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Désespoir sur Écritoire

Faire de sa vie un roman…

Depuis quelques temps, j’échange de nombreux messages avec un vieil ami septuagénaire qui vit un drame personnel qui le laisse désemparé. L’homme a perdu de nombreux kilos, son visage émacié laisse entrevoir une tempête intérieure qui n’a de cesse de tourmenter ses jours comme ses nuits. Il tourne en boucle sur ce drame personnel qui le hante et le laisse sans explication.

Il y a peu pourtant, tout son univers avait pris un formidable coup de fraîcheur. Une dame était entrée dans son existence, une joyeuse effraction pétillante qui avait fait de ce vieil ours solitaire un autre homme. C’était un bonheur que de constater la métamorphose de l’écrivain ronchon. Même sa plume avait pris son envol.

Puis soudain, au sortir d’un confinement qui les avait réunis, la dame a pris ses affaires, a claqué la porte pour ne plus lui redonner signe de vie. Elle a rompu les ponts, couper tous les liens qu’ils avaient établis en ce peu de temps. Un véritablement tremblement de terre dans un domaine qui sans elle allait retourner à l’état de tanière ou de bauge.

Un seul être vous manque et tout est différent. Mon ami n’a de cesse de revisionner en boucle ces derniers instants qu’il ne parvient toujours pas à s’expliquer. Il me raconte pour la énième fois ce moment fatal, il se parle à lui-même cherchant dans la réitération permanente de cette rupture une explication qui se refuse à lui.

Je l’écoute, je ne peux que ça pour lui apporter un peu de réconfort. Parfois je tente la diversion, le conduit insidieusement sur un autre sujet. Le stratagème ne dure que quelques instants, inévitablement un mot, une personne, une évocation le replace dans sa spirale infernale. C’est douloureux, c’est pathétique même et pourtant je ne cesse de me persuader que le laisser dire est primordial.

Les chagrins d’amour n’ont donc pas d’âge. Ils détruisent totalement leur cible, sapent le moral, touchent la santé, hantent les nuits, peuplent les jours entiers. Je suis témoin de ce récit qui se déroule une fois encore, identique, obsédant, visqueux parfois. Je suis englué dans mon impuissance à lui apporter autre chose qu’une écoute impuissante et pourtant j’ai la conviction qu’au bout de ce long tunnel, la lumière ne peut venir que de cette incessante répétition.

Je sais aussi que l’homme a des ressources, qu’il accumule de la matière pour une prochaine œuvre. Il utilisera nos échanges épistolaires, des fragments de nos conversations. Il fera de même avec d’autres qui lui tendent pareillement la main. Il le reconnaît, il établit des fiches, se constitue une base de données qui un jour, transcenderont le désastre de l’heure.

C’est alors que je me dis que celui qui écrit n’est pas tout à fait comme les autres. Au plus noir d’une expérience, au plus profond du désespoir, il trouvera les ressources d’un rebond personnel mais plus encore, la source d’inspiration pour un nouveau roman. Il y a quelque chose qui s’apparente à du vampirisme et c’est de son propre sang qu’il se nourrira quand le plus dur sera passé.

Je le sais mais je ne peux lui dire. Pour l’heure il n’est pas capable d’entendre que son calvaire est le point de départ d’une autre aventure, littéraire celle-ci. Elle ne remplacera en rien celle qui s’est achevée, elle la sublimera, lui donnera enfin un sens et une issue qui échappera à la triste et inéluctable réalité.

Je le laisse avec ce désir de coucher sur le papier ces réflexions. L’un comme l’autre, nous ne valons sans doute pas le papier que nous noircissons. Beaucoup prétendront que c’est inutile, impudique, indécent. J’avoue ne pas comprendre ce qui me pousse à pareille confession, mais elle éclaire sans doute ce mystère permanent que constitue l’écriture, avec ou sans talent, là n’est pas l’explication de cet insondable mystère.

Littérairement sien

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12 réactions à cet article    


  • Loatse Loatse 14 août 2020 19:12

    Bien des couples récents, qui semblaient prometteurs et témoignaient d’une belle entente ont rompu après le confinement (voire au début pour certains), c’est nabum.

    Enfin j’en connais au moins deux dans mon entourage proche. et pourtant pour reprendre cette expression bien connue « on leur aurait donné le bon dieu sans confession)..

    Mais voilà, le »bidule« est passé par là avec son effet tsunami chez les célibataires, les isolés, les jeunes et les vieux couples...

    Certainement ceux qui avaient surmonté bien des épreuves en commun (et la vie n’en est pas avare) ont trouvé la force de surmonter celle ci. leurs liens étaient faits aussi de nombreux moments heureux, de »constructions« (de famille, de maison, de voyages), de projets aboutis, bref d’un long cheminement...et c’est certainement ce à quoi ceux ci se raccrochent quand les circonstances de la vie deviennent chaotiques..

    Toutefois il faut rendre à cesar ce qui appartient à cesar... ce que nous avons tous vécu, n’était vraiment pas propice à inscrire les »jeunes« couples dans la durée..

     »bidule" le morbide a rompu la magie, brutalement, envahissant le quotidien, les esprits, balayant la joie, l’insouciance, rendant l’avenir incertain et les lieux de vie clos. 

    L’intimité devenue obligation et non choix par la force des choses vécue comme pesante, inconfortable.

    Alors comme ceux qui changent de vie pensant effacer ce qu’ils ont vécu de perturbant, les plus déboussolés laissent derrière eux, ce, ceux qui pourraient leur rappeler par leur simple présence, ces moment d’angoisse...

    Je ne doute pas cependant que votre ami possède en lui la force intérieure, les ressources nécessaire pour surmonter l’adversité. Ecrire ou envisager d’écrire c’est déjà choisir la vie....


    • C'est Nabum C’est Nabum 14 août 2020 20:32

      @Loatse

      Je souhaite pour lui que l’épreuve actuelle se termine de manière heureuse par un livre sans doute, un nouvel amour aussi

      Le confinement a dévoilé bien des failles


    • juluch juluch 14 août 2020 21:23

      Peut etre qu’il y a eu une dispute, une histoire qui fait que le couple explose....


      • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2020 06:29

        @juluch

        C’est je crois bien plus compliqué que ça

        Ils se sont sans doute trompés l’un l’autre sur ce qu’ils étaient vraiment et le confinement a été révélation tragique


      • exosphene exosphene 14 août 2020 21:30

        Beaucoup prétendront que c’est inutile, impudique, indécent : ça l’est !

        Écrire s’est prendre le risque de vivre.

        Beau texte.


        • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2020 06:29

          @exosphene

          Merci beaucoup


        • Areole Areole 14 août 2020 23:41

          « Il y a quelque chose qui s’apparente à du vampirisme et c’est de son propre sang qu’il se nourrira quand le plus dur sera passé. »

          Bien dit Nabum !

          Mais vous, Nabum, vous vous n’avez même pas attendu que le « plus dur » de votre « ami » soit « passé » pour le vampiriser... Bravo vous êtes un vampire (ou un vautour ?) très rapide. 


          • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2020 06:30

            @Areole

            Savez-vous que si vous avez raison sans nul doute, j’ai écrit ce texte avec l’assentiment de mon camarade et certainement le désir secret pour lui qui devienne message à sa dulcinée


          • Areole Areole 15 août 2020 22:18

            @C’est Nabum
            Je m’en doutais ! Vous n’êtes pas homme à profiter de la misère du bas peuple pour faire votre article quotidien.


          • C'est Nabum C’est Nabum 16 août 2020 09:16

            @Areole

            L’ironie perce


          • Adèle Coupechoux 15 août 2020 08:21

            Joli texte.

            Ils ne se sont pas forcément trompés.

            Pas pendant le temps que l’ivresse les aura tous les deux en même temps saisis, enfin je l’espère pour eux.

            Peu importe le temps que ça dure, 1 heure, 2 mois, 40 ans, l’intensité est ce qu’il y a de plus délicieux. En amour, comme en écriture, comme dans n’importe quelle discipline artistique. La création est un mystère.

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