Du coq à l’âme
Amédée Bricolo, époustouflant et pourtant...
Il se présente dans son long manteau noir, son inséparable galurin sur un crâne qui se dégarnit, la chemise élimée, maintenue par une pince à linge pour ne pas bailler. Il chaloupe, tangue, hésite, louvoie sur la scène d'une Ruche en scène fort heureusement présente pour que nous puissions profiter de ce bonheur immense, d'un spectacle qui touche au sublime.
Amédée est en équilibre instable pour défendre un texte étonnant, emboîtant les pas d'un vagabond sublime à moins que ce ne fut d'un gars qui a perdu l'esprit. Le texte de Samuel Becket est ici porté non pas à bout de bras mais plus exactement sur la pointe du cœur, au plus profond de l'âme. Notre bonhomme fragile en fait un moment en suspension durant lequel émotion et rires aux éclats s'entremêlent intimement.
Il n'est pas question de vous narrer ici ce voyage dans l'absurde, le dérisoire, le pathétique et l'humain. Toutes les nuances s'expriment dans un texte aussi difficile que sublime joué au cordeau de manière magistrale. Dans une autre cité, ce grand comédien et cet immense clown trouverait salle municipale à son talent mais ici, si près de la Capitale, malheur à qui vient de la région.
Le complexe est tel en Orléans que quelques-uns de nos élus passent leur temps sur les plateaux des grandes chaînes parisiennes, ignorant ostensiblement et avec mépris ce qui se passe dans leur contrée. On y ouvre une salle de spectacle pharaonique de dix mille places au frais des contribuables pour accueillir en grande pompe des vedettes lointaines, hautaines et indifférentes à des tarifs qui dépassent l'entendement. Par contre, quand une salle comme la Ruche veut être encouragée, elle essuie des menaces, elle est victime de chausse-trappe et de coups tordus tout en sachant qu'une épée de Damoclès pèse sur sa tête : le bon vouloir ou le caprice d'un élu.
Nos responsables culturels du reste n'aiment pas la véritable culture. Seules les paillettes, le clinquant, la notoriété de la vedette les attirent, espérant sans doute bénéficier un peu de cette aura qui leur manque tant. Alors pensez-donc, Amédée Bricolo, vous ne risquez pas de les y voir et surtout avec un texte d'un certain Samuel Becket dont ils doivent aller chercher sur Google qui ça peut bien être.
Point de théâtre municipal pour ce virtuose de l'émotion. Le public local du reste : ces merveilleux tenants d'un conservatisme de bon aloi, ne feraient pas l'effort de venir. Tout ce qui n'est pas vu à la télé n'a aucune valeur. Fermez le ban tandis qu'on déroule le tapis rouge à la vacuité d'une vedette sur le retour qui a besoin de montrer son cul pour attirer le chaland. C'est à pleurer de rage que le plus grand nombre ne puisse applaudir à ce spectacle EXTRAORDINAIRE.
Merci donc à la Ruche de se battre contre les ci-devant tout autant que navrés pour offrir un espace culturel digne de cette merveilleuse valeur : la Culture. Dans une ville qui se prétend d'Arts et d'Histoire, la place offerte à la création, à l'originalité, à l'intelligence, à la sensibilité s'est vu réservée la portion congrue. À la marge avec La Paillote et la Ruche en scène, loin des coups de projecteurs accordés gracieusement à ceux qui préfèrent une culture qui abaisse, flatte, caresse dans le sens d'une majorité réactionnaire.
Que dire de plus ? Je peux me permettre d'en rajouter. Mon compte sera bon, les représailles seront certaines car ici, malheur à qui sort du rang et exprime voix discordante. Les flagorneurs, les valets, les serviles sont portés aux nues, qu'importe la qualité de ce qu'ils produisent. On se montre impitoyable pour les voix discordantes, jugeant sans doute que l'argent public ne doit aller que vers ceux qui savent d'où vient le vent.
Pourtant, ce soir-là, Amédée Bricolo méritait un tonnerre d'applaudissements. Ne craignez rien, braves gens, l’insonorisation s'est montrée efficace pour ne point déranger les bourgeois de barrique, somnolents devant leur écran aussi plat que peut l'être leur capacité de curiosité et d'émerveillement.
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