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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Divagations d’un auteur en dédicace

Divagations d’un auteur en dédicace

Ces matins-là, je me lève avec une seule idée en tête, le rendez-vous avec les lecteurs. Aujourd’hui, j’ai quelques informations sur la librairie, paraît-il très belle, nichée au cœur de village de Roussillon.

Que donnera cette journée ? Jeudi, c’est jour de marché, il y aura du monde, peut-être, des touristes, certainement. Il paraît que les livres de terroir ont la cote ces jours-là.

Si cette facette de "La Grande Borie", mon dernier roman, correspond à la demande, ce n’est pas celle que j’ai vraiment voulu développer. Le monde des bergers y est omniprésent en surface, mais c’est surtout l’aventure humaine de mon personnage, son regard sur un parcours de vie qu’il n’a pas choisi et les décisions qui s’imposent à lui au fil des rencontres qui ont guidé mon inspiration. On classifie de terroir les romans dont le cadre est la campagne, pourquoi n’étiquette-t-on pas les livres "citadins", à l’image des Parisiens qui sont les seuls à parler de province ? Un "provincial" ne prononce jamais ce mot, il habite Lyon, Avignon, Bordeaux, la Normandie, le Pays basque, mais jamais la province. A partir de combien d’habitants le lieu de l’intrigue quitte le terroir ?

Mais peu importe, le livre est écrit. édité depuis quatre mois, il reçoit des commentaires tout aussi variés et colorés que l’expérience de vie des lecteurs. Peu importe l’approche littéraire que je ferai aujourd’hui, ce que je ne leur dirai pas, ils le découvriront. S’ils veulent du décor, du cadre, je leur en servirai…

De la librairie au salon national, chaque rencontre est différente, mais chaque fois, par manque de notoriété, il faut séduire, inviter, présenter son univers, celui dans lequel je baigne dès que je quitte ce monde pour écrire. Je dois traduire en quelques mots le terreau de mes rêves, mes aventures intérieures, mes espoirs, mes utopies, mais aussi mes déceptions, mes regrets, mes échecs, … errances de la nature humaine.

 

Dix heures, le campanile sonne sur la place de la mairie de Roussillon comme retentit le gong sur un ring de combat. Me voici installé à l’ombre sur la place devant la librairie, face aux terrasses de cafés et aux badauds. Mes livres sont présentés sur une table recouverte d’un tissu provençal ; la longue ligne droite de la matinée s’ouvre devant moi. Si le public ne vient pas, j’aurai au moins le temps d’écrire quelques lignes, à l’image de celles qui commencent à s’accumuler ici.

 

La semaine dernière, Maurice, un auteur aussi édité chez Elan Sud, a eu tout le temps. Il est vrai que "La sentinelle", l’histoire d’une femme, médecin urgentiste envoyée à Kaboul avec MSF, qui raconte ses frasques amoureuses et érotiques remontées à la surface de sa vie — parenthèses salutaires au milieu d’un monde déchiré par la guerre, l’intégrisme et la domination mâle — après avoir reçu en cadeau une statue d’un ancien amant, ne fait pas recette entre les glaces et le sachet de lavande souvenir… Il paraît que le touriste n’était pas là pour réfléchir, il cherchait du local, de la Provence éternelle, de la cigale et de l’accent qui chantent, pas du style, du verbe, de la dynamique littéraire… Cette espèce éphémère qu’est le touriste perdrait-elle toute fonction cérébrale ? Non, quand même !

Alors, je continue, malgré moi, à écrire en espérant que ma prose s’arrêtera là, qu’au moins, quelqu’un franchira ce rubicon de quelques mètres, pourtant bien au sec. Les passants auraient-ils peur de se noyer dans une réflexion sur le sens des mots ? Quelqu’un viendra-t-il m’interroger à l’heure où toutes les questions surgissent ?

 

La librairie n’est pas responsable des passants, surtout dans un village où la population est changée chaque semaine. Elle a fait tout ce qu’il fallait : affichage des dates de rencontres, livres mis en avant, contacts avec la presse, multiplication des dédicaces pour les transformer en rendez-vous réguliers… de quoi donner l’exemple à certaines librairies qui se contentent de sortir les livres des cartons à l’arrivée de l’auteur en espérant qu’il aura fait venir ses amis. Ces librairies font venir les écrivains comme on décore une boutique, à l’image de ces automates dans les vitrines des grands magasins du boulevard Haussmann à Paris, à l’époque de Noël pour émerveiller les enfants. Malheureusement, aujourd’hui, je n’émerveille personne, le subterfuge ne fait pas recette. Pourtant, je suis le parfait automate. Une table, des livres, un bloc de papier et voici la marionnette qui fait courir son stylo, noircit le blanc du papier d’un fil continu, l’illusion est parfaite. A quand le nouveau modèle de santon pour la crèche provençale ? Après le meunier, le berger et le Ravi, voici l’écrivain. Le mécanisme serait simple à créer, une main qui bouge pour simuler l’écriture, stylo en main. La main s’arrête pour laisser bouger les lèvres et relever la tête. Puis, le visage se fige, la tête se baisse et la main recommence à bouger. Chaque santonnier pouvant régler l’alternative des mouvements à la cadence qu’il souhaite.

Aujourd’hui, les touristes, sourire béat en découvrant le campanile, les façades d’ocre, vite capturés d’un coup de lasso numérique, en ont pour leur folklore : le santon écrivain leur est proposé en prime dans le décor. Celui du jour possède l’option renseignements touristiques, garde poussette pendant que madame visite la librairie ! Pour le prix des cartes postales, il faudra aller voir dedans, désolé…

Quelle chance ! Ils auraient pu tomber sur le modèle ténébreux, celui qui râle, qui peste, qui ne décroche aucun sourire. Quoiqu’il faille se méfier, car certains modèles souriants se transforment au fil des heures à cause du déséquilibre dû à la suractivité de la main face à l’inactivité de la bouche.

 

Je refuse, je résiste. Darkvador, sors de mon corps, tu n’es pas mon père !
Arrêtez-moi, empêchez-moi de sombrer, d’assombrir ces feuilles jusqu’à plus d’encre !

Ahhh, un couple s’avance, … oui, enfin… zut, des Hollandais !
Mais n’y a-t-il personne qui lise dans ce village, … lage, … lage, … age, … age, … ge ?

J’aime les paradoxes : ma première dédicace est pour "Toca Leòn !", une aventure au rythme des tambours cubains et non des tambourinaires et des galoubets.

Treize heures, le mystère reste entier, j’ai signé autant de "percussionnistes" que de "bergers". Le libraire m’invite à me restaurer. Il a raison, comment parler ou écouter parler de littérature le ventre vide ? Passons aux nourritures terrestres. Trois heures que je suis là.

 

Je découvre enfin cette librairie composée de multiples salles en demi-paliers agencées par genres de livres et décorées avec soin, le tout dans un cadre préservé des bâtisses anciennes : tomettes rouges, enduits rustiques, meubles en bois, cheminées, candélabres … une maison de livres, chaleureuse, claire, simple. Un lieu où l’on a envie de s’installer, lire, fouiller, tout voir.

Une pause repas panoramique
On ne m’avait pas non plus menti sur le restaurant en terrasse, là-haut, au troisième étage, cerné des toits de tuiles romaines, de carrières d’ocre multicolores, de pins, de parcelles de vignes, par les Monts de Vaucluse chapeautés du Mont Ventoux, et, bien entendu, Monsieur Le Luberon, parsemé de ses villages tout aussi renommés. Assis à cette terrasse, je deviens touriste à mon tour, sans quitter ma plume, jouisseur de la vie devant une carte alléchante, tasteur de bons vins, profiteur de la vue imprenable si ce n’est du regard.

On me reconnaît sans le dire à haute voix :
"C’est l’écrivain qui était en bas ce matin", "tu crois", "demande-lui, je te dis que c’est lui"…

Mon stylo continue à gigoter en attendant la commande, la feuille à présent bleuit à vue d’idées. Le patron rajoute une couche, parle fort, de mes livres, de ce que je suis en train d’écrire. Les regards se tournent, se focalisent, confirment les apartés.
Je me laisse guider par l’œil gourmand de la serveuse qui pétille lorsqu’elle me répond sur le contenu des plats, des desserts. En d’autres circonstances — au bistrot avec des copains, à partager des bières — j’aurais écrit d’autres remarques, plus masculines… mais le lieu ne s’y prête pas. Il en résulte quand même une oscillation de mon regard en le panorama unique et cette charmante demoiselle.
Cette pause gastronomique est décidément très bénéfique. Tout y est succulent.

De retour devant la librairie, je reprends mon poste.
Le parasol procure une ombre que je partage avec mes livres, crée un espace privé d’où je peux laisser mon regard se poser sur les gens qui passent, parés de leur attirail d’estivants. Venus à pied du bas du village par les ruelles ombragées, bouteille d’eau, appareil photo, prospectus en main, couples et familles, accompagnés de chiens à la langue pendante et au souffle haletant, débarquent sur la place sous un soleil écrasant, rouges, suants, mais ravis.
Rares sont les solitaires. On ne viendrait pas seul à Roussillon ? En voilà un, justement, qui s’installe à la terrasse d’un café. Seul, il ne l’est pas vraiment, il est venu avec son livre. Lui aussi s’isole dans son espace, bulle étanche au reste du monde, invisible pour les autres.

Il suffisait d’attendre pour que le temps passe, laisser faire.
Ils sont quand même venus, ont demandé, nous avons parlé. Des prénoms pour une dédicace, quelques mots résumant l’instant, le centre d’intérêt pour une écriture qu’ils ne tarderont pas à découvrir ou à offrir.
L’auteur qui se déplace en librairie ne le fait pas pour l’argent. Une vingtaine de livres va lui rapporter une trentaine d’euros — entre 7 et 10% —, juste de quoi payer l’essence s’il vient d’à côté. Il vient pour se faire connaître. C’est aussi un moyen de remercier les libraires qui se battent pour faire découvrir les auteurs éloignés des autoroutes médiatiques, travail militant pour les livres qui voyagent par les chemins de traverse.

 

Dominique LIN
 
Retrouvez les articles et romans de Dominique LIN sur le blog d’Elan Sud
 

Le site de la librairie, à découvrir sans modération : Maison Tacchella - Librairie de Roussillon

Photos : © Luberon News


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7 réactions à cet article    


  • fredleborgne fredleborgne 20 août 2009 14:23

    Merci pour ces quelques lignes de réflexion. On a beau avoir un éditeur, ce n’est pas facile non plus. Mais je constate que vous êtes un positif. La rencontre, même avec un nombre restreint de lecteurs finit par vous séduire malgré quelques propos pessimistes au départ. Les gens respectent, voire admirent votre travail même s’ils ne franchissent pas le rubicon à pied sec. Et enfin, votre hommage aux librairies en particulier, à la littérature de l’autre prouve que même si le métier est ingrat côté recettes, c’est par la volonté de l’artiste et de quelques honnêtes commerçants plus que par...(oublions les) que l’art littéraire subsiste encore.


    • Dominique LIN Dominique LIN 20 août 2009 15:44

      Chacun peut regarder le monde comme il veut, ce n’est pas ce qui le fera changer. Accepter les réalités est un pas vers la sagesse…
      Quand on est édité, c’est déjà une chance. On croit qu’on va bouleverser le monde, refaire l’histoire, mais, au bout du compte, on comprend qu’écrire est un chemin, qu’il est question de construire ce qu’on espère, un jour, être une œuvre, et que la route est longue.
      Soit on se bat contre les moulins et on oublie l’expérience d’un certain Don quichotte, soit on profite du chemin, de l’apprentissage de l’écriture, et alors seulement, on peut grandir pas à pas.
      Chaque instant est une opportunité, pour écrire, pour accepter, pour participer à une aventure qu’on peut partage avec les autres. L’important est de garder son humour, un peu de recul et une once d’imagination.
      L’ingratitude de ce monde n’implique pas qu’il faille vivre comme un ingrat.


      • Loup 20 août 2009 16:27

        Bonjour,

        j’ai failli gueuler sur ce que j’ai pris, au départ, pour un publi-reportage de plus, et je me suis ravisé.

        Bien m’en a pris.
        Joli trait de plume.
         Le style tranche avec celui qui fait trop souvent défaut aux auteurs plus prolixes que respectueux du verbe et du sens.

        Une question, seulement, que veut dire « Il suffisait d’attendre pour que le temps passer laisser faire » ?


        • Dominique LIN Dominique LIN 20 août 2009 16:41

          Bonjour
          Comme quoi, il n’est pas bon de crier au loup… sans être allé au fond des choses…
          Merci de votre commentaire et d’avoir relevé l’incohérence, il fallait lire (j’aurais dû écrire) :

          Il suffisait d’attendre pour que le temps passe, laisser faire.
          J’évoquais dans cette phrase le fait que les lecteurs étaient venus et que j’avais pu officier en tant qu’auteur.

          Comme vous le relevez si bien, ce n’est pas un publi-reportage, mais un billet écrit « sur le tas ». J’ai profité du temps qui m’était offert pour continuer d’aiguiser ma plume.
          Les « petits » auteurs, les inconnus, sont obligés de viser l’excellence car c’est leur seul arme, contrairement à certains qui remplacent le style par l’effet médiatique.
          Peu importe, j’aime écrire, et, faute d’en vivre, j’en jouis !


          • Loup 20 août 2009 16:47

            Profiter du temps qui passe, c’est tirer parti de ce qui, chez d’autres, relève de l’ennui.
            Vous profitez joliment, accrochant des temps de vie à votre stylo avec la simplicité d’un artisan.
            Merci.


          • Dominique LIN Dominique LIN 20 août 2009 17:05

            Si certains ne sortent jamais sans elle…, leur carte bancaire (pour ne pas citer de marque), je ne pars jamais sans quelques feuilles et un stylo, des fois que la vie m’offre un peu de temps.
            C’est ce dont on manque le plus


            • jocelyne 20 août 2009 20:22

              Lisant votre article, je comprends en philigramme les difficultées pour les gens qui savent écrire, mais écrivent t’ils pour la gloire et l’argent ?
              ecrire est un act solitaire qui abouti très peu.
              Je tavaille chez un imprimeur de petits ecrivains et vous ne pouvez imaginer le nombre de livres imrpimés mais non publiés..... et souvent formidables, j’en ai récupéré pas mal

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