De Milan à Sienne. Le Seicento printanier de Glossa
Les amoureux de la musique italienne du 17ème siècle seront comblés avec deux sorties récentes parues chez Glossa : un nouveau disque de la Compagnia del Madrigale consacré aux motets et contrafacta de madrigaux de Claudio Monteverdi et un double album de Laboratorio ‘600 et Roberta Invernizzi qui défrichent des lamentations d’Alessandro Della Ciaia.
On ne présente plus la Compagnia del Madrigale que l’on avait déjà chroniqué il y a un an à l’occasion de leur disque Marenzio paru chez le même éditeur. Ici, le programme se révèle moins original au premier abord car par définition le contrafactum d’un madrigal de Claudio Monteverdi (1567-1643) garde la même mélodie, seul le texte change. Cependant, il n’est pas si courant d’enregistrer un florilège de ce type d’œuvres, qui plus est couplé à des motets édités dans un recueil de Giulio Cesare Bianchi (1620) que l’on ne trouve pas servis si souvent au disque. En effet, il faut remonter au disque du Poème Harmonique « Nova Metamorfosi » (Alpha) pour trouver traces de contrafacta et à celui du Concerto Italiano sous la direction de Rinaldo Alessandrini « Musica Sacra » (Opus 111) pour être confronté à certains de ces motets épars ; pages qui ont le tort de ne pas figurer soit dans le Selva Morale e Spirituale de 1640 soit dans le Messa a quattro voci et salmi de 1650, les deux principaux recueils de musique religieuse après celui de 1610 contenant les Vespro della Beata Vergine et la Missa in Illo Tempore.
Adapter une œuvre profane à l’espace religieux par le changement des paroles est un procédé déjà bien en place depuis plusieurs siècles. La musique profane de Monteverdi laissait une telle empreinte dans les esprits qu'il fut inévitable de l'importer dans les lieux sacrés avec la substitution des poèmes par des textes latins. C’est ce que fît dans trois recueils Aquilino Coppini à Milan entre 1607 et 1609 en puisant essentiellement dans les quatrième et cinquième livre de madrigaux du célèbre compositeur et en reprenant tant la structure du vers italien que l’intensité émotionnelle originelle. Ils sont entrecoupés par les motets tirés du recueil de Bianchi où l’ensemble, dans l'intérêt d'une approche madrigalesque à une voix par partie, a sélectionné ceux à cinq et six voix. Il existe encore d’autres motets pour voix seule que l’on retrouve dans le disque d'Alessandrini mentionné plus haut. Enfin, la pièce éponyme Il pianto della Madonna est une adaptation par l'ensemble de la version pour voix seule parue dans le Selva Morale et qui précédemment avait déjà été adapté dans sa version profane — la fameux Lamento d’Arianna — par Monteverdi lui-même dans son sixième livre de madrigaux en version à six voix.
La version « de chambre » de La Compagnia del Madrigale est jouissive à souhait. Si la filiation avec les madrigaux est patente et justifie le parti-pris esthétique, force est de constater que la réalisation est à la hauteur des précédentes, le groupe parvenant à créer un son qui entre en résonance avec l’adaptation religieuse même si c’est parfois au détriment d'un moindre engagement dramatique comme dans les Litaniæ de la dernière piste. On ne peut cependant que louer la cohésion de l’ensemble et l’attention portée au texte. Et c'est peut-être dans les motets du recueil de G.C. Bianchi que le groupe convainc totalement (extatiques Christe adoramus te et Cantate Domino en pistes 7 et 8 notamment). C'est aussi dans le renouvellement de notre écoute des madrigaux des quatrième et cinquième livres que l'ensemble trouve des couleurs et des sons attestant leur maitrise du répertoire depuis longtemps. Voilà donc un disque qui nous plonge à nouveau dans l’attente du prochain tant chaque sortie ne déçoit pas depuis leur début chez Arcana.
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Claudio Monteverdi (1567-1643)
Il pianto della Madonna (extraits en bas de page)
La Compagnia del Madrigale
2016 Glossa GCD 922805
Ce disque peut être acheté ICI
Voici un projet comme seul Glossa pouvait le porter à bout de bras : un double album d’une musique inédite portée par des artistes au sommet de leur art. Toujours dans le Seicento et plus précisément à Sienne, la soprano Roberta Invernizzi et Laboratorio ‘600 nous emmènent à la découverte d’Alessandro Della Ciaia (c. 1605 - c. 1670) et de son deuxième recueil paru en 1650 après un premier de madrigaux paru quinze ans plus tôt. Celui qui nous intéresse comporte les Lamentations de Jérémie pour la Semaine Sainte à destination des religieuses siennoises et reste la seule source existante de ce type de répertoire.
A l’écoute de ces lamentations, il est fort à parier que les religieuses connaissaient très bien la musique. L’écriture précise du compositeur joue sans cesse sur les contrastes et l’ambitus de la voix afin de rendre le texte expressif. Ainsi, les changements d’harmonie sont légion et n’arrivent jamais par hasard mais fonctionnent plutôt comme des madrigalismes qui peignent les mots. On trouve des chromatismes, des dissonances ou encore des passages mélismatiques afin de varier les procédés rhétoriques. Le tout montre un Della Ciaia assuré et chatoyant, loin de ce que l’on appelle parfois avec dédain les « petits maîtres ».
Et une grande musique ne serait rien sans l’engagement des protagonistes. L’interprétation de Roberta Invernizzi n’appelle qu’à des éloges. Il se déploie de son chant tout un théâtre qui donne corps aux œuvres, montrant à travers les deux disques toute sa maitrise d’un style et d’un répertoire qu’elle aborde avec autorité. Ce parti-pris d’une flamboyance des affects a parfois son revers, à savoir celui d’une ligne trop tendue qui expose la soprano à fleur de peau. Cependant, ces scories (toutes relatives) donnent un charme supplémentaire à la réalisation et sont la preuve d’un investissement dramatique total. Enfin, n’oublions pas que toute l’intimité de cette musique est merveilleusement rendue par les musiciens de Laboratorio ‘600 dirigés par Franco Pavan qui ont choisi la harpe, le luth et l’orgue pour l’accompagnement.
Alessandro Della Ciaia (c. 1605 - c. 1670)
Lamentationi (extrait en bas de page)
Roberta Invernizzi
Laboratorio ‘600
Franco Pavan, direction
2016 Glossa GCD 922 903
Ce disque peut être acheté ICI
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