De La Rafle à L’Enfer de Bosch ou le poids des noms
Il n’y a certainement pas de quoi en faire une thèse, mais c’est tout de même étonnant que la réalisatrice du film La Rafle – traitant de la déportation de 13000 juifs en juillet 1942 via la tragique rafle du Vel d’Hiv – s’appelle Rose… Bosch. D’ailleurs, dans le métro parisien, sur l’affiche du film, on voit ce nom bien en évidence et, plus bas, La Rafle écrit en rouge sang avec, en contrebas, des gamins en culottes courtes portant l’étoile jaune. De quoi Bosch est-il le nom ? Bosch, on pourrait dire comme le peintre fantastique illustre (1450-1516) ou comme la marque d’outillage et d‘électroménager (cf. le « c’est bien, c’est beau, c’est Bosch »), jusque-là pas de problème, mais surtout comme les… Boches durant la Grande Guerre et Seconde Guerre mondiale, terme péjoratif pouvant d’ailleurs s’écrire de différentes manières : Boche, Bosh ou Boch. Pour la petite, et surtout grande, histoire, il semblerait que cette appellation « Boche », provenant de l’argot, d’Alsace et de la fin du XIXe siècle, désignait quelqu’un d’intraitable, qui a la tête dure, telle une tête de bois ou une boule en bois lancée dans un jeu de quilles. Boche, comme caboche (qui signifie la tête). Et Boche comme dérivé d’Alboche : le terme boche (1879) est une aphérèse d’Alboche, le préfixe Al désignant l’Allemand et le suffixe Boche le bois, ce qui revenait à dire que le soldat allemand – brutal, grossier, lourdaud, nazi à venir - était sans cœur à l’instar du bois ; et d’où la marque La Roche Bobois, mais non, ceci est une blague ! Ces deux ou trois choses sur Boche c’est ce que l’on peut trouver en faisant de simples recherches dans un dictionnaire d’argot et sur Internet.
Rose Bosch, curieux nom d’ailleurs. On pourrait penser à un avatar farcesque, voire à un fake. En tout cas, il peut faire office d’oxymore tant il cultive l’expérience des contraires ; il fusionne la légèreté d’une fragrance féminine (la rose) avec la dureté du métal estampillé Bosch. Et si l’on y regarde de plus près, cette réalisatrice a fait un film à l’image de son nom, une sorte de greffe improbable. La Rafle : d’un côté, le parfum de la rose, l’innocence de l’enfance, les chères petites têtes blondes et, de l’autre, la froideur métallique, la barbarie nazie.
Bref, imaginons une réalisatrice qui aurait fait un film sur la Shoah en s’appelant Rose Fritz ou Rose Chleuhs : « étonnant, non ? » se serait dit Desproges. Avec Roselyne Bosch revisitant la rafle du Vel d’Hiv, avouons-le, on n’est pas très loin de ça tout de même. Ca peut être vu comme le retour du refoulé ; l’affiche de l’un de ses précédents films (Animal, 2006) avait déjà pour phrase d’accroche : « L’homme est la seule espèce qui tue par plaisir… ». En faisant une petite psychanalyse sauvage (et j’espère que cette cinéaste pleine de bonnes intentions ne m’en voudra pas trop), on peut se dire que Bosch étant un nom difficile à porter, il est possible que, pour échapper à ce patronyme lourd de sens et de signification historique, on en vienne à vouloir expier ce nom (propre ? fautif ?), et à chercher coûte que coûte à le délester de sa charge critique via la réalisation-catharsis d’un « film utile » qui dénonce et condamne, à travers la monstration de chiens policiers, de gendarmes zélés et de camps de transit quadrillés par des miradors et barbelés, les atrocités commises par les « Boches » et certains Français sous l’occupation. L’Enfer de Bosch sur grand écran, quoi. Par exemple, si cette réalisatrice s’était appelée Roselyne B…achelot, peut-être nous aurait-elle signé un film d’horreur déceptif sur une menace d’orage grippal à l’horizon qui n’arrive jamais !