David et Jonathan, épicuriens de la modernité
Le petit monde de la philosophie est régi par un ensemble de règles strictes auxquelles il est de bon ton d’adhérer. Par exemple : la pensée d’un philosophe ne doit résulter que de l’activité d’un seul cerveau, car la solitude est le lot du penseur. On comprend pourquoi l’arrivée de David et Jonathan sur la scène médiatique a provoqué un tel électrochoc.
David et Jonathan au temps de leur splendeur : un look décontracté qui n’oblitère en rien le sérieux et la réfléxion.
Non contents d’être jeunes,
beaux et talentueux, ils étaient aussi deux. Leur pensée s’est ainsi
construite à une rapidité sidérante : lorsque David argumentait,
Jonathan contre-argumentait, les idées novatrices pleuvaient en
cascade et un dictaphone n’était pas de trop pour recueillir un tel
feu d’artifice créatif. Cette extraordinaire confrontation de ces deux
personnalités hors du commun a produit, tel les deux silex que l’on
frotte, les étincelles d’une pensée novatrice dont les lueurs éclairent
et guident encore, bien qu’ils s’en défendent, les grands esprits de
notre époque (Bernard-Henri Lévy, Arlette Chabot et, à l’évidence,
Florent Pagny).
Ce bouillonnement d’idées est perceptible dès leur
premier 45 tours, Bella vista, qui sort en 1987. Le ton est donné :
loin de toute pensée nihiliste qui restreint trop souvent le champ de
la réflexion, David et Jonathan prônent un hédonisme sans faille gorgé
des rayons langoureux d’une Italie idyllique, où les pizzas sont
toujours copieuses et le chianti al dente.
Leur message remporte
très vite l’adhésion d’une France avide de réflexion intelligente et de
joie de vivre. Fort de leur succès, ils enchaînent dès 1988 avec Gina. Cependant dans le concert de louanges certaines petites voix
discordantes se font entendre : on les accuse à demi-mots de "se
répéter", voire de "tirer sur la ficelle d’une formule facile". Mais
David et Jonathan s’en moquent : ils ont une oeuvre à construire, et
quelques jaloux mal intentionnés n’arriveront pas à les détourner de
leur tâche.
1989 sera l’année du triomphe total en même temps
qu’une réponse cinglante aux détracteurs de tout poil avec ce qui
reste leur chef-d’oeuvre absolu mais aussi, hélas, leur testament : Est-ce que tu viens pour les vacances ?
T’avais les cheveux blonds
Un crocodile sur ton blouson
On s’est connu comme ça
Au soleil, au même endroit
En deux vers admirablement
troussés, les deux penseurs nous dépeignent avec une économie de moyens
remarquable leur idéal féminin. Usant de l’ellipse avec un talent qui
leur est propre, David et Jonathan nous laisse à penser qu’il n’existe
pas plus belle fille que celle qui porte négligemment posé sur l’épaule
un crocodile de cinq mètres de long. Il s’agit de ne pas tomber dans le
piège : on parle bien ici du petit reptile cousu à même le tissu d’une
marque bien connue et qui sert en quelque sorte de signe de ralliement
aux personnes ayant un idéal commun de luxe et de beauté.
Les deux
derniers vers exposent avec éclat une vérité trop souvent passée sous
silence (et source de nombreuses mésententes) : pour faire connaissance,
d’un point de vue visuel et ultérieurement charnel, il faut
impérativement être au même endroit (et accessoirement au soleil, comme
ça on voit mieux à qui on a affaire).
T’avais des yeux d’enfant
Des yeux couleur de l’océan
Moi pour faire le malin
Je chantais en italien
Il a été prouvé statistiquement (séminaire de Boston - 1978 - communication de Whales et Hoggart) que
les yeux d’enfants sont à 78,09 %, couleur d’océan. Nos deux amis ne
pouvaient pas ignorer cette avancée décisive de la recherche. Mais
on constate surtout avec quelle humilité ils glissent subrepticement
l’information dans leur texte. L’observateur sérieux ne s’y trompe pas
: sous ces allures faussement frivoles, c’est la marque des grands
penseurs qui transparaît avec éclat.
Lorsque l’on connaît leur
parfaite maîtrise de l’italien, on ne peut s’empêcher d’esquisser un
sourire à la lecture des deux derniers vers : David et Jonathan n’ont
rien à apprendre d’un Umberto Ecco et leur modestie se transforme ici
en élégante pirouette.
Est-ce que tu viens pour les vacances
Moi je n’ai pas changé d’adresse
Je serai je pense
Un peu en avance
Au rendez-vous de nos promesses
Tous les ans, nos compères réservent un petit studio sur la côte normande où ils ont leurs habitudes, où ils se sentent bien, comme chez eux. C’est toujours avec bonheur qu’ils retrouvent les croissants au beurre de madame Dubois, la boulangère, les côtes de porc de monsieur Bernard, le boucher, et le sable fin de cette petite plage dont nous tairons le nom pour préserver leur intimité. Et tout ça pour 525 euros les deux semaines, charges comprises. C’est dans cette petite station balnéaire au doux parfum d’autrefois qu’ils ont rencontré l’année passée l’Idéal Féminin (celle avec le crocodile sur le blouson) et ils aimeraient bien la revoir, ça se comprend. Ils seront sans doute un peu en avance car leurs vacances débutent la dernière semaine de juin et la saison n’est pas vraiment commencée.
Je reviendrai danser,
Une chanson triste, un slow d’été
Je te tiendrai la main
En rentrant au petit matin
C’que j’ai pensé à toi
Les nuits d’hiver où j’avais froid
J’étais un goéland
En exil de sentiments
David et Jonathan nous décrivent leurs
vacances de rêve avec la fille au croco : un slow qui dure jusqu’à cinq
heures du matin (nous sommes dans le domaine du fantasme, rappelons-le)
puis rentrer dans leur studio en tenant la main de l’être sublime - et
prendre congé dans la cage d’escalier, car nos deux philosophes, malgré
leur apparence d’irrésistibles séducteurs, sont avant tout des gentlemen
qui savent se tenir.
Mais
bientôt on s’écarte du rêve pour se remémorer de douloureux souvenirs
d’hiver : la chaudière en panne, le froid qui pénètre les os, la buée
qui sort de la bouche et s’envole au plafond. Au milieu de cette
situation désespérée, une image s’impose à l’esprit : celle du goéland
en exil de sentiments. Nous avons eu l’occasion, lors du visionnage
d’un fort intéressant documentaire du Nationnal Géographic, d’observer
un goéland en exil de sentiments. Eh bien, c’est pas joli à voir.
Pour conclure, l’histoire ne dit pas s’ils se la sont faite, la fille au croco. Ou est-ce que David besognait la bougresse tandis que Jonathan, planqué dans l’armoire à linge, n’en perdait pas une miette ?
Incertitude de la philosophie...
"Sont-ce des chemises blanches à rayures noires ou des chemises noires à rayures blanches ?" semblent-ils nous interpeller.
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