Destinée : Guy Marchand (1937-2023)
Bonjour l'angoisse, Guy Marchand (1937, quartier populaire de Belleville, Paris - 2023, Cavaillon, dans le Vaucluse, 84), acteur et chanteur, accessoirement passionné de bagnoles américaines années 1960 (passion qui l’aurait ruiné), est mort (©photos V. D., pour la plupart). Nestor Burma, détective un peu Gavroche gouailleur lui allant comme un gant créé par Léo Malet et diffusé sur Antenne 2 de 1991 à 2003, casse sa pipe à 86 ans. Exit Charlie Dingo. Y’a plus de rumba dans l’air. Notre père « s’est éteint paisiblement ce vendredi [le 15 décembre dernier] à l'hôpital de Cavaillon », ont indiqué Jules et Ludivine, ses enfants, dans un communiqué.
- Guy Marchand, aux côtés de Tonya Kinzinger, dans « Nestor Burma » cartonnant en termes d’audience, dans les années 1990, sur France 2
D’abord musicien de jazz, Guy Marchand, ce fils d’un ferrailleur et d’une mère au foyer, qui aimait imiter dès 9 ans avec sa clarinette offerte par son paternel Sidney Bechet et qui plus tard se nommera « le guignol des Buttes-Chaumont », titre de son autobiographie sortie en 2007 aux éditions Michel Lafon, devint célèbre en chantant La Passionata (1965), un beau succès d’estime, pastiche d’un flamenco douloureux qui le fera repérer par Eddy Barclay en personne, grand imprésario à l’époque, signant aussitôt un contrat avec lui. Ses talents de comédien, lui qui aime jouer les crooners au bord du ringard, sont bientôt pressentis par Robert Enrico, décidant de le faire jouer, auprès de B.B. alors au sommet de son sex-appeal (il y campe un beau brun tombant en pâmoison devant le mythe Bardot), dans Boulevard du rhum en 1971. Convaincant en latin lover raide dingue de la Bardot, Guy Marchand voit ainsi sa carrière cinématographique lancée.
Au cinoche, il jouait souvent les connards (dragueur de plage lourdingue, macho, veule consternant, cocu, brute, playboy pédant, petite frappe odieuse, mari casanier colérique, chef d’établissement scolaire survolté, inspecteur ripou, garagiste de province cynique, salaud intégral…) et on l'aimait bien pour ça - il a d’ailleurs toujours prétendu se régaler à jouer les cons. Pas facile de jouer un con - a joué dans P'tit con, 1984, titre révélateur -, plus facile, lorsqu’on est acteur, pour son image et son amour-propre, de jouer un gentil, voire un héros.
Latin Lover Computer
- Guy chanteur dans « Les Sous-doués en vacances », 1982, de Claude Zidi
Le slow langoureux Destinée (in Le Père Noël est une ordure, 1982, adaptation d'un grand succès théâtral du Splendid par Jean-Marie Poiré, filmeur frénétique qui monte plus vite qu’une Formule 1) : chanson culte, pour une comédie noire culte, féroce satire des SOS Amitié aux répliques utilisées dans le langage courant tels des codes, qui me revient aussitôt en tête, via sa belle voix de crooner : ce grand amateur de jazz, de blues et de tango jouait aussi régulièrement, avec talent, de la clarinette. Tube entêtant ô combien suranné accompagnant, avec malice, la danse culte urticante, collée… détachée, entre Clavier en travelo (BRONSON !) et Lhermitte en costard-cravate, l’intéressé considérant, non sans humour, que ce hit au second degré, ne faisant aucunement tapisserie dans ce film dingo, était « sa principale contribution au patrimoine culturel » !
- Le chaleureux Guy Marchand sur scène en 2006, faisant le crooner. PhotoPQR/ « Le Républicain lorrain »/Drolc Gérard
- Sacrée « Destinée » ! Clavier et Lhermitte dans « Le Père Noël est une ordure », 1982, de Jean-Marie Poiré
Soit dit en passant, c’est une chanson ringarde et humoristique, maintes fois parodiée avec le temps, créée à l'origine pour Les Sous-doués en vacances (1982, évocation attendrie de l'adolescence avec le tout jeune Daniel Auteuil surnommé "Bébel" dedans) et utilisée la même année dans Le Père Noël..., qu'il détestait un max. Pastiche au départ, en reprenant ses notes à l'envers, de la chanson de Joe Dassin, L' Été indien, succès de 1975, Guy Marchand a écrit cette Destinée, lui collant définitivement à la peau, avec Philippe Adler et composé avec Vladimir Cosma pour Les Sous-doués en vacances dans l'idée, autour de la séquence amusante Love Computer du film (l'on y voit Memphis (Marchand, ayant pour assistante personnelle primesautière Claudine, jouée par Grace de Capitani) et l'inventeur du "love computer", campé par Jean-Paul Farré en train de composer la chanson, puis un show sur scène où sont testées, sur des cobayes, diverses versions du slow avec des paroles différentes), de se moquer ouvertement de la variété française du moment, des chansons faciles, du monde du show-business en général, via ses producteurs assoiffés de pognon, ainsi que de l'usage exagéré du synthétiseur, nouvel instrument alors en vogue.
- Guy Marchand en 2020 à Paris. Photo, détail, François Bouchon/« Le Figaro »
Au Figaro en 2020, l'acteur-chanteur déclarait encore, se considérant avant tout comme jazzman et non pas chanteur de variétés, aussi il n'intégra jamais ce morceau ni dans ses disques et compilations (à son actif une douzaine d’albums studio, allant de Je cherche une femme en 1969 à son tout dernier, Né à Belleville en 2020), ni dans ses divers spectacles, : « C'est la preuve qu’on peut chanter une chanson que l’on n’aime pas (...) Je dois vivre avec cela, moi qui ne jure que par le jazz et le tango ! », poursuivant dans un autre entretien : « C'était une blague, une connerie pour l'été, et on en a vendu 250 000 exemplaires ! J'étais vexé ! »
Néanmoins, composé par le talentueux Vladimir Cosma, chef d'orchestre et compositeur franco-roumain de musiques de films, ce titre-ritournelle, qui a connu un immense succès dans le monde entier, reste l'un des grands moments musicaux du Père Noël..., avec une émotion qui passe, tant au premier qu'au douzième degré : « J'ai écrit Destinée, précise le vétéran Cosma (83 ans, né en 1940 à Bucarest, Roumanie, il faisait encore le Grand Rex en juin dernier) à Stéphane Lerouge dans le livret du CD de la bande originale du film chez Pomme Music/Sony Music France, comme une vraie chanson populaire, dénuée de tout aspect ironique, puisque dans le film [Les Sous-doués en vacances] elle personnalisait une caricature de playboy, brillamment interprété par le chanteur et comédien Guy Marchand. » Tout dernièrement, ce compositeur célèbre (La Boum, Rabbi Jacob, Diva, L’As des as, Le Bal…), ne manquait pas d’évoquer Guy Marchand, afin de lui rendre hommage (in le papier Il préférait le jazz à son tube, propos rapportés par Éric Bureau), dans le quotidien Aujourd’hui #8059 (sam. 16 déc. 2023, p. 27) : « C’était un homme un peu spécial, étrange, brillant, qui a fait une carrière à part, ni à 100% accompli comme comédien, ni à 100% accompli comme musicien [petite vacherie tout de même ! NDLA]. Il n’était pas conventionnel. C’était à l’origine un chanteur et un musicien de jazz. Il était clarinettiste, jouait un peu d’accordéon. Je garde de lui le souvenir un peu attendri d’un personnage qui donnait l’air d’être léger et amusant alors qu’une grande tristesse ressortait de lui quand on le connaissait profondément. »
Et, pour la petite histoire, afin d'illustrer la danse entre Pierre Mortez (Thierry Lhermitte) et Katia (Christian Clavier), le cinéaste Jean-Marie Poiré pensait utiliser pour son Père Noël… une chanson de Julio Iglesias, le chanteur de charme préféré du personnage de Zézette (Marie-Anne Chazel) mais, n'obtenant pas les droits, c'est Vladimir Cosma, non sans flair, qui le convainc, via l'accord de Guy Marchand et de Claude Zidi, d'opter in fine pour Destinée. On connaît la suite...
Sous la direction du cinéaste de Van Gogh
Puis, Guy Marchand, ce fan absolu de grands réalisateurs hollywoodiens de films noirs, on l’a rencontré, non plus seulement par la voix, au demeurant grave, mais en chair et en os, avec son crâne dégarni, ses pas de côté, ses silences ainsi qu’avec ses sourcils épais et noirs en accents circonflexes dans moult seconds rôles qu’il embrassait, insatiable, avec boulimie, dont celui de l'inspecteur de police adjoint de Lino Ventura dans l’excellent parce qu'elliptique Garde à vue (1981) de Claude Miller, avec également Michel Serrault, rôle où on le voit en salaud taper sur sa machine à écrire et le suspect, un passage à tabac durant l'absence du commissaire, qui lui avait valu le César du Meilleur acteur dans un second rôle en 82 : « Ça m'a donné un peu d'autorité dans le métier car on ne me prenait pas au sérieux comme chanteur de variété ! », dixit Marchand.
- Pauline Lafont et Guy Marchand dans « L’Été en pente douce » (1987, Gérard Krawczyk)
Et je me souviens également de lui dans L'Été en pente douce (1987, de Gérard Krawczyk, j'aime beaucoup ce long-métrage, petit chef-d'œuvre bénéficiant d'un casting de rêve (Villeret, Bacri, Bouise, Chabrol en prêtre et Marchand), d'après un roman homonyme de Pierre Pelot, à l'ambiance poisseuse et un brin mortifère, souvent rediffusé à la téloche, avec feu Pauline Lafont (1963-1988) en Marilyn régionale faisant des ravages auprès de la gent masculine), de sa présence complice aux côtés de Bébel en clown rigolo et guignolo dans l’enlevé Hold-up (1985, tourné au Canada et filmé à l'américaine !, par Alexandre Arcady), ainsi que de l’incontournable, dans le registre du rire blagueur de potaches, Les Sous-doués en vacances (1982, Claude Zidi) : souvenirs d'enfance, vu gosse (nostalgie de jeunesse), dans une France encore insouciante ; ciné populaire, me direz-vous. Et alors ? C'est bon aussi, le cinoche tous publics efficace et bon enfant.
- « Hold-up » (1985, Alexandre Arcady) avec Bébel et Guy Marchand
- « Dans Paris » (2006, Christophe Honoré) : Guy Marchand, en papa poule, au chevet de son jeune fiston Louis Garrel
Sans oublier ses prestations mémorables dans le cinéma d’auteur : Une belle fille comme moi, 1972, signé François Truffaut, Le Maître-nageur, 1978, de Jean-Louis Trintignant, Loulou, 1979, avec le turbulent Gérard Depardieu, du sans concession Pialat (c’était l’une de ses plus grandes fiertés d’avoir joué sous la direction du cinéaste de Van Gogh), Coup de torchon, 1981, du regretté Tatave (où il jouait de manière remarquable un chef de la police d’une colonie française en Afrique), Coup de foudre, 1983, de Diane Kurys, Conseil de famille, 1986, de Costa-Gavras, Les Maris, les Femmes, les Amants, 1989, du phalanstérien Pascal Thomas, Le Nouveau Monde, 1995, par Alain Corneau ou encore Dans Paris, 2006, de Christophe Honoré, dans lequel il interprétait, avec brio, un papa poule, attachant même si ronchon, autrement dit attachiant !, faisant du bouillon de poule pour son fils aîné dépressif (Romain Duris), suite à une rupture amoureuse ; dans Non ma fille, tu n’iras pas danser, 2009, du même cinéaste sentimental, visiblement attentif, façon Proust, aux détails culinaires à l’instar d’un Claude Chabrol, ce sont cette fois-ci les ennuyeuses... endives au jambon du dimanche en famille qui étaient à l’honneur ! Bref, que de bons souvenirs avec lui, en creux (via la bande-son obsédante) ou en images.
- Le cinéaste et écrivain Christophe Honoré (©polaroid V. D., le 23 janvier 2010, Fnac Paris) ayant donné à Guy Marchand l’un de ses derniers rôles marquants au cinéma « Dans Paris », 2006
Le chant du cygne
- Portrait de Macha Méril, ©photo V. D., galerie Cinéma (Paris), présentant son livre « L’homme de Naples » avec des photos de Luciano d’Alessandro, le 7 janvier 2023
Guy Marchand, au sourire irrésistible de grand séducteur aimant jouer sur la fin, comme dans la série Dix pour cent où il interprétait son propre rôle, le vieux galant déchirant, aimait les femmes et elles le lui rendaient bien. L’actrice Macha Méril, qui l’a rencontré comme conseiller en parachutisme sur Le Jour le plus long (1962) agencé par le producteur-réalisateur Darryl F. Zanuck (il avait fait la Légion étrangère et servi, au sein des forces aéroportées, comme para) puis recroisé bien plus tard, en 2021, pour La Dernière Partie dans lequel elle jouait sa femme alors qu’il était déjà très fatigué mais bien soutenu par son fils, en parle avec beaucoup de sensibilité et dé générosité, comme à son habitude, dans Aujourd’hui n°8509 (déc. 2023, Il savait tout faire, entretien avec Émeline Collet, p. 27) : « On ne sait jamais tout des autres. On découvre toujours des pans de vie qu’on ne soupçonnait pas. Guy était quelqu’un qui avait vraiment roulé sa bosse ! Je l’ai toujours considéré un peu à part, comme moi. Il n’appartenait pas au milieu du show-business. C’était un peu un outsider. J’avais beaucoup de tendresse pour lui. Il était assez grande gueule. Il faisait des gaffes épouvantables. Il n’était pas diplomate. J’aimais bien ça. Ce qui était magnifique, c’est qu’il portait beau. Il portait beau jusqu’à la fin. Il voulait être séduisant. Il tenait beaucoup à son allure, à sa coiffure, à ses vêtements. Il était malheureux d’être aussi diminué. Je pense que quand les hommes voient qu’ils ne seront plus les mêmes, qu’ils ne seront plus qu’un vieux monsieur dans un fauteuil, ils n’ont pas envie de rester. Ils n’ont pas envie de laisser une autre image. J’ai connu ça avec Michel Legrand (son mari de 2014 à sa mort). Je peux très bien comprendre que quelqu’un d’un peu fier ait envie de partir avant. »
- Guy Marchand, grand aficionado de polars et de cinéma classique américain. Opale. Photo (détail)/Hacquard-Loison
Plutôt modeste : « Je ne suis qu'un chanteur, disait Guy en 2015 sur France 5, quand je vais mourir, il ne restera pas grand-chose, peut-être un fond sonore, comme de la musique d'ascenseur. » Eh non, il reste davantage, me semble-t-il, et peut-être pour vous aussi, le cinéma étant, dixit Godard, « un transport en commun ». Et si Guy Marchand a joué dans Je hais les acteurs (1986, Gérard Krawczyk, l’un de ses réalisateurs fétiches avec Claude Miller, Gérard Lauzier, Jean Marbœuf et Jean-Marie Poiré), eh bien, au fond, on l’aimait bien, ce comédien, certes de second rôle mais pas pour autant de deuxième plan ; on le remarquait, il nous embarquait avec lui, dans son monde, entre rires, chansons et nostalgie : second couteau bien aiguisé. Je lui laisse volontiers le mot de la fin : « Destinée / Encore une fois le cœur déchiré / Je suis un clown démaquillé / Le grand rideau vient de se baisser / Sur l'été. » Indien ou pas. En pente douce ou non. Ciao, l'artiste.
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