Éditeur indépendant : un parcours semé de liquidations et de redressements
Des stratégies mercantiles
On avait déjà connu cela dans le monde de la musique ou du cinéma. Les Majors se battent à coup de rachats de catalogues, de prises de capitaux les uns chez les autres, de fuite en avant avec des sorties de titres de plus en plus nombreuses, bref, un scénario très classique de guerre commerciale, le tout sur fond de "littérature".
Il y a eu les transferts, identiques au monde du football. Certaines expériences ont défrayé la chronique lorsque tel éditeur a sorti un à-valoir de 150K€ et un engagement de 80K€ de publicté à un auteur dont le roman attendu ne s’est vendu qu’à 5 ou 10 000 exemplaires…
Certains éditeurs lancent des premiers romans comme on jette un bébé Inuit dans l’eau glacée à la naissance où seuls les plus forts résisteront. Pas de corrections, pas de direction littéraire, on innonde le marché, on occupe les tables des libraires.
Certains ont tenté le livre politique ou people, pensant qu’avec la couverture médiatique et un arrosage à 50 000 ex, la partie serait jouée… flop, flop, flop, 600 exemplaires vendus !
Courir, toujours courir, tête baissée, quitte à se prendre le mur.
Et c’est ce qui se passe actuellement. Redressements judiciaires, liquidations, et pas chez les moins connus. Je pourrais les critiquer pour mauvaise gestion, pour erreurs de stratégie, pour course au tirage, mais ce serait trop facile. Toute guerre économique fait des victimes, et l’adage : "il n’y a que les bons qui restent" est totalement faux, si économie rimait avec déontologie, cela se saurait !
A trop tirer, ça casse
"La crise" est passée par là. On peut tirer un marché, on peut essayer de le tendre au maximum, mais un jour, l’élastique craque et certains en prennent plein la figure.
Le marché du livre est exactement le même que n’importe quel marché. Ce ne sont pas toujours les producteurs — créateurs — qui gagnent le plus, mais les grossistes et les intermédiaires. Actuellement, chez les éditeurs de petite taille — les indépendants —, la tendance est à se défaire des diffuseurs, dont certains tentent de dicter aux éditeurs la marche à suivre, d’autres imposent des quotas, pratiquent des tarifs exhorbitants, rallongent les échéances de paiement, … sous prétexte que sans eux, impossible d’être visible en librairie. Alors, les éditeurs, devant la — soi-disant — seule porte d’entrée des librairies, se laissent entraîner, tirent à des dizaines de milliers d’exmplaires pour des mises en place nationales, pour, au bout du compte — parfois un petit mois après—, rapatrier entre 50 et 80% des titres ! Frais de port aller, stockage, distribution, frais de retour, on est vite dans le rouge. Tout cela sans compter les faillites de certains diffuseurs qui laissent derrière eux de K€ de dettes aux éditeurs, de quoi les faire plonger.
Tirer sur les diffuseurs n’est pas non plus la solution. Chacun se bat comme il peut sur ce marché, chaque entreprise pratique la politique qu’elle veut.
Une piste : la prudence
Une maison d’édition indépendante de petite taille doit garder les yeux ouverts. Bien sûr, chacune aimerait être visible, en première place sur les tables ou sur les gondoles. Chacune voudrait que le dernier titre fonctionne, dépasse les 5000 ex, tremplin vers la réussite, la reconnaissance, et, de là, la possibilité de passer à 10 ou 20 000 ex.
Mais avant tout, une maison d’édition doit impérativement garder une ligne éditoriale claire, cohérente et limitée à son savoir-faire. Beaucoup ont cru qu’en sortant des titres dans tous les genres, elles arriveraient à percer dans un ou l’autre. Erreur, cinq collections, c’est suffisant, plus facile à identifier, à construire, à étayer.
Lorsqu’on annonce un tirage de 1000 exemplaires, certains pensent que c’est trop peu : faux !
Il vaut mieux être très bien implanté sur un secteur restreint que de se retrouver en fond de librairie dans toute la France. Sorti de la poignée d’auteurs visibles dans les médias, les autres sont obligés d’être sur le terrain : signatures en librairies, salons du livre, conférences publiques. Ils doivent construire un lectorat, garder le contact avec lui, et cela prend du temps. Si les lecteurs acceptent deux premiers romans avec bienveillance, le troisième sera l’étape décisive, la bascule vers le rejet ou la reconnaissance, à moins que ce ne soit le quatrième ou… le huitième !
Privilégier le long terme
Voilà pourquoi, un éditeur doit privilégier la qualité et le long terme, à moins qu’il ne fasse dans l’éphémère, l’évènementiel, le spectaculaire*. Lorsqu’il accepte un auteur, un éditeur mise sur lui, on peut même dire qu’il investit. Le premier roman ne sera pas rentable, à peine le deuxième. Un contrat d’édition va bien plus loin que les termes techniques et financiers. C’est un pari que tiennent les deux parties : l’auteur et l’éditeur. C’est le début d’une aventure qui ne peut être gagnée qu’à deux. Si être éditeur relève du sacerdoce, passer d’auteur à écrivain prend du temps, de la volonté, de la maturation — sans oublier le talent.
Sur 1000 manuscrits reçus, deux peut-être seront éditables, après un travail de plusieurs mois avec l’auteur. Il ne s’agit pas d’éditer "le livre d’une vie à l’intention de ma belle-mère", mais de savoir si l’auteur est prêt à se remettre en question, à entamer un parcours dont personne ne connaît la destination finale.
Une petite maison d’édition sort entre 5 et 20 titres par an, dont une majorité est issue des auteurs de son catalogue.
éditeur en 2009, 201…
Certains noms de l’édition, gravés dans la mémoire collective, riment avec engagement. Il suffit de voir la liste des auteurs qu’ils éditaient dans les années cinquante à soixante dix pour s’en rendre compte. Ils ne sont plus là ou ont changé de stratégie. Même si le temps n’est plus aux grandes idées, l’engagement pour un style est encore très compliqué.
Quand je lis dans certaines revues que le marché du livre se porte bien… je me demande lequel. Sur la quantité, peut-être, dans quelques niches sûrement. De quel marché parlent ces chroniqueurs ? Celui des offices en rotation permanente ou celui de la Littérature ?
Cela n’empêche pas les journalistes en quête de sensationnel de titrer :
- Les éditions Anne Carrière en redressement judiciaire ;
- L’ancien éditeur de Paulo Coelho au bord de la faillite ;
- Après les éditions du Rouergue, Actes Sud serait en train de racheter les éditions de l’Aube ;
- De nouveaux licenciements dans le monde de l’édition ;
- L’éditeur Pan Mcmillan va mettre 64 employés à la porte ;
- L’éditeur Panama serait en cessation de paiement ;
- Des plans de restrictions budgétaires chez Simon & Schuster, Houghton Mifflin Harcourt et Thomas Nelson ;
- etc.
Alors, il est peut-être plus facile d’être petit éditeur aujourd’hui, enfin, moins difficile que d’avoir à se battre à coup de millions d’euros. Habitué à courber l’échine, à gagner chaque millimètre de terrain "à la main", le petit éditeur verra moins de fluctuations que le gros. Comme dans toute grande période difficile, beaucoup vont disparaître.
Deux lignes vont se démarquer : celle du classique, du long terme, du verbe, du style et celle de la technologie, de l’effet médiatique, de la marche forcée.
Ces deux lignes existent déjà, mais la césure sera plus prononcée. Les auteurs en feront les frais, à chacun de choisir son "camp".
Il ne sert à rien de se plaindre, de regarder en arrière. Nous sommes en 2009, le siècle se met en place, il faut vivre avec, participer à sa construction.
Il faut continuer de parier sur les valeurs qui nous animent, ce sont les seules qui nous aideront à avancer, à accepter l’adversité.
L’histoire est immuable
Quand certains ont les chiffres pour objectif, d’autres préfèrent la lettre ; l’éternelle dualité de l’avoir et de l’être.
En fait, rien n’a changé, si ce n’est le décor…
* Quelques caricatures contemporaines…
7 millions $... Pour savoir comment GW Bush a choisi d’envahir l’Irak, de traquer Oussama — qui court encore — et d’arrêter de boire (?)... voilà une somme rondelette !
Une nouvelle tendance outre-manche : la télé-réalité version "littérature" :
ITV.com : Si quelqu’un vous a dit - "il y a un livre en vous" -, alors vous pouvez entrer dans la compétition. Nous voulons des histoires que vous aimeriez partager avec le public britannique dont la source d’inspiration est issue de la vie réelle.
Le gagnant signera un contrat d’édition avec une avance de vingt mille livres. Tout ce que vous avez à faire pour participer est de nous écrire - nous en dire un peu plus sur vous-même, quelques pages de votre histoire et de soumettre plus de cinq mille mots décrivant certains des événements fascinants que vous avez vécu.
S’en suivra tout une série d’émission, à mi-chemin entre la Star’Ac et le Loft, où les auteurs (et leur écriture) seront mis à l’épreuve d’un jury, face aux caméras.
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