Disparition de Guillaume Depardieu (1971-2008)
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L’acteur est décédé, lundi 13 octobre dernier, des suites d’une pneumonie foudroyante, à l’hôpital de Garches. Il avait 37 ans. Guillaume Depardieu, c’était un acteur-poète, c’était ça sa force, et sa faiblesse aussi, son irrémédiable difficulté à vivre. Suite à l’annonce très triste de sa mort, j’ai aussitôt pensé à une phrase sur Van Gogh dans l’admirable film éponyme de Pialat (1991) : « Vincent, c’est une succession de moments de faiblesse. Mais au bout, quelle force. » On pouvait dire ça de l’homme blessé qu’était Guillaume.
C’est peu dire qu’il va manquer au cinéma français. Dans cette tranche d’âge (30-40 ans), c’était lui le meilleur, parce qu’il avait un être là à l’écran, une urgence qui donnait à son je(u) la force de l’évidence. Et dans tous ses derniers films (Ne touchez pas la hache, Versailles, De la guerre), mais j’ai envie également de remonter au romantisme noir de l’incandescent Pola X d’un autre écorché vif du cinéma français, un certain Leos Carax, il y avait une montée en puissance de son charisme, quelque chose d’irrémédiablement fragile, on devinait une existence qui se donnait au film, sans mensonge, avec cette idée permanente que la vie, que sa vie, ne tenait qu’à un fil. Il s’agissait de tout donner. Au risque de se cogner contre un mur ou de se frapper violemment la tête contre une bagnole. En le voyant, on pensait bien sûr à Dewaere, un autre grand acteur français à la destinée foudroyante. Guillaume Depardieu, c’était un funambule, quelqu’un qui était en permanence sur un fil et, celui-ci, on le sentait très bien, pouvait être à tout moment tranché par une hache - ou par le tranchant de la vie, d’une sauvagerie latente, prêt à surgir inopinément, comme dans une série noire. Il brûlait la vie par les deux bouts. Quelque part, c’était écrit qu’il allait mourir jeune, dans la fleur de l’âge. 37 ans, c’est l’âge en général où un artiste commence à s’affirmer, mais, pour lui, c’est l’âge de tirer définitivement le rideau cramoisi et de quitter les feux de la rampe de lancement - je pense que pour lui le cinéma était la possibilité d’une continuation de sa poésie existentielle sur un autre terrain que celui de l’écriture.
Tiens, parlons justement d’écriture, et d’écrire pour vivre. De Guillaume Depardieu, je me souviens de ses films bien sûr, de sa trajectoire passionnante de jeune vieille carcasse abîmée si émouvante dans une sphère du cinéma français bien trop souvent formatée, mais je me souviens aussi de ses mots couplés à ses maux : c’était un bouquin sorti en février 2004, un certain Tout donner, sorti aux éditions Plon. Non non, ne vous attendez pas à un bouquin plombé ou bidon, écrit par-dessus la jambe ou par un nègre comme la plupart des livres fabriqués au centuple par des people à la mords-moi-le-nœud, il s’agissait d’un livre sans photos. Pas de photo de Guillaume sur une plage d’Ibiza, à Planet Hollywood ou en présence de sa sœur, d’une star américaine bankable, d’un quelconque politique et que sais-je encore. Il s’agissait d’un livre d’entretiens, menés à bâtons rompus avec son complice cathodique Marc-Olivier Fogiel, afin de raconter les accidents et les nombreuses cicatrices, plus ou moins refermées, de sa vie. Ce qui était très insistant, c’était son rapport conflictuel à son père, l’ogre Gérard Depardieu. Sa difficulté à vivre, enfant, ado et jeune adulte, ses absences, ses beuveries, ses colères, ses lâchetés. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont par la suite signé un film ensemble, Aime ton père (2002). Un titre programmatique, une sorte de SMS que chacun envoyait l’un à l’autre, entre l’amour et la haine, tout en connaissant très bien, à l’instar d’un Baudelaire, la réversibilité des contraires. D’ailleurs, un chapitre de ce livre s’intitule Père et fils, haine et amour. Et puis, surtout, Guillaume Depardieu, au-delà de ses embrouilles avec le métier de vivre, c’était aussi un regard aigu, infiniment sensible, sur la vie, sur l’existence qui précède l’essence. « Nous sommes tous des épaves », chantait récemment Bashung dans l’une ses chansons. Certes, mais Guillaume Depardieu pouvait aussi s’avancer avec fulgurance en proue de cette épave de bric et de broc pour se faire soudain cible émouvante ou corsaire rockmantic transformant la boue en or, le radeau en fortune. Vivre volontairement de guingois, un pied dans le métier d’acteur, pour lequel, en digne fils de son père, il avait des dispositions criantes de vérité, et un autre - peut-être sous la forme d’un corps fantôme venant hanter ses contemporains - dans la rupture, la permanente volonté de renaître et la dissidence perpétuelle.
Oui, Guillaume Depardieu, quelque part, c’était bien ça : « Tout est affaire de légitimité : ai-je le droit de parler de ça ? Qui suis-je pour parler de ça ? Qui suis-je pour vivre, tout simplement ? Je ne suis pas de ce temps ! Je ne suis pas de cet univers, je ne suis pas de cette planète, je ne suis pas de ce territoire. Je suis d’ailleurs, je suis un esprit, je suis une force, je suis un magnétisme, une énergie, quelque chose qui va susciter, qui va pouvoir engendrer d’autres choses… Je suis un loup, un animal sauvage, je me suis fabriqué mes rites, mes autels, mes religions… ». Je vous l’accorde, on peut trouver ça très prétentieux, mais on le sait bien, pour ce fils de c’était aussi l’envie de légitimer sa place au soleil (des sunlights) par rapport à la figure tutélaire de son père-ogre, sur le mode je t’aime moi non plus à
De
Dernière anecdote, à l’époque de la sortie de son livre, je l’avais rencontré brièvement dans un café de Paname, début mars 2004. Il se tenait là, tranquille. On le sentait à la fois fier et très timide, ici et profondément ailleurs, entre présence et absence. J’avais été brièvement le saluer, et je lui avais parlé, quelque peu, de son bouquin. Il écoutait, avec des yeux sautillants beaucoup, puis il m’avait fait une blague histoire de botter en touche pour ne pas trop crouler sous les compliments. Un ange est passé. Puis, je l’ai salué afin de le laisser peinard. Silencio. Guillaume Depardieu ? C’est une succession de moments de faiblesse. Mais, au bout, quelle force. Fondu au noir.
Photo de l’auteur (polaroïd, portrait de Guillaume Depardieu, Paris, mars 2004)
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