Confession de Stéphanus

28 décembre 1022
Que notre sacrifice ne soit pas vain.
Moi Stéphanus, confesseur de la reine Constance d'Arles, en cette dernière heure de mon existence, alors que sous la responsabilité de notre Roi Robert le Pieux, le si mal nommé, je vais monter sur le bûcher pour consommer des fautes que seuls l'église et l'état ont commis, je vous livre ici le récit de ce qui me conduit à rejoindre le Christ par le truchement des flammes de l'enfer. Les voies du seigneur sont plus impénétrables qu’ignifugées.
C'est avec treize autres camarades que je vais gravir les marches qui me conduiront au néant. Mes cendres, comme les leurs, seront dispersées au vent de l'histoire, renvoyées au néant et à l'oubli. Plaise à Dieu que les fidèles n'oublient jamais le sacrifice qui est le nôtre tout autant que le message que nous avons voulu porter, nous dressant contre les honteuses richesses d'une église qui a oublié les préceptes de pauvreté et de charité.
Que mes éventuels lecteurs des temps futurs prennent conscience que la foi, le dogme et les simagrées religieuses sont de bien peu d'importance quand les intérêts politiques sont en jeu. En 1022, Orléans est la capitale d'un royaume de bien peu de force, tiraillé entre les exigences des différents comtes et ducs, tous protagonistes de cette sombre affaire que même les flammes qui nous élimineront ne permettront pas d'éclairer.
Je suis moi-même, en dépit de mon grand savoir, bien incapable de démêler le vrai du faux, la diffamation du mensonge, les accusations fausses et nos éventuelles maladresses. En dépit de notre foi véritable, de notre amour des principes fondateurs de l'église : Chasteté - Ascèse – Abstinence – Pauvreté, nous fûmes vilipendés, traînés dans la fange avec des accusations dépassant l'entendement, dans le seul but de nous éliminer. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage ou bien d'hérésie !
Le roi Robert le Pieux qui fut un temps notre allié a profité de l'aubaine de notre procès pour répudier son épouse, ma chère Constance qui me vouait une admiration sans borne. Est-ce le seul prétexte pour envoyer quatorze des plus beaux esprits du royaume à la mort, simplement pour une histoire de fesses ? Que Dieu me pardonne cette pensée impie.
Nous étions fidèles à notre évêque Thierry quand s’ourdit un complot pour le destituer en offrant la place à Oury, le pion de Eudes de Blois. Ce sont alors des considérations stratégiques, des enjeux de pouvoir qui mirent en branle des langues de vipère. Le plus abject fut Arfast, oncle du Duc de Normandie : Richard II qui avait tout intérêt à mettre de l'huile sur le feu si j'ose dire.
Complots, manœuvres dilatoires, délations infondées et déviance de la doctrine officielle poussèrent à la convocation d'un synode en Orléans le 24 décembre, il y a seulement 4 jours de cela. Comme tout est allé vite, comme tout fut consumé de manière impitoyable. Oury prit la place de Thierry à la tête de la cathédrale Sainte-Croix, nous fûmes accusés, condamnés et confiés à la sentence du Roi puisque nous avons refusé d'abjurer ce qu'ils affirmèrent être notre hérésie.
Robert pour sauver sa couronne nous lâcha. Les puissants ne reculent devant aucune abjection pour conserver le pouvoir. Il faut dire que ce triste sire avait lancé les persécutions contre les juifs du royaume en 1007. Le sang ne lui faisait pas peur pourvu que ce ne fut pas le sien. Dos au mur sans doute, Robert le pieux nous a ligoté sur le bûcher de cette première hérésie déclenchée par le pouvoir civil. Il effaçait ainsi le précédent de 382, bûcher de Priscilla d'Avila qui valut l'excommunication à ses auteurs.
Pour nous, il en ira tout autrement. Notre sacrifice, notre martyre ouvre la voie des bûchers à venir. Il y aura, je le pressens, une frénésie de flammes dans toute l'Europe. Que ce soit quatorze chanoines qui ouvrent le bal satanique n'empêche nullement que par la suite, les femmes seront les principales victimes de cette folie. S'il avait pu, Robert à notre place aurait envoyé Constance à son foyer. Nous ne fûmes que de bien commodes victimes de substitution.
Est-ce parce que nous fûmes sacrifiés en Orléans, ville qui quatre cents ans plus tard se donnera corps et âme à une jeune fille qui périra elle aussi par les flammes que notre histoire restera lettre morte dans la cité ? Je n'ose me prononcer sur le silence assourdissant des responsables de ce temps qui n'est pas le mien. Ont-ils eux aussi honte du train de vie de l'état et même de cette ville, des mensonges et des manipulations qui président à ce pouvoir plus hérétique et impie que jamais ?
De là où je suis désormais, j'avoue ne rien comprendre à la frénésie qui prévaut aux affaires du monde. Nous sommes si loin des valeurs que nous défendions et qui valurent notre mort dans les flammes. Que notre sacrifice ne soit pas même évoqué ne m'étonne en rien, hélas. L'hypocrisie n'a jamais aussi mieux défini les principes qui prévalent à l'asservissement des sujets.
Puissiez-vous en ce millénaire de notre mort, avoir une petite pensée pour nous en espérant que cette évocation ravive enfin la flamme de la lucidité et pourquoi pas de la révolte pour que la société soit plus juste, plus équitable, plus charitable et moins impitoyable. Je vous en serai éternellement reconnaissant.
Nous rejoignons dans les abysses d'une mémoire locale vouée à l'exclusive adoration d'une gentille bergère notre cher Théodulfe qui fut pourtant le plus grand esprit qui ne vécut jamais ici.
À contre-feu.
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