Comment le groupe Téléphone a failli se reformer...
En 1999, il s’en est fallu de peu pour que Téléphone ne reprenne la route avec ses quatre membres d’origine. Que s’est-il passé au juste ?
Alors que la dernière année du XXe siècle se dessine, il apparaît que Téléphone a vendu trois millions d’albums depuis la sortie de Rappels six ans plus tôt. Chez Virgin, on découvre avec stupeur qu’une majorité des acheteurs sont des teenagers, tout au moins un public allant de quinze à trente-quatre ans. Interrogé sur une éventuelle reformation de Téléphone, leur ancien manager, François Ravard, a pourtant affirmé en janvier 1997 que pour Jean-Louis, c’était un non catégorique. « Il n’imagine pas une seconde une reformation. Il me l’a dit plusieurs fois... ».
C’est alors que le destin prend un curieux tournant. Au printemps 1999, un créateur de logiciel passablement allumé, Patrice Levallois, vient voir Bertignac afin de lui montrer le nouveau logiciel qu’il vient de créer : un jeu de Tao. Au bout de deux heures de jeu, un petit bonhomme à l’écran finit par annoncer que Louis est désormais en âge d’oublier certaines rancœurs, de régler certains comptes et de terminer l’inachevé... Pour Patrice Levallois, un tel oracle est d’une aquatique limpidité : Bertignac doit régler ses comptes avec Jean-Louis Aubert, et mieux encore, reformer Téléphone, ne serait-ce que le temps d’un court moment.
L’histoire amuse d’abord Louis, mais l’étrange prophétie marine dans son esprit plusieurs jours durant. Après tout, pourquoi ne pas y accorder crédit ? Il juge avisé d’effacer les problèmes d’antan et appelle Aubert, expliquant qu’il veut le rencontrer. Ils se rendent au bistrot proche des studios la Loupe et devisent longuement. Bertignac conte l’histoire du jeu de Tao, puis explique qu’il veut tirer un trait sur ses antiques rancunes. Pourquoi ne pas faire un cadeau au public à l’occasion du millenium ? Jean-Louis paraît séduit par une telle ouverture.
Le 29 mai 1999, Aubert rejoint Bertignac pour deux morceaux en acoustique à l’Esplanade de la Villette : Un autre monde et La bombe humaine. Dès lors qu’ils empoignent une guitare, quelque chose de transcendantal s’empare de ces deux âmes. Ils se retrouvent comme à dix-sept ans dans la 4L de Louis, sentant leurs doigts communier, entamer une savante jonglerie mêlée d’une tendresse qui ne demande qu’à affleurer à nouveau. Cette retrouvaille est de bon augure et peut laisser espérer davantage. Bertignac estime d’ailleurs qu’Aubert a fait de sacrés progrès dans sa pratique de la guitare : « Il joue bien maintenant. A l’époque de Téléphone, il était bordélique, et moi aussi en fait. Je ne connaissais pas forcément ma partie, mais je n’avais que cela à assurer, je pouvais me balader, tandis que Jean-Louis devait chanter en même temps... Maintenant, il est carré, il n’improvise plus, il connaît sa partie, alors qu’à l’époque il était ouf ! ».
À la même époque, Bertrand de Labbey, responsable de Artmédia, une agence artistique, se trouve en relation avec les éditions La Loupe. Lors d’un déjeuner avec Jean-Louis Aubert, ce dernier lui confie son étonnement : quoi qu’il fasse, il ne parvient plus à retrouver le niveau de popularité qu’il a connu du temps de Téléphone.
En tant qu’ancien fan du groupe, de Labbey livre sa propre analyse : « A l’époque, vous avez mis fin au groupe, sans en référer à nous-mêmes, les spectateurs. L’arrêt a été brutal. Si vous effectuiez une ultime tournée ensemble, vous pourriez faire effectuer le deuil de Téléphone et chacun pourrait alors se consacrer, de son côté, à sa carrière en solo. »
Intrigué, Aubert ne lui fait pas immédiatement part de son sentiment sur la question. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’il contacte à nouveau Bertrand de Labbey pour lui annoncer que Bertignac est d’accord pour reformer le groupe. Kolinka reçoit alors un appel d’Aubert qui explique qu’au terme d’une discussion avec Louis, ils voudraient tous deux refaire Téléphone. Le batteur en reste assis, lui demandant s’il est bien sûr de ce qu’il avance là. Il obtient confirmation : « On s’éclate avec Louis ! ».
Kolinka envisage la chose avec énormément de bonheur : « Je sautais de joie. Je savais que si nous nous retrouvions tous les quatre ensemble, nous aurions le son ! C’est cela qui est étonnant, magique dans un groupe. » La perspective de retrouver le plaisir collectif qu’ils ont pu éprouver sur une scène revient déjà le titiller et Kolinka caresse même un autre rêve : pouvoir montrer à son fils ce que c’était que Téléphone sur scène !
Les trois garçons se retrouvent avec François Ravard afin d’évoquer la chose. Et puis, la question de la bassiste est évoquée, comme éventuelle source de désagrément. Louis se veut alors rassurant ; il déclare que Corine, il en fait son affaire, et qu’il n’y aura pas à s’en soucier. Bertrand de Labbey confirme que telle a été leur position : « Ils m’ont tous dit : sans Corine, on ne recommencera pas. »
Dans les bureaux d’Artmédia, non loin de la Tour Eiffel, de Labbey passe le mois de juillet à recevoir chacun des quatre membres et à tirer au clair leurs désirs personnels en la matière. Richard ne pose aucun souci. De Labbey trouve Bertignac « délicieux » et franchement désireux de faire en sorte que la chose aboutisse. Il ajoute que seule Corine aurait mis en avant des aspects à même de fragiliser la réunion, mais rien qui paraisse alors insurmontable. Elle a posé certaines exigences telles que le reversement d’une part des droits à une œuvre caritative. Jean-Louis n’est pas contre, mais voudrait en favoriser une autre, celle de l’abbé Pierre. « Aucun d’entre eux n’envisageait de le faire par intérêt », souligne de Labbey. L’ancienne bassiste voudrait également choisir les titres, ce qu’Aubert récuse en expliquant qu’il est celui qui doit chanter[1].
Les choses avancent, tant et si bien que Bertrand de Labbey se sent traversé de moments de jubilation. « J’étais fou de joie, » confie ce dernier, qui a consacré une folle énergie à faire aboutir le projet. Ils ont choisi un tourneur et l’idée d’un album ensemble a même été évoquée. Jean-Louis et Louis se sont mis d’accord pour opérer en complète égalité au niveau des royalties tout en reversant une part à Corine, à Richard et aussi à François Ravard. « J’ai trouvé cela remarquable », confie Bertignac.
Un soir de la fin juillet, vers vingt et une heures, les quatre Téléphone se retrouvent au studio La Loupe à Boulogne. Au grand étonnement de Richard, Jean-Louis demande aux trois autres de préciser leur motivation : « Pourquoi voulez-vous reformer Téléphone ? ». Dans l’ensemble tout se passe au mieux. Et puis, Jean-Louis et Louis soulèvent une question en apparence banale : au cas où la bassiste serait fatiguée au sortir d’un concert, verrait-elle un inconvénient à ce que les garçons se produisent dans une boîte sans elle ? Elle n’en voit pas, mais la discussion tourne alors autour du suppléant qui serait le plus adéquat.
Le débat s’engage alors entre Corine et Jean-Louis :
- Tant qu’à prendre un autre bassiste, vous devriez choisir Cyril Denis, que j’aime beaucoup, aurait lancé Corine[2].
- Ou bien Karim, rétorque alors Jean-Louis.
- Cyril est bien meilleur !
- Mais Karim, j’y suis habitué, reprend Jean-Louis.
À cet instant précis, Louis Bertignac reçoit un appel de sa compagne Julie et quitte la pièce pour lui parler durant une dizaine de minutes.
Lorsque Louis revient dans la pièce, il est déjà trop tard. La prise de bec qu’ils redoutaient s’est produite. Faute de trouver un terrain d’entente, Aubert lâche malgré lui :
- Écoute, dans le cas d’un litige comme cela, j’aimerais bien avoir le dernier mot !
- Monsieur Jean-Louis Aubert, aurait alors dit Corine. Tu n’as jamais été le patron de ce groupe et tu ne le seras jamais !
Durant la nuit, d’autres sujets de discorde remontent à la surface, au milieu des « je t’aime, moi non plus », notamment ce qui devrait se trouver sur l’affiche du groupe. Pourtant, malgré ces menues échauffourées, Louis et Richard temporisent la situation, et ils parviennent à un accord. Lorsque la réunion se termine, à six heures du matin, ils sont pareillement épuisés.
Et puis, quelque chose d’indéfinissable se dégrade au fil des heures... Comme une vapeur qui serait remontée d’un vague lointain que l’on tentait de dissiper, de dissoudre dans l’atmosphère. À quinze heures, Richard comme Louis reçoivent un appel de Jean-Louis qui annonce un final anticipé : « Je ne fais plus le groupe. »
« Je nous ai vraiment trouvés minables... », commente simplement Kolinka.
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