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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Écrire à la main

Écrire à la main

 

Un plaisir suranné.

 

Le clavier nous prive de ce plaisir rare désormais d'écrire à la main ; cette capacité réservée à ceux qui ont reçu le privilège de disposer d’une belle écriture : élégante et déchiffrable. Je sais hélas que d'autres ont vécu un enfer supportant une incapacité d'apprivoiser cette méchante plume, de suivre les lignes et les mystérieuses interlignes ou pire encore, de garder la ligne droite sur un papier blanc.

Du temps de la plume sergent major, puis avec les stylos plume qui ne donnèrent jamais satisfaction en tirant à blanc avec des cartouches récalcitrantes, le stylet se faisait un devoir de baver ou de tacher à qui mieux mieux, la feuille souvent perforée ou bien les doigts à moins que ce ne fut les deux à la fois.

Le stylo bille fut une révolution qui apporta un peu de confort et de facilité d'emploi sans jamais parvenir à faire le plein de belles graphies en vous déliant de l'obligation de réussir vos majuscules. Il bavait lui aussi quand la qualité n'était pas au rendez-vous, la pointe trop épaisse et l'encre incertaine, ce qui nous rendait amer.

Puis il nous en fit voir de toutes les couleurs. Une facilité théorique pour qui devait se corriger ou effectuer une analyse grammaticale. Le sujet s'offrant le vert, le verbe passant au rouge et les compléments broyaient du noir. L'inconvénient résidait dans le diamètre du corps de cet objet qui rendait moins fluide le mouvement de la main.

À titre personnel, le noir eut toujours ma préférence. La sobriété de ce choix dénotant vis à vis de camarades qui arpentaient leurs copies avec des liquides fluorescents. C'est ce qui, en dépit d'une orthographe maladive, m'incitait à rédiger à la main dès que l'occasion fait de moi un larron : dédicace, livre d'or, lettre ou mot d'excuse.

Puis la technologie mit en sommeil ce bonheur de la plume qui virevolte sur la feuille. Il y a une telle sensualité dans ce déplacement de la bille sur le papier que l'esprit coule lui aussi à la poursuite de la main à moins que ce soit l'inverse. Le geste en tout cas est d'une jouissance certaine, alors que les lettres s'inclinent vers la droite, se permettent des fioritures sur les gréements ; ces lettres qui ne se contentent pas de baisser la tête sous la toise.

Rien n'égale ce sentiment de complétude lorsque la majuscule se pare de belles boucles, se donne de l'ampleur et de la rondeur. Bien sûr dans mon cas de cancre notoire de rectitude orthographique, se mêle la crainte de commettre la bourde qui me fera passer pour un imbécile notoire. Je triche alors en écrivant un mot pour un autre afin de déjouer les pièges d'une langue qui aime à se faire complexe dans ses règles, exceptions et doublement aléatoires de consonnes.

Qu'importe tous ces écueils, le stylo glisse, slalome, se permet des fantaisies. La main impose son rythme à la phrase, y suggère la petite musique de la phrase qui nait sous vos yeux. Le crissement du stylo sur la feuille ajoute à ce moment délicieux. Même si le résultat ne laissera aucune trace, qu'il ne viendra pas alourdir les serveurs et les disques durs et qu'il devra se contenter de finir en boule pour atterrir dans une corbeille, il vous a le temps de sa rédaction donné bien des satisfactions.

Si l'envie vous prend d'envoyer un message à la toile, de risquer votre part de notoriété fictive et néanmoins littéraire, il vous sera encore possible de reprendre ce qui est né du mouvement d'une main mise en action par l'avant-bras, le bras et même l'épaule pour vous contenter de le recopier en pianotant de quelques doigts bien timides.

C'est ce qui est advenu cette fois-ci encore et franchement le texte qui s'affiche sur l'écran à bien moins belle allure que celui de la feuille, même s'il a été expurgé de quelques fautes à faire bondir un ayatollah du bon usage de la langue. Je jette à regret la matrice, l'original qui n'ira pas garnir mes archives ou une correspondance qui ne se glisse dans aucune enveloppe.


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8 réactions à cet article    


  • Seth 19 novembre 15:44

    Je ne sais pas si vous avez remarqué mais remplir un chèque soi-même est devenu périlleux : on a perdu l’habitude d’écrire, je fais encore mes rares courriers à la main et c’est un exercice ardu : la crampe nous guette...

    Et notre écriture a changé. Quant à utiliser une sergent major, même pas en rêve : elles s’accroche au papier et l’encre gicle partout.

    Je calligraphiait autrefois en onciale qui étaient mes caractères préférés (éventuellement en caroline mais j’aimais pas trop), j’ai du en écrire 2 caractères dernièrement (avec un stylos au lieu d’une plume spéciale ou d’un calame, shame !) j’ai cru ne pas y arriver. smiley


    • C'est Nabum C’est Nabum 19 novembre 16:09

      @Seth

      J’écris toujours avec grand plaisir et il m’arrive parfois de rédiger de longues dédicaces contrairement aux écrivains professionnels qui se contentent d’une formule adverbiale.


    • ricoxy ricoxy 21 novembre 06:53

       

      La main est le prolongement du cerveau. Regardez l’ « homonculus » (représentation des organes dans le cerveau). La main y tient une importance énorme. Réduire l’écriture à du mécanique (machine à écrire, traitement de texte), c’est déhumaniser l’écriture.

       

      Le meilleur pour écrire, évidemment, c’est la plume : la main (et le cerveau) forment consciemment les lettres. Le bic ne permet pas la distinction entre pleins et déliés. Quant au feutre (qui à l’origine est une invention chinoise), c’est une horreur.

       

      (message écrit au clavier d’ordinateur)

       


      • C'est Nabum C’est Nabum 21 novembre 07:47

        @ricoxy

        Vous avez bien raison mais ici, comment faire autrement ?


      • juluch juluch 21 novembre 12:20

        J ai une écriture ou meme moi , j ’ai du mal à me déchiffrer....


        • C'est Nabum C’est Nabum 21 novembre 15:14

          @juluch

          Un petit effort et ça viendra


        • ricoxy ricoxy 22 novembre 09:54

           

          « Nous sommes nous-mêmes tout entiers dans le moindre de nos gestes » a dit J.-P. Sartre (façon de s’habiller, de marcher, de tenir la tête — et donc notre façon d’écrire). Mon expérience d’ancien graphologue me fait déplorer l’usage intensif du clavier, qui détruit la création graphique. C’était un plaisir que d’écrire, de former des lettres. C’est devenu quelque chose de mécanique — sans âme.

           

          (message rédigé au clavier d’ordinateur)

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