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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Eco, Carrière, N’espérez pas vous débarrassez des livres

Eco, Carrière, N’espérez pas vous débarrassez des livres

Lire l’opus à six mains pour en savoir plus, analyser, en tirer quelque chose, mais avec un filtre : celui de la voix discordante, celui qui pense que l’on peut ranger définitivement le livre dans sa bibliothèque.

Comme nombre de blogueurs ayant pour intérêt le livre électronique (e-book) j’avais réagi à chaud sur l’extrait proposé par la critique quand est sorti N’espérez pas vous débarrassez des livres par Carrière, Eco et Tonnac. Ensuite j’ai attendu. Attendu des articles plus longs, plus critiques ou plus cons mais rien. Pourquoi ? Une fois le dossier de presse couper/coller, plus personne pour s’y coller ?

Une seule alternative le lire. Le lire pour en savoir plus, l’analyser, en tirer quelque chose, mais avec un filtre : celui de la voix discordante, celui qui pense que l’on peut ranger définitivement le livre dans sa bibliothèque ; c’est un objectif intéressant. 
En attendant sa réception en bibliothèque, parce que 18€50 j’ai pas, je jetais un coup d’œil dans les classements du Nouvel Obs/Virgin. Une entrée à la 17ème place dans la liste Essais en novembre, et puis oust. Mauvais signe me dis-je !

Mais en ce jour (le 10/12), je peux enfin en commencer la lecture, balayer les incertitudes.

Le but de l’exercice est d’évaluer la distance nous séparant de ces gens, incarnation moderne du livre ancien, sur l’avenir du livrel, du e-reader. Ce n’est ni le titre du livre ni son objet, mais tout simplement le sujet pour nous intéressant. Inutile de passer du temps sur l’avenir du livre papier, pour eux il ne disparaîtra pas, de leur vivant ça c’est sûr car ils commencent à n’être plus tout jeunes. Je partage leur opinion sur la non pertinence de cette question d’ailleurs.

Pour résoudre notre problème il faut en premier lieu tenter de cerner nos gus au regard des choses lues de la page 1 à 153 (pour le moment). Pas de Wikipédia, pas de bio, seulement l’analyse des propos tenus durant cet impromptu, un peu comme au bistrot, mais avec en fond sonore ceux de Schubert sur Deezer.

First, ces mecs-là se connaissent, s’apprécient, partagent un même fond culturel, avec spécialité Italie médiévale pour l’un et Iran/Asie pour l’autre, une même passion pour le livre. Ils en écrivent, en vivent, et collectionnent les incunables. Ils n’aiment pas le nouveaux riches, apprécient modérément l’informatique, faut comprendre ils bossent sous Windows, et fréquentent le gratin du monde culturel. Sans être d’une autre planète, ils sont d’une autre « matrix », d’un autre monde. Celui des libraires avec sonnette par exemple, grands bijoutiers du vélin, des antiquaires de renom. Pour un peu on ne serait pas surpris de voir Mitterrand, François, débarquer, il viendra peut-être plus tard.

Si en préface Tonnac ne voue pas aux gémonies « l’e-book », Eco met tout de suite les pieds dans le plat. La lecture sur ordinateur, à l’écran est pénible et « la présence de l’électricité [est indispensable] et [un livre numérique] ne peut pas être lu dans une baignoire, même pas couché sur le côté dans un lit. Le livre se présente donc comme un outil plus flexible. »

Euh (c’est un euhhhh de déférence), monsieur Eco :

1) La technologie E-Ink nous permet de nous rapprocher de la qualité papier. On y est pas encore mais …

2) Une entreprise coréenne ,LG je crois, a mis au point un panneau solaire pour alimenter ce type d’écran.

3) Jeff Bezos lit avec son Kindle dans sa baignoire, il le met dans un sac plastique, mais il ne nous dit pas ce qu’il fait au lit. C’est une lacune pour sûr.

U-E « De deux choses l’une : ou bien le livre demeurera le support de la lecture, ou bien il existera quelque chose qui ressemblera à ce que le livre n’a jamais cessé d’être, même avant l’invention de l’imprimerie. Les variations autour de l’objet livre n’en ont pas modifié la fonction, ni la syntaxe, depuis plus de cinq cents ans. Le livre est comme la cuiller, le marteau, la roue ou le ciseau. Une fois que vous les avez inventés, vous ne pouvez pas faire mieux. Vous ne pouvez pas faire une cuillère qui soit mieux qu’une cuillère. Des designers tentent d’améliorer par exemple le tire-bouchon, avec des succès très mitigés, et la plupart d’ailleurs ne fonctionnent pas. Philippe Starck a essayé d’innover du côté des presse-citrons, mais le sien (pour sauvegarder une certaine pureté esthétique) laisse passer les pépins. Le livre a fait ses preuves et on ne voit pas comment, pour le même usage, nous pourrions faire mieux que le livre. Peut-être évoluera-t-il dans ses composantes, peut-être ses pages ne seront-elles plus en papier. Mais il demeurera ce qu’il est. »

Le livre « c’est comme la roue », et bien il se trouve que la roue a bien évolué depuis ma première charrette. De passive elle est devenue motrice et terriblement moderne si j’en crois les ingénieurs de Michelin. Et pour vous répondre plus précisément je vais détourner les propos de votre compère, eh oui j’ose. Il est écrit page 48 : « Chaque nouvelle technique exige une longue initiation à un nouveau langage, d’autant plus longue que notre esprit est formaté par l’utilisation des langages qui ont précédé la naissance de ce nouveau venu. A partir des années 1903-1905 se forme un nouveau langage du cinéma qu’il faut absolument connaître. »

J’adore. Nos esprits sont formatés soit. Le mien mais aussi le vôtre. Pour présomption ce refus, ou manque de réflexion, d’un nouveau langage pour l’écriture. Vous n’êtes pas seul, je m’exclus car mon formatage diffère (cloisonné, hard sector, je ne suis plus), les fabricants de livrels et autres diffuseurs sont à votre image. Le livre hypermédia, babille. Mais dans un an ou deux ou dix, son langage aura intégré un nouveau vocabulaire, une nouvelle syntaxe, de nouveaux parlants. Se posera alors peut-être la question de savoir si les auteurs perpétuent l’usage du livre à savoir diffuser une connaissance (ma définition est sûrement restrictive), ce que je crois. Il me semble que nous sommes là au cœur de notre problème.

La projection du livre futur ne s’est pas imposée à nos intervenants. A cet égard leur approche quantitative est révélatrice, Carrière reprend texto la pub de Sony : « une bibliothèque de 160 livres » et Eco y voit un bel outil pour une doc technique de milliers de pages. Dans une interview sur une chaîne parlementaire le premier se disait désolé de n’avoir pas eu un reader de disponible au temps où il travaillait sur le Mahabharata (16 volumes) avec Brooks. On pourrait aujourd’hui revenir sur l’œuvre et y adjoindre la musique (collection Realworld) composée pour celle-ci. Voir si mots (ceux du scénario ou des dialogues) et musique font sens à l’instar du film.

En étant sensibles aux nombres de gigas, ils appuient très fortement là où ça fait mal : la pérennité du stockage. Par digression il est légitime d‘évoquer la question du : comment un ouvrage numérique pourra-t-il encore être lu dans 20, 100 ou 500 ans ? Par extension on peut aussi s’inquiéter de la durée de vie des livrels. 

Ensuite vient le long passage sur l’imbécillité, la stupidité, la crétinerie. On est, je suis, plutôt mal à l’aise. La connerie étant la chose la mieux partagée en ce monde, j’ai ma dose, j’en suis conscient et je m’en accommode. Excepté quand, lisant, je me sens proche de tous les crétins de la terre décrits au fil des pages. Pour un peu ils pouvaient ajouter à la liste des imbéciles ceux qui se penchant sur les grands de l’espèce humaine pensent s’en approcher mais s’en éloignent en fait. Mézigue en quelque sorte ;-) 

 Revenons à notre grille de lecture et la vanity press décortiquée par Eco. Cette pratique, existe-t-elle en France ? Je n’en sais rien mais elle nous permet d’aborder la publication à compte d’auteur. Vanité de l’écrivain impubliable, vanité et cupidité d’un éditeur dont la motivation se résume à l’argent. C’est le Corbeau et le Renard. Une chose est sûre, quoique, l’entourloupe sur le Net ou livrel sera plus difficile à mettre en œuvre. Nos auteurs n’y ont pas pensé. Pourtant Carrière a publié à compte d’auteur, pourtant il essuie des refus, mais la possibilité offerte par le numérique et le Net, à double titre, ne les a pas effleurés. Pourtant ils évoquent souvent avec amertume cet auteur inconnu et son chef-d’œuvre lu par son seul créateur, ou ceux cités par Aristote dans la Poétique dont le travail est perdu. Pourtant le Net n’est pas absent de leur débat, mais la problématique de l’auto-édition leur passe au-dessus de la tête.

Scribd possède peut-être la prose d’un « corbelet », perle de notre siècle commençant. A l’abri du renard notre technologie portera-t-elle l’œuvre à la notoriété, puis à l’immortalité ? C’est possible, il faut pour cela une mobilisation du lectorat. Ecrit après écrit, strate par strate, le chef-d’œuvre en devenir nourrit une littérature, une critique et une réflexion. Rien d’insurmontable pour le Net, mais l’outil existe-il ? Il est peut-être à imaginer.

Une chose est sûre, sans vanité pas d’écrivain. Normal, l’immatérialité de l’œuvre et la force qui nous pousse à être lu sont logées à la même enseigne : notre crâne. 

Page 297 la question qui tue : « qu’est-ce qu’un livre ? » Suivent 2 ou 3 pages assez brillantes, il faut donc les lire, et une définition de U.E qui m’amuse beaucoup : « Si vous avez un obélisque sur lequel plusieurs signes racontent l’histoire de l’Egypte, vous détenez quelque chose qui ressemble à un livre. » Je suis à fond derrière vous Umberto, j’en ai marre de tous ces cons attachant tant d’importance au support qu’ils en négligent les signes, le contenu. Le toucher, l’odeur, le bruit, la vue, la reliure, la matérialité, des conneries. 

Pour conclure. Ouvrage à lire ? Non ! 

A écouter oui ! L’impromptu n’est pas dialogue. L’audio livre serait plus approprié à mon sens, à mon ouïe (après la page 153 j’ai laissé tomber Schubert ;-) pour ce type d’exercice. 


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5 réactions à cet article    


  • Peretz Peretz 22 décembre 2009 17:17

    A mon sens il y a deux façons de voir : sous l’angle de la perception (toucher, vision), et la facilité d’écrire, (loghorrée). D’où deux grandes différences entre les deux formes de communication. On a déjà la logorrhée de l’image avec la télé, on aura la même chose avec le livre digitalisé. Bien que ce soit quelques fois le cas avec l’imprimé (500 pages écrites en deux ou trois jours, imprimées en une semaine). Je maintiens que l’imprimé a l’avantage de la sécurité : on peut toucher avec les yeux. Alors que l’écran est virtuel, il peut s’éteindre. Et que trop d’écriture tue l’écrit comme trop d’images tuent l’image. Donc l’écrit, chiadé, perdurera. www.voixcitoyennes.fr


    • mafournier 22 décembre 2009 19:54

      Je ne saisis pas bien pourquoi l’écriture d’un ouvrage numérique serait une loghorrée ?

      L’auteur n’est pas forcément esclave d’un support ou d’une mode. 


      • Peretz Peretz 23 décembre 2009 10:19

        Simplement à cause de la facilité d’écriture et d’édition. On a déjà ça avec la photo : on en fait des milliers qui tombent d’ailleurs dans l’oubli.


      • mafournier 23 décembre 2009 10:30

        facilité d’édition smiley C’est à dire rendre public, comme sur Agoravox, Scribd ou Evadoc, les articles et les commentaires, nos reflexions et nos sentiments ? Alors oui vive la loghorrée.


        • Peretz Peretz 23 décembre 2009 12:30

          Bof ! Rendre « public » ce qui s’écrit sur Internet est un abus de langage. Pour quelques articles sérieux, qui d’ailleurs n’attirent pas grand monde, comme par exemple le présent article pourtant fondamental, il y a beaucoup d’élucubrations, d’invectives. Pas grand chose qui en sort, et qui en ressort, ce qui est normal car c’est du virtuel. Petite remarque : la vision est obligatoirement rattachée au toucher, ce qui nous vient de la petite enfance, quand bébé on prend son pied avec les mains. Donc le livre gardera toujours une supériorité par rapport à l’écran, parce qu’on touche ce qu’on regarde. Là on est dans le réel.

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