour enraciné dans la tendresse, la fantaisie...et la tolérance à l’épreuve des flammes de l’amour..
Sa vie fut amoureuse. C’est elle même qui nous la conte tout au long de son oeuvre, avec une merveilleuse simplicité, sans fausse pudeur, sans ces affectations sentimentales inutiles.
Femme moderne, créatrice d’émancipation, culturellement frondeuse et infidèle , mais fidèle à la nature.
...Chers bois ! Je les connais tous ; je les ai battus si souvent. Il y a les bois-taillis, des arbustes qui vous agrippent méchamment la figure au passage, ceux-là sont pleins de soleil, de fraises, de muguet, et aussi de serpents. J’y ai tressailli de frayeurs suffocantes à voir glisser devant mes pieds ces atroces petits corps lisses et froids ; vingt fois je me suis arrêtée, haletante, en trouvant sous ma main, près de "la passe-rose", une couleuvre bien sage, roulée en colimaçon...
la résurgence de la tentation originelle en Eden.
Paysanne sensorielle, elle filtre le monde naturel et suprasensible à travers tous ses sens. Son intelligence vive examine, structure, critique, soupèse, exclut, précise. Elle est redoutable d’analyse et de synthèse avec le bon sens de la terre et une palette pulpeuse, chaude et réaliste. Impitoyable avec les spéculateurs en lévitation.
Claudine à l’école est une chronique villageoise qui retrace la vie d’une collégienne de province qui explore le monde de l’enfance, ses jeux, ses émotions et ses rites. Spectatrice de la nature, Claudine s’éveille à la sensualité et doit ses premiers émois à sa première institutrice.
Ingénue et en même temps perverse, Claudine est un personnage attachant, l’anima offerte en émoi.
Claudine en ménage lève le voile sur l’adultère et l’ambigüité sexuelle...mais elle fuit son mariage qu’elle trouve étouffant. Avangardisme absolu en un temps où la femme vivait dans l’ombre de son mari.
Très jeune... non, je ne suis plus très jeune. J’ai gardé ma taille, ma liberté de mouvements , j’ai toujours mon vêtement de chair étroite qui m’habille sans un pli...La retraite sentimentale
"Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique. je veux chérir qui m’aime et lui donner tout ce qui est à moi dans le monde, mon corps si doux et ma liberté.. " Colette et la marquise scandaleuse.
Elle ne craint donc point, la délicieuse affranchie, de fréquenter les sentiers inexplorés et surtout proscrits à son époque...l’audacieuse.
Enfin elle tombe amoureuse...de son mari. L’intrigue est très mince, ce qui importe, c’est le portrait psychologique de la femme, les contradictions entre ses aspirations et ses sensations. L’ingénue libertine.
Colette approfondit, après la série des Claudine, la description des relations amoureuses, auxquelles la Vagabonde donne un caractère pudique et plus inquiet.
" Ma place, ma place, mais c’est celle qui me convient ! Qu’on m’y laisse, c’est tout ce que je demande... Je ne sais pas bien me faire comprendre, mais mon imagination travaille là-dessus... C’est comme si j’étais seule à connaitre l’envers de ce que les autres regardent à l’endroit ... L’envers du Music-Hall
"L’amour, n’est-ce qu’un écueil sur une route tranquille ? En ce cas, nul besoin de l’éviter. Il suffit de le franchir." l’Entrave.
La Chambre éclairée
offre des scènes de mœurs traitées avec humour qui voisinent avec des textes intimistes, des chroniques d’une ironie vengeresse avec des témoignages sur la vie quotidienne.
Léa, belle courtisane quinquagénaire, entretient une liaison avec Fred, appelé Chéri, est détaché de tout, comme étranger. Léa est déprimée, elle se rend compte du caractère passionnel de son amour. Mais Chéri, sa seule raison de vivre, lui revient pour un temps, avant de se détacher, sans but, mais goutant la liberté.
En trente-cinq chapitres, chacun constituant une nouvelle, Colette fait revivre dans La maison de Claudine avec un rare bonheur, son enfance heureuse, sa mère Sido tant aimée. Les bêtes qui grâce au génie de l’auteur, rendent sa maison inoubliable. Une des oeuvres parmi les plus émouvantes et sensibles de ce grand écrivain.
Phil et Vinca, les deux adolescents du blé en herbe resteront le vivant symbole de la pureté du désir, de la joie des vacances. Colette, avec une émotion retenue, a fait de ce voyage sentimental et charnel un charmant conte d’amour.
Une circonstance surprenante est le point de départ de ce récit envoûtant. Colette, personnage au cœur de sa fiction, Au centre de l’intrigue luit un petit arc-en-ciel, la " lune de pluie ". Un rayon magique emblématique du très bel autoportrait imaginaire que nous donne ici Colette.
Ces chercheurs de plaisirs interdits, de ceux que l’on dit impurs : plaisir factice de l’opium et de l’alcool, plaisir clandestin des amours admises ou défendues... Colette nous les évoque magistralement dans Le Pur et l’Impur dont elle a dit :
" On s’apercevra peut-être un jour que c’est là mon meilleur livre. "
Dans le midi elle se retira. Dans un décors édénique de fleurs et d’arbres fruitiers, l’esthète retrouva l’enfant..
Levée tôt chaque matin, elle promène son chien avant le petit déjeuner sous les glycines. Elle se met ensuite au jardinage, avec "la plus grande ardeur", s’émerveillant du déroulement des saisons  : "le printemps est tendre, odorant, chargé de cognassiers en fleur, de lilas, d’iris, d’arums, de roses, de glycines, de giroflées … L’hiver, il est fleuri de petites roses, de narcisses doubles et même de lavandes". Après une courte sieste, elle se met à son travail d’écrivain. Saint Tropez
 
A l’hiver de sa vie..."Avais je atteint ici ce qu’on ne recommence point ? Tout est ressemblant aux premières années de ma vie et je reconnais peu à peu au rétrécissement du domaine rural, aux chats, à la chienne vieillie,à l’émerveillement, à une sérénité dont je sens de loin le souffle, je reconnais le chemin du retour..."
Un pays que j’ai quitté
J’appartiens à un pays que j’ai quitté. Tu ne peux empêcher
Qu’à cette heure, si épanouie au soleil, toute une chevelure
embaumée des forêts ; rien ne peut empêcher, qu’à cette heure,
l’herbe profonde y noie le pied des arbres d’un vert délicieux
et apaisant, dont mon âme a soif...

"Ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques."

A l’antique hellénisme, corps et âme elle se vouait, c’était une authentique hédoniste, une infatigable dévoreuse de plaisir mais dans la finesse des gourmets, une chatte royale, une déesse moderne.
Sa maturité naquit de l’imprégnation authentique de la nature. Une enfant légitime de Gaïa.
 

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Colette et la renaissance d'Eros

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15 réactions à cet article    


  • jako jako 9 avril 2010 11:00

    Merci Jak, Colette je l’ai découverte (sans jeux de mots...) en visitant sa maison musée à St Sauveur tout près de sa maison natale, et je l’ai aimée aussitôt, un vrai grand personnage


    • jack mandon jack mandon 10 avril 2010 08:11

      Jako


      "Et si tu passais en juin, entre les prairies fauchées, à l’heure

      où la lune ruisselle sur les meules rondes, tu sentirais à leur

      parfum s’ouvrir ton coeur, tu fermerais les yeux et tu laisserais

      tomber la tête lourde d’un muet soupir. "


      Merci de votre participation

    • Monica Monica 9 avril 2010 21:13

      Merci, Jack Mandon, de ce sensible hommage à Colette, qui, comme joliment vous l’écrivez, est

      Un modèle de femme, d’amante, de compagne pour toutes les femmes en quête de la seule identité qu’il faut chérir, bien au-delà les croyances et les interdits. Pour tous les hommes à l’humeur vagabonde, à l’humour enraciné dans la tendresse, la fantaisie...et la tolérance à l’épreuve des flammes de l’amour..


      • jack mandon jack mandon 10 avril 2010 08:14

        Monica

        Publié en 1916, ce recueil doit son titre à la période où il parut la très grande majorité des textes qu’il réunit datent cependant d’avant la Grande Guerre. II n’est pas impossible cependant que l’intitulé traduise aussi une conviction plus profonde, plus intime de Colette : le monde des « deux-pattes » (les humains) est un monde cruel, oserait-on dire inhumain, tandis que les animaux n’aspirent qu’à vivre en harmonie avec ceux qui les comprennent, telles les deux couleuvres, « pauvres sauvagesses, arrachées [...] à leur rive d’étang » par le mercantilisme ; et Colette de plaindre " en elles, encore une fois, la sagesse misérable des bêtes sauvages, qui se résignent à la captivité, mais sans jamais perdre l’espoir de redevenir libres ". La paix des bêtes.

        Merci d’être passée par là.


      • rocla (haddock) rocla (haddock) 10 avril 2010 08:54

        Colette , femme intemporelle  , le destin époustouflant d’ une petite fille qui a eu , c ’est pas banal , l’ amour de sa mère qui l’ appelait mon joyau tout en or .

        Elle mangeait la vie quand d’ autres la subissent .

        Un trésor de nana .

        Bien à vous Jack et à vos jolis mots .


        • jack mandon jack mandon 10 avril 2010 09:37

          Salut capitaine

          Il y a deux sortes d’amour : l’amour insatisfait, qui vous rend odieux, et l’amour satisfait, qui vous rend idiot.

          La nana binaire...quel est votre choix ?

          Merci de votre collaboration


        • rocla (haddock) rocla (haddock) 10 avril 2010 12:13

          Jack .... smiley

          J’ ai toujours pensé être idiot , j’ ai toujours l’ impression de juste arriver au dernier moment .

          L’ amour satisfait  ? c ’est pire que l’ argent on en a jamais assez .

          Ma maman ne m’ a jamais dit qu’ elle m’ aimait , mais je l’ ai lu dans ses yeux , je l’ ai vu quand elle préparait des bons plats , je l’ ai remarqué quand elle chantait souvent , quand elle me demandait avant de sortir pour une soirée si elle était bien pinponnée , et surtout qu’ elle me regardait toujours dans les yeux quand on se parlait .

          C ’est magnifique une maman comme elle .

          Ca vaut mille professeurs agrégés .

          Binaire c ’est quoi donc ?

          Bon app Jack .


          • jack mandon jack mandon 10 avril 2010 14:14

            capitaine

            En attendant, si tous les gars du monde avaient eu une maman comme la vôtre,
            ce serait la paix et l’harmonie sur la terre.

            Binaire ? Quand je dis que la burqa me gonfle, je passe pour un raciste sur Agoravox.
            Pour faire simple c’est le jugement tranché en blanc ou noir, bon ou mauvais,
            sur Agora c’est simplement pour emmerder, pour polluer les débats.

            A part ça, beaucoup de gens vous aiment bien...c’est en partie grâce à la maman. 


            • rocla (haddock) rocla (haddock) 11 avril 2010 08:48

              Salut Jack

              En toute tranquillité on doit pouvoir dire que la burqa dérange notre façon de voir le monde .
              Cloisonner des femmes dans une prison de toile est une atteinte à la dignité humaine est mon point de vue .
              Après cela une femme qui met un voile genre fichu comme ça existait quand j’ étais plus jeune ne me dérange pas du tout . Ca peut même être joli et mettre le visage en valeur .
              Mais j’ ai tendance à changer de trottoir quand je vois un débat de ce genre au loin.

              Approcher la culture des autres pays est chose passionnante . On a à apprendre de partout .

              Bon dimanche Jack .


              • jack mandon jack mandon 11 avril 2010 09:07

                Capitaine

                Il est un cas où la tolérance peut devenir funeste à une nation : C’est lorsqu’elle tolère
                une religion intolérante, telle la catholique.
                Helvétius

                Depuis lors, presque tout le monde a compris que toutes les religions
                sont particulièrement intolérantes. On peut rester vigilant.

                Les tibétains semblent tolérants...ils sont plutôt philosophes.

                Bon dimanche


                • Diane Diane 13 avril 2010 19:42

                  Revenons plutôt à ce magnifique article.......

                  Merci Jack de retracer la vie de Colette avec autant de tendresse et de
                  sensibilité.
                  Colette, femme merveilleuse qui a osé croquer la vie à pleines dents.


                  • jack mandon jack mandon 14 avril 2010 07:33

                    @ Diane

                    L’érotisation des relations, la théâtralisation des émotions.
                    La capacité à communiquer jusqu’à l’empathie. La culture de
                    ce caractère, qui est aussi masculin, m’a insité à parler de cela
                    dans un autre papier qui évoque les deux énergies qui traversent
                    l’humanité depuis le début des temps.
                    Limportance de la composante féminine dans l’humain.

                    Merci pour votre intervention


                  • Salsabil 13 avril 2010 20:08

                    Jack, Cher grand frère,

                    Juste un mot :

                    Merci ! smiley


                    • jack mandon jack mandon 14 avril 2010 07:41

                      Salsabil de l’orient venue,

                      Colette conservera toujours de son enfance campagnarde,
                      indépendamment de son accent rocailleux, un amour et une compréhension
                      presque instinctive des animaux et de la nature. Une grande passion
                      charnelle naîtra en elle pour sa maison, et surtout pour le jardin, plus
                      d’un hectare de vignes, arbres fruitiers, fleurs et légumes méditerranéens.
                      C’est la femme qui donne cette dimension de connaissance à l’humanité.
                      La carence de cette valeur rend compte de l’état de la terre maintenant.

                      Merci petite soeur d’être passée


                    • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 24 avril 2010 10:49

                      Romancière de l’instinct féminin

                      Quelle ardente amie de l’instinct que cette Colette ! Son oeuvre est un musée des plaisirs les plus vivants, les plus odorants, les plus grisants, qu’ils ne cessent pas de nous emplir les yeux, les mains, les papilles, tout l’être, longtemps après que les livres aient été refermés. De la beauté du soleil à celle de l’eau dans un verre, de la douceur du sommeil au parfum vespéral d’une fleur, de la cueillette matinale à la recette de cuisine, on possède, à lire Colette, le catalogue inestimable des choses créées. Néanmoins, rien de niais, rien de lourd ou de choquant dans l’abondance des recettes d’une jouissance...aimable. C’est que l’écrivaine ne s’en est servie que pour remettre en lumière la naissance du jour et le goût du bonheur, cette innocence pré-existante à la création du monde. Bien qu’elle ne ferme pas la porte à la douleur, et comment le pourrait-elle, elle qui la connut d’expérience ? - ce plaisir donne en héritage des valeurs qui l’honorent, une poésie virgilienne qui enchante, une sagesse sûre et paysanne qui rassure et apaise et, au final, une oeuvre qui ne fait jamais obstacle à la raison.

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