Diego Amador : n’intimidez pas le pianiste
C’est une interview réalisée lors du Festival « Les Suds » à Arles, le 10 juillet 2007 (www.suds-arles.com). À l’origine prévue pour le site www.apaloseco.com, elle est restée inédite. Je la propose alors que sort un nouveau disque de Diego Amador, « Río de los Canasteros » (www.diegoamador.es) et qu’il tourne en France.
Issu du Polígono Sur de Séville, Diego Amador, « El Churri », a reçu de son père un orgue Hammond qui aurait été décisif dans la relation passionnée qu’il entretient depuis lors avec le piano. Il ne s’est pas contenté d’imiter ses grands frères Rafael et Raimundo (fondateurs du groupe Pata Negra, à l’origine d’une fusion originale du blues et du flamenco) mais, inconsciemment, à chercher à les dépasser... Avec un certain succès. On le retrouve sur un bon nombre de disques récents et à l’affiche de grandes manifestations flamencas. Diego Amador transforme tous les instruments qu’il touche en objets flamencos, même lorsqu’il voyage dans le jazz.
Votre disque Piano Jondo est sorti en Espagne en 2003*. Quelles ont été vos activités ensuite jusqu’à aujourd’hui ?
J’ai fait des tournées. Ensuite, le disque a été signé et diffusé en France récemment par Harmonia Mundi. J’ai de la chance car ce disque a deux vies, et il s’est beaucoup vendu en Espagne. Il se prolonge lui-même en quelque sorte, ça me rend heureux. Mais ce n’est pas mon premier disque sous mon nom, j’avais déjà enregistré El Aire de lo Puro, qui a aussi bien fonctionné. Ma maison de production m’a incité à continuer.
Pouvez-vous raconter les circonstances, à Barcelone, qui vous ont mené à l’enregistrement de Piano Jondo ?
Oui, ce disque a pour origine un mini-concert que j’ai donné pour les gens de Fantasy records et des professionnels, des producteurs rassemblés là. C’était une idée de Mario Pacheco, qui voulait que je joue pour une dizaine de personnes à la salle Jamboree, à Barcelone, surtout connue des amateurs de jazz (www.masimas.com/jamboree). J’ai joué du piano et il y avait un cajón. Quand on est descendus de la scène, ils m’ont directement demandé si on pouvait graver sur un disque exactement ce qu’on avait joué ! C’était un choc car, en réalité, je suis assez timide et je préfère partir tout de suite après mon concert. Mais ce sont finalement ces mêmes morceaux que j’ai enregistrés sur le disque, certes plus rôdés, plus travaillés. Toutes les pistes ont été enregistrées en trois jours, le cajón, la contrebasse. Puis, du travail de studio a suivi sur les palmas, les guitares, la mandoline.
Car vous faites presque tout vous-même, les différents instruments, le mixage... De même, dans le groupe de Tomatito, vous jouez du piano, de la basse et vous chantez !
Tout dépend de l’instant, mais sur le fond, en réalité, je suis surtout pianiste et cantaor. C’est ce qui me plaît le plus et que je fais en direct. Bon, avec Tomatito, le travail est très différent, sauf le chant qui est plus ou moins le même. Le cante jondo, traditionnel, reste le même au sein de son environnement de guitares et de palmas. Avec Tomatito, je joue principalement de la basse. À la maison, normalement, je compose à l’aide de la guitare, plus rarement avec le piano. Ensuite, j’apprécie de me sentir libre, de ne pas être limité et je fais beaucoup d’essais sur mon studio personnel à la maison, avec la basse, le cajón, le chant, etc. Quand il s’agit de composer, je cherche la plus grande ouverture. J’enregistre chaque instrument en solo, je le travaille, j’y reviens plus tard, j’élimine, je reprends, c’est tout ce processus que j’apprécie de faire complètement par moi-même et à mon rythme. Si je devais attendre que d’autres musiciens viennent apporter leur basse ou leur chant, tout serait différé dans le temps et moins libre.
À quoi vous rattachez-vous pour ne pas perdre pied dans cette liberté ? La tradition, l’identité, la famille, le barrio des 3 000 viviendas d’où vous venez... ?
Mes racines sont le flamenco, le flamenco transmis. Mais aujourd’hui, nous vivons une époque qui accepte de nombreux nouveaux instruments dans le flamenco. Donc, disons que le flamenco hérité incarne à la fois les fondations et le ciment d’un édifice qui est résolument d’aujourd’hui, innovateur. C’est une recherche permanente. Mais ça doit toujours sonner flamenco et je travaille avec beaucoup de respect, en faisant attention de ne pas porter préjudice aux racines flamencas. En fait, c’est difficile pour moi de définir ma musique...
On peut le comprendre car vous êtes à la fois très respectueux de l’héritage et dans une position d’explorateur : vous dites souvent que vous êtes le premier véritable pianiste flamenco... Qu’entendez-vous par cette expression ?
Ce n’est pas évident car j’ai déjà été mal compris en disant cela et, pourtant, je le dis car je sens que c’est la vérité. Je ne veux pas dire que les autres pianistes ne sont ou n’étaient pas flamencos, la question n’est pas là. Mais je pense qu’avant mon travail les pianistes participaient à des chansons espagnoles sans que ce soit aussi simple que la guitare : je veux jouer une bulería, je prends une guitare, je joue la bulería. Personne ne faisait ça, ne cherchait cette pureté flamenca avec un piano. Mais bien sûr, s’il n’y avait pas eu tous ces pianistes et tous ces musiciens, et s’ils n’avaient pas fait tout ce qui a été fait, je ne serais pas là moi non plus en tant que pianiste flamenco. Les choses avancent, évoluent, on peut jouer mieux de la guitare, on peut chanter et danser mieux ou, plus précisément, on peut jouer différemment, plus flamenco. Ce n’est pas une échelle de valeurs, mais une évolution technique. C’est une recherche que je fais personnellement sur les différents instruments, c’est le cœur de mon travail en effet.
Peut-on dire qu’il y a, caché dans le disque Piano Jondo, une image de cette recherche, un chemin ? De la Soleá del Churri (votre surnom) jusqu’à la reprise de Jaco Pastorius, justement titrée Continuum...
Il y a toujours beaucoup de logique dans un disque... Mais... C’est vrai, je ne m’en étais pas vraiment rendu compte, c’est mon parcours que l’on retrouve dessiné dans le disque : du flamenco, je me suis écarté en direction du jazz. Mais je sais depuis peu que je ne suis pas un musicien de jazz, je suis flamenco et je l’ai compris en jouant des soleas et des bulerias au piano. Le jazz est pour les jazzmen alors que je veux utiliser le jazz pour enrichir le flamenco, l’ouvrir, avancer.
On reconnaît aussi une tendance à la musique classique contemporaine dans le disque ou des affinités avec quelques courants plus pointus du jazz. Pouvez-vous à présent évoquer votre travail de production et de mixage sur l’album Barrio alto d’Antonio Vargas El Potito, paru en 2006 ? Vous n’y jouez pas de piano...
Non, je ne joue pas forcément de piano sur chaque projet flamenco que j’embrasse ! Le flamenco est la première chose, le piano vient ensuite. J’essaie juste d’ajouter aux choses ce dont elles ont besoin. Ce disque n’est d’ailleurs pas ma création. Le piano n’apparaissait pas ici comme une chose essentielle, comme une guitare, je n’en joue pas sur ce disque même si c’est moi en effet qui l’ai dirigé. Pour le reste, je m’efface devant la personnalité d’Antonio, c’est son disque, c’est lui que je veux mettre en valeur !
Quel est votre prochain disque personnel alors ?
C’est un disque qui sortira d’ici peu et qui est entièrement flamenco, avec du chant, de la guitare, du piano, de la basse. Il n’y a qu’un morceau instrumental, avec mon frère Raimundo et Luis Salinas. On entend aussi Tomatito. C’est uniquement du flamenco chanté, sans solo, mais avec du piano, des falsetas... Il s’appelle « Río de los canasteros ».
Enfin, vous apparaissez aujourd’hui au Festival des Suds, un festival qui vous ressemble dans ce mélange de tradition et de recherche. Qu’allez-vous jouer ce soir ?
J’improvise en fonction de ce que me transmet le public, je pars de mes thèmes, de mes petites phrases et j’évolue en fonction de l’esprit qui habite le public, son énergie. S’il y a une bonne harmonie, la musique pourra s’ouvrir. Mais je suis très content d’être invité et je trouve le site superbe, dans cette grande cour dominée par l’église ancienne.
Avec l’aide de Guillaume Francesci (Calle Flamenca).
* Piano Jondo, 1 CD Nuevos Medias, diffusé en France par Harmonia Mundi 2007. ISBN 713746807122.
Avec Miguel Vargas, Luis Amador, Joaquín Grilo.
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