Dancer in the Dark de Lars Von Trier
Un film pathétique qui tranche avec les sujets des comédies musicales habituelles ou ainsi qu’Hollywood nous avait appris à les aimer. Là, nous sommes brusquement plongés dans le monde du Zola de Gervaise ou des Misérables de Hugo. Mais le film n’en est pas moins l’une des plus grandes réussites du genre.
Contrairement aux délicieuses féeries hollywoodiennes, Dancer in the Dark est, comme son titre l’indique, un film pathétique qui tient autant de la fable grinçante que de la tragédie réaliste. Rien de beau pour reposer le regard : décor gris et froid d’une usine, bleus de chauffe des acteurs, le mot de comédie ne convient guère à ce long métrage qui ressemble davantage à une tragédie musicale. Et pour cause. Voici l’histoire :
Une jeune Tchèque émigrée et mère célibataire cherche son réconfort et son salut, dans la musique, sa passion. Travaillant dans une usine au cœur de l’Amérique industrieuse, Selma cache un lourd secret : elle perd la vue et son fils, atteint du même mal, est condamné à partager son sort, si elle ne trouve pas l’argent nécessaire pour le faire opérer. Quand un voisin croit à tort qu’elle lui a volé ses économies, la malheureuse voit ses espérances anéanties et son avenir gravement compromis. Que va-t-il arriver ? Tout paraît sombrer dans les profondeurs de la nuit qui gagne Selma devenue aveugle et que le monde quitte. C’est une fin silencieuse, rendue plus poignante, qu’elle est vécue de l’intérieur, blessure qui s’ouvre au cœur, mutilation de l’âme même.
Ce sixième film du cinéaste danois Lars von Trier n’est pas sans rappeler l’atmosphère oppressante dans laquelle baignaient les œuvres de Carl Dreyer, auquel se réfère volontiers Von Trier, admirateur de l’auteur de Dies Irae et d’Ordet. Mais contrairement à ses films précédents, il s’agit ici d’une comédie musicale, dont la chanteuse islandaise Björk a signé la partition, exploitant la technique dite Bullet-Time, ce qui permet de donner une image en 3D et l’impression que les personnages flottent dans l’espace, effet onirique d’autant plus réussi que les images nous sont livrées, comme si elles étaient saisies au travers du regard voilé de l’héroïne. La part du silence est grande et fait naître une émotion particulière, car le personnage de Selma - presque mythique et qui paraît hors temps, comme attaché à un arrière-pays ou à un arrière-monde, inspire le respect, non la pitié.
A partir d’un scénario précis, nous découvrons un être attendrissant, une histoire touchante qui frise le mélo sans y céder totalement, peut-être à cause de la musique qui mêle habilement légèreté et gravité, la jeune femme vouant un culte aux comédies musicales des années 40-50. Grâce aussi au lyrisme avec lequel le drame est abordé et à la rencontre de deux talents d’exception, celui du réalisateur, sans doute l’un des plus novateurs d’aujourd’hui, et de la musicienne Björk, fabuleuse dans le rôle de Selma, considérée comme la meilleure chanteuse " underground" actuelle.
Ce film méritait incontestablement la palme d’or à Cannes. La charge émotionnelle est telle, et perdure si longtemps après la fin de la projection, que l’on comprend que les jurés aient été séduits par l’originalité et la dramaturgie de l’œuvre. De même que la mise en scène, les cadrages sont surprenants, exécutés avec une caméra mobile numérique et les chorégraphies empreintes de nostalgie, puisque l’héroïne cherche à imiter les comédies musicales d’antan. Le contraste est d’ailleurs frappant entre cette version inquiétante et douloureuse et l’insouciance des merveilleux divertissements hollywoodiens. Toutefois dans cette grisaille - qui participe de l’histoire de Selma - une certaine harmonie se dégage, tant il est vrai que le cinéaste sait flirter avec les genres, évoquer, donner à voir et à imaginer, à comprendre et à deviner. Il fait autant appel à notre sensibilité qu’à notre intuition, en jouant du clair et de l’obscur, du bruit et du silence, de la noirceur et de la pureté, de l’indifférence et de la tendresse, de la dureté et de la bienveillance. Un cocktail chavirant qui vous noue le cœur. Larmes assurées.
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