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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Edition : petits scandales entre amis

Edition : petits scandales entre amis

L’édition n’est pas une science exacte. Les histoires de manuscrits d’inconnus arrivés par la poste et devenus comme par magie des succès de librairie côtoient des exemples d’inconnus maintes fois refusés, devenus pour certains de grands classiques de la littérature.

On raconte que Jonathan Livingston le Goéland de Richard Bach fut refusé 140 fois, Les gens de Dublin de James Joyce 22 fois. Plus proches de nous, les aventures de Harry Potter connurent 14 refus ; ou encore Jean-Marie Blas de Roblès, prix Médicis 2008 pour Là où les tigres sont chez eux, refusé en 1997 par une demi-douzaine de grandes maisons d’édition, abandonné dix ans dans un tiroir avant de circuler à nouveau : 30 refus jusqu’au moment où Zulma accepte de le publier…
 
Régulièrement – ça marche à tous les coups, pourquoi s’en priver –, journalistes ou justiciers voulant dénoncer les tares du système s’amusent à envoyer à des éditeurs des manuscrits déjà édités afin de démontrer qu’ils sont rarement lus et que, finalement, le texte arrivé inopinément par la poste et publié pour ses qualités intrinsèques n’est qu’une fable, un mythe, un leurre destiné à servir d’arbre cachant la forêt, celle des petits arrangements entre amis, un alibi ayant pour unique fonction d’accréditer le sérieux d’une maison. Les exemples ne manquent pas. Claire Julliard en rapporte quelques-uns dans son savoureux Librio, Les scandales littéraires. Ainsi Anne Gaillard, redoutée journaliste à France Inter des années 1970 qui fit dactylographier Han d’Island de Victor Hugo, changea le titre et le nom de l’auteur, et l’envoya à dix éditeurs. Idem avec Mon village à l’heure allemande de Jean-Louis Bory, prix Goncourt 1945. Vingt envois, dix-neuf refus. Un seul directeur littéraire a flairé le coup ! En 1992, le critique Renaud Matignon du Figaro littéraire réitère et piège les trois éditeurs de marguerite Duras avec un texte de… Marguerite Duras. Plus proche de nous, Wrath, qui fustige à longueur de blog le « milieu hostile de l’édition » a envoyé à Gallimard le manuscrit des Particules élémentaires à peine remanié et a reçu une lettre type de refus.

Plus rares en revanche sont les écrivains qui choisirent la filière du compte d’auteur (ou l’autoédition) avant de revenir de façon éclatante dans le circuit traditionnel. Au début des années 1990, Jean d’Aillon, né en 1948, de son vrai nom Jean-Louis Ross, docteur d’État en sciences économiques, et grand lecteur de Dumas, Doyle, Zevaco, Robert Merle, se lance. Il écrit un premier roman, Le mystère de la chambre bleue, basé sur la Conspiration de Cinq-Mars. Dix éditeurs sollicités, dix refus. Tout en écrivant un deuxième livre, il décide de s’autoéditer, crée sa propre maison, Le Grand-Châtelet, et publie donc son premier roman en 1995. Un libraire d’Aix-en-Provence, où il n’a jamais cessé de vivre, accepte de mettre un exemplaire en rayon. Il en vendra 300 en un mois. Par le bouche-à-oreille, internet, des mailings, et l’auteur lui-même déposant ses livres dans les FNAC parisiennes, il en écoulera 4000. Dix ans plus tard, Le Grand-Châtelet a treize de ses romans à son catalogue, et dégage des bénéfices. En 2004, suite à un passage sur LCI, il est contacté par trois éditeurs et signera finalement avec Isabelle Laffont, directrice de Lattès et du Masque, disposant de sa propre collection poche, Labyrinthes. Toute l’œuvre sera progressivement reprise, tandis que l’auteur travaille simultanément sur trois séries de polars historiques et livre deux manuscrits par an. Les ventes suivent : 10 000 exemplaires minimum par parution, parfois le double, sans compter les éditions club et les traductions. « A contrario, explique Claire Julliard, comme le confiait un directeur littéraire ayant pignon sur rue, il n’existe guère aujourd’hui d’écrivain maudit. Car tout auteur digne de ce nom "connait des gens" dans le milieu littéraire, il a écrit quelque article ou publié une nouvelle dans une revue et, à l’occasion, sait se montrer dans les cocktails parisiens. Sans doute. Il n’empêche qu’on rencontre toujours de grands auteurs ayant mis un temps considérable avant de se faire éditer. Tout romancier ne se double pas automatiquement d’un Rastignac en herbe. »
Ainsi Marcel Proust qui eut toutes les peines du monde à faire publier Du côté de chez Swann, premier volume de l’œuvre monumentale en devenir. Quatre refus : Eugène Fasquelle, effrayé devant l’ampleur du manuscrit et par les lettres fleuves que lui envoie l’auteur ; Alfred Humblot, directeur d’Ollendorff, dont l’appréciation ne manque pas sel : « Je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil. » ; Le Mercure de France ne donne pas suite ; la NRF non plus : Gaston Gallimard est séduit par le texte, mais il se range à l’avis d’André Gide : « C’est plein de duchesses, ce n’est pas pour nous. » Il publiera finalement en novembre 1913 chez un jeune éditeur, Bernard Grasset, prenant tous les frais à sa charge afin qu’il n’y ait ni délais, ni corrections d’éditeur. Gide reconnaîtra son erreur début 1914. Il écrira à Proust : « Depuis quelques jours je ne quitte plus votre livre ; je m’en sursature avec délice ; je m’y vautre. Hélas ! pourquoi faut-il qu’il me soit si douloureux de l’aimer ? Le refus de ce livre restera la plus grave erreur de la NRF – et (car j’ai honte d’en être beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie. » La NFR finira par récupérer Proust qui obtiendra le Goncourt en 1919. Ou encore Henry de Montherlant qui envoie du front, en décembre 1916, le manuscrit de son premier roman à Calmann-Lévy, qui le refuse, de même que dix autres éditeurs. La Relève du matin ne sera publié qu’en 1920 à compte d’auteur chez Grasset. On connaît la suite. Idem pour Louis Poirier en 1937. Professeur à Quimper, il a écrit son premier roman, Au château d’Argol, refusé chez Gallimard. Il le publie en 1938, à compte d’auteur chez José Corti, sous le nom de Julien Gracq. L’ouvrage passera totalement inaperçu et les ventes atteindront les 150 exemplaires. Mais le temps fera son œuvre. Le refus du Goncourt aussi ; de même que sa fidélité au même éditeur toute sa vie durant.
Dans tous ces cas de figure, ces exceptions qui confirment la règle, une même constante : la volonté, les sacrifices, la détermination, mais aussi une confiance inébranlable en soi, au point même parfois d’en devenir puant. Henry de Montherlant ajoute en post-scriptum au courrier d’accompagnement de son premier manuscrit : « Je vous rappelle que ceci n’est pas l’œuvre sans lendemain d’un amateur, mais le début d’une carrière. » Céline, déjà refusé deux fois pour son Voyage au bout de la nuit, dépose son manuscrit chez Gallimard et Denoël (qui, plus prompt à réagir, deviendra son éditeur), accompagné d’une lettre de présentation qui se termine par ces mots : « Tout cela est parfaitement amené. Je ne voudrais que pour rien au monde ce sujet ne me soye soufflé. C’est du pain pour un siècle entier de littérature. C’est le prix Goncourt 1932 dans un fauteuil pour l’Heureux éditeur qui saura retenir cette œuvre sans pareil, ce monument capital de la nature humaine. » Il rata de peu le Goncourt, au profit de Guy Mazeline qui lui, fut loin de durer un siècle.
 

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10 réactions à cet article    


  • Sandro Ferretti SANDRO 12 octobre 2009 15:02

    Sujet interessant, bien que classique.
    Oui, comme il y a des « clients mystère » dans certaines grandes entreprises, l’envoi de manuscrits connus et reconnus mais « maquillés » peut surprendre.
    Il y a en effet fort à parier que si un inconnu envoie « Impardonnable », le dernier Djian, sous le nom de Raoul Dugenou, il n’aura que des lettres de condoléances. So goes life...

    Les exemples anciens que vous donnez me semblent moins représentatifs et révélateurs du malaise. En effet, la production de manuscrits et « tentatives » (parfois punissables...) de romans est sans précédent depuis 20/25 ans. Un véritable engorgement.Trop d elivres tuent le livre, comme sur Avox trop d’articles ont tué les articles.

    L’exemple du succès de quelques rares autodidactes connus de leur seule concierge et ne fréquentant pas les pince-fesses parisiens ( Philippe Delerm, par exemple, instit. breton) fait que « tout le monde y croit », ou presque.

    Et qu’à lire les 4/5 derniers Djian , on ne peut pas leur enlever de l’esprit le légitime « pourquoi pas moi ? »

    Par ailleurs, et c’est à la lisière de votre sujet, je signale une tendance inquiétante vers le plagiat. Des anciens ( ou relations) de la SGDL où s’emilent des centaines de milliers de manuscrits, attendent la fin de la « protection » et les re-proposent, en changeant le titre et le nom de l’auteur. Ce sont les nouveaux « nègres », les nouveaux Gary/ Ajar, sauf que ses derniers étaient conssentant dans leur fable.

    Reste enfin la question majeure : que faire ?
    Quels filtres ou « comités de préselection » introduire pour limiter l’engorgement de « pisse-copies » qui tue le métier, tout en garantissant qu’une perle anonyme puisse quand méme étre détectée ?


    • pierrot123 12 octobre 2009 17:07

      Il n’est pas impossible qu’Internet, avec ses blogs, bouscule un peu tout ça....
      ( Même si les « buzz » profitent plus à des musiciens et autres cinéastes en herbe. )


      • Radix Radix 12 octobre 2009 19:20

        Bonsoir

        Imaginez un lecteur chez Gallimard qui doit se taper un nombre considérable de manuscrits, pas toujours de bonne qualité, lorsqu’il rentre chez lui il n’a pas la moindre envie de se taper le dernier livre à la mode.

        Ce qui est plus grave que ce genre de « boulette » compréhensibles ce sont les plagiats de manuscrits, réécrit par l’auteur maison et qui tapent un gros succès après avoir été refusé à l’auteur original !

        Et ce genre de pratique n’existe pas qu’en littérature, il existe de plus en plus dans l’audio-visuel.

        Vous envoyé une cassette de reportage à une grande émission, la réponse revient : négative, et quelques semaine plus tard vous retrouvez votre reportage « retourné par l’équipe maison » qui n’a même pas pris la peine d’en changer le scénario !

        Pourquoi se gêner !

        Radix


        • fredleborgne fredleborgne 12 octobre 2009 20:00

          L’auto-edition est aujourd’hui disponible pour tous, c’est à dire à partir de 99 euros, avec numéros ISBN, exemplaires papiers etc...sur www.inlibroveritas.net
          C’est la meilleure protection contre le plagiat et l’oubli.
          En plus, on peut mettre son texte en ligne sous licence CC ou LAL pour qu’il soit lu et commenté.
          Ainsi, ce texte ne rapporte pas vraiment, dans le contexte actuel, mais il permet de se faire remarquer sans essuyer de refus.
          Cet article dénonce le scandale d’un milieu de l’édition confisqué par une caste décrépie, prétentieuse. Internet ouvre un nouveau monde aux auteurs, et non, trop de livres ne tuera plus le livre. Bien au contraire, quand deux lecteurs discuteront, ils se refileront des tuyaux sur « quels sont les bons livres » au lieu de parler du même qu’ils ont tous les deux lus.
          Quand on sait qu’un auteur ne touche que 10 à 12% du prix d’un livre, on peut penser à un système de dons minimes du lecteur vers l’auteur, basés sur un respect mutuel, après lecture.
          J’ai 4 livres personnels sous ce format. Jamais je n’aurais été aussi lu avec le système traditionnel


          • appoline appoline 12 octobre 2009 20:09

            Livre remarquable que Jonathan Livingstone, autant de refus qui me paraissent injustifiés et remettent en doute la compétence de certains éditeurs.


            • valdes 13 octobre 2009 06:08

              Dur dur pour les petits nouveaux, sans piston et aux noms inconnus
              Question : comment peut-on écrire un ou deux bouquins par an de plus de 350 pages ?
              Je veux bien que l’on soit pro mais l’écriture ce n’est pas de la confiture, il faut peaufiner les mots, faire éclater l’histoire, enrichir les personnages, et y mettre le petit truc en plus. Des écrivains anglo-saxons donnent des méthodes pour écrire ! On voit le résultat avec les P. Cornwell et autres H. Coben, mais largement traduits et diffusés par les maisons françaises avec dans le même temps, peut-être, des petits joyaux au fond du tiroir jamais ouvert.
              L’édition littéraire ne doit pas devenir une usine à produire des livres, certes elle doit dégager des marges, mais trop d’aigres confitures risquent de lasser le lecteur, d’où d’ailleurs le succès de certaines petites maisons d’éditions « Phoebus », « L’ancre marine » et avant qu’elle ne devienne plus grosse « Actes Sud ».


              • Joseph DELUZAIN Joseph DELUZAIN 13 octobre 2009 08:56

                Bien d’accord avec tout ce qui est dit ici, mais la question essentielle posée par Sandro est : « Quels filtres ou « comités de préselection » introduire pour limiter l’engorgement de « pisse-copies » qui tue le métier, tout en garantissant qu’une perle anonyme puisse quand méme étre détectée ? » - 
                Selon moi la différence entre un éditeur « classique », dirons-nous, et un éditeur qui va à la pêche de bons manuscrits se trouve là... c’est à dire dans son comité de lecture. La majorité des éditeurs utilise les mêmes pratiques et la même composition de comités de lecture, ce qui amène aux mêmes résultats que nous connaissons tous. Standardisation.
                Quelques petits éditeurs ont l’intelligence de renouveler leur comité de lecture, de le panacher, de relancer un manuscrit controversé vers d’autres lecteurs avant d’en décider du sort. La tâche est ardue mais c’est à ce prix, et ce faisant, l’éditeur fait son vrai métier. 
                Quand aux plagiats, je crois qu’il n’y a pas de solution vraiment efficace pour s’en protéger, une histoire ressemble à une autre histoire. Sauf si des passages entiers sont copiés/collés.
                Mais que tout cela ne nous empêche pas d’écrire ... 


                • Paul Villach Paul Villach 13 octobre 2009 09:16

                  @ l’auteur

                  Excellent ! C’est si conforme à la réalité !
                  Quel crédit accorder à ces maisons parisiennes ? Il faut voir ce qu’elles publient !
                   Voyez ce que dit Romain Gary du milieu littéraire parisien dans « Vie et mort d’Émile Ajar » : il n’y voit que « coteries, cliques à claques, copinages, renvois d’ascenseurs, dettes remboursées ou comptes réglés ». Et l’auteur de « La vie devant soi », avec deux prix Goncourt dont le deuxième sous son pseudonyme (1), sait de quoi il parle ! Paul Villach


                  • MICHEL GERMAIN jacques Roux 13 octobre 2009 11:31

                    En quoi consiste l’écriture ? Qu’y a t il derrière le désir d’être édité ? Qu’est ce qu’un « livre » ?

                    Ecrire c’est, surement, mettre de soi, mettre du « soi », réaliser de la pensée sur du palpable.

                    Vouloir être édité, l’espérer, c’est, justement, pouvoir un jour palper. Toucher. Toucher son travail de réflexion avec ses mains, ses sens. Toucher les autres, les lecteurs. Cela peut être, aussi bien, révéler que dicter, proposer qu’imposer. C’est aussi, souvent ou parfois, gagner sa vie ou sa survie. C’est « palper » au sens argotique du terme.

                    un livre a une odeur. C’est un flacon. Il contient de l’ivresse.

                    Alors que Rabelais, Diderot, Hugo, Marx, Proust ou Camus écrivent des livres paraît évident. Leurs temps n’autorisaient que cette manière de s’exprimer. En s’imprimant.

                    Mais aujourd’hui, franchement, à l’heure ou mieux vaut être une star de la politique ou du Music-Hall pour écrire n’importe quelle stupidité pour être lu par des millions de personnes n’y a t il pas d’autres moyens, moins coûteux, tel Internet parmi d’autres, pour transmettre sa réflexion ? Afficher sur les murs ? Que sais-je ?

                    Alors ? N’y a t il pas également dans le désir d’être publié une part d’envie de célébrité ? Une volonté de laisser sur cette terre sa petite pyramide, sa pensée embaumée, sa trace ?

                    Vous avez 2 heures, coefficient 5.


                    • MICHEL GERMAIN jacques Roux 13 octobre 2009 17:21

                      Pourquoi donc votre article a t il disparu aussi vite de la page d’aujourd’hui ? 

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