De quand date le numérotage des immeubles ?
Le bicentenaire de la bataille de Waterloo a, dans de nombreux médias, donné lieu à une évaluation du bilan de la période napoléonienne. Parmi les propos entendus sur les ondes figurait cette affirmation : « C’est à Napoléon que l’on doit le numérotage des immeubles ». Vrai ou faux ?
En réalité, c’est tout à la fois vrai et faux. C’est en effet Napoléon qui a donné des instructions à Nicolas Frochot – nommé par ses soins préfet de Paris en mars 1800 – pour que soit généralisé le système actuel de numérotage des immeubles dans la capitale. Ce projet était concomitant avec le percement de nouvelles rues et la réalisation de nombreux aménagements de la voirie conduits par celui qui fut le premier préfet de la capitale et, comme maître d’ouvrage, un précurseur des futurs travaux de l’un de ses successeurs à la préfecture de Paris, le baron Haussmann.
Si le numérotage a été généralisé sous l’Empire à la suite d’un décret daté du 4 février 1805, il préexistait toutefois déjà, tant dans la capitale que dans plusieurs villes de province. Mais il ne concernait souvent que des quartiers très limités en superficie et caractérisés par une importance économique ou administrative signalée. Le plus ancien numérotage connu en France remonte même à... 1507 : il concernait, nous dit l’historien Jacques Hillairet, les 68 maisons construites sur le pont Notre-Dame.
D’autres initiatives de numérotage partiel furent ensuite prises à Paris au cours du 18e siècle (1726, 1740 et 1765). Sans grand succès. Plus ambitieuse, une décision d’Anne Gabriel de Boulainvilliers, alors prévôt de Paris, imposa en 1775 aux habitants des maisons situées intra-muros de peindre un numéro au-dessus de chaque porte d’immeuble dans un ordre croissant. Mais cette initiative se heurta à deux obstacles :
D’une part, l’opposition des riches propriétaires de maisons cossues à porte cochère, et a fortiori d’hôtels particuliers : pas question pour eux d’être soumis à la même règle que les tenanciers d’échoppes ou de gargottes. Outre ce motif de classe, ces personnages voyaient là une possible menace d’imposition nouvelle, ce qui n’était pas de nature à les rendre coopératifs.
D’autre part, le système de numérotage lui-même. Il allait en effet du début de la rue jusqu’à la fin de celle-ci en suivant une rive, avant de revenir ensuite en longeant l’autre rive jusqu’à son lieu d’origine. Conséquence de ce système, le n°1 pouvait faire face au n°200, ou le n°53 au n°137 ! Pas grave en soi, certes, mais comment numéroter dans l’avenir les nouvelles maisons en cas de prolongement de la rue ?
L’aberrant système révolutionnaire
Après cet échec, il fallut attendre le 1er décembre 1790 pour qu’un nouveau système soit mis en place dans la capitale. Mais ce « numérotage révolutionnaire » se révéla encore plus inadapté et incohérent que ses prédécesseurs. Et pour cause : la ville de Paris ayant été divisée en 48 sections, certaines portions de rue se trouvèrent appartenir à des sections différentes. Or, chaque section disposait de sa propre numérotation. C’est ainsi que l’on put voir des numéros identiques en différents endroits des rues les plus longues !
Il est vrai que cette réforme avait moins pour finalité l’orientation des personnes ou la distribution du courrier que le recensement fiscal des lieux de résidence, chaque maison devant être identifiée par l’administration républicaine pour permettre à celle-ci de recouvrer taxes et impôts. Il va sans dire que ce numérotage aberrant contribua beaucoup à la volonté napoléonienne d’implantation d’un système fiable et pérenne.
À très peu de choses près, c’est le système actuel de numérotage des immeubles dans les rues de Paris qui est né en 1805. De cette époque datent la mise en place des numéros impairs sur la rive gauche des rues et des numéros pairs sur la rive droite. C’est aussi le décret du 4 février qui a fixé comme règle que le début des rues irait de l’amont vers l’aval pour les rues parallèles à la Seine, et du centre vers les faubourgs pour les rues perpendiculaires au fleuve. Initialement, les numéros furent directement peints sur les façades des maisons avant de l’être sur des petites plaques de fonte. Les actuelles plaques émaillées à chiffres blancs sur fond bleu furent progressivement mises en place à partir de 1847, un arrêté de la préfecture ayant contraint les propriétaires à opter pour ce nouveau code couleur afin qu’il soit en harmonie avec les plaques portant les noms de rue.
Le système utilisé à Paris se retrouve dans la plupart des villes de province et européennes. Il est dit « séquentiel », les chiffres étant attribués, de manière alternative entre la gauche et la droite d’une rue, depuis le début ce celle-ci jusqu’à son extrémité. Inconvénient de ce système : la difficulté à intégrer de nouveaux numéros lorsqu’une grande bâtisse disparaît pour être remplacée par des immeubles de taille plus modeste. D’où la présence, ici et là, de numéros bis, ter, ou même quater.
Il existe un autre système, assez couramment utilisé dans les pays anglo-saxons, notamment pour les villes à habitat espacé où les rues courent parfois sur de longues distances. Ce système est dit « métrique ». Comme dans le système séquentiel, les numéros impairs et pairs sont répartis de chaque côté de la rue, mais il n’y a pas de séquence des numéros : ceux-ci sont la traduction pure et simple de la distance depuis le point d’origine de la rue, le n°171 étant situé à 171 mètres du début de la rue, ou le n°1422 à 1,422 km du début de cette même rue. Avantage de ce système : la possibilité d’intégrer sans difficulté des nouveaux numéros sur les terrains situés entre deux immeubles en cas de besoin.
Enfin, un troisième système, dit « séquentiel par bloc » existe également, mais il est peu répandu. On le trouve principalement dans les quartiers à découpage géométrique en damier de quelques villes américaines. Comme son nom l’indique, il utilise un numérotage séquentiel au sein de chaque bloc, le numéro de départ pouvant offrir une aide à l’orientation, par exemple en affectant la 1ère centaine au 1er bloc, puis la 2e centaine au 2e bloc, et ainsi de suite.
Pour terminer, retour à Paris. Dans cette ville où il y a tant à voir, l’insolite peut parfois se nicher dans le détail des façades, notamment dans les quartiers historiques du centre de la capitale. On y trouve de séduisants mascarons, de superbes linteaux sculptés, des inscriptions gravées, mais aussi, ici et là, le souvenir figé dans la pierre d’un ancien numéro, parfois inscrit dans un très beau cartouche. Avis aux amateurs...
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