Edition : petits scandales entre amis
L’édition n’est pas une science exacte. Les histoires de manuscrits d’inconnus arrivés par la poste et devenus comme par magie des succès de librairie côtoient des exemples d’inconnus maintes fois refusés, devenus pour certains de grands classiques de la littérature.
Plus rares en revanche sont les écrivains qui choisirent la filière du compte d’auteur (ou l’autoédition) avant de revenir de façon éclatante dans le circuit traditionnel. Au début des années 1990, Jean d’Aillon, né en 1948, de son vrai nom Jean-Louis Ross, docteur d’État en sciences économiques, et grand lecteur de Dumas, Doyle, Zevaco, Robert Merle, se lance. Il écrit un premier roman, Le mystère de la chambre bleue, basé sur la Conspiration de Cinq-Mars. Dix éditeurs sollicités, dix refus. Tout en écrivant un deuxième livre, il décide de s’autoéditer, crée sa propre maison, Le Grand-Châtelet, et publie donc son premier roman en 1995. Un libraire d’Aix-en-Provence, où il n’a jamais cessé de vivre, accepte de mettre un exemplaire en rayon. Il en vendra 300 en un mois. Par le bouche-à-oreille, internet, des mailings, et l’auteur lui-même déposant ses livres dans les FNAC parisiennes, il en écoulera 4000. Dix ans plus tard, Le Grand-Châtelet a treize de ses romans à son catalogue, et dégage des bénéfices. En 2004, suite à un passage sur LCI, il est contacté par trois éditeurs et signera finalement avec Isabelle Laffont, directrice de Lattès et du Masque, disposant de sa propre collection poche, Labyrinthes. Toute l’œuvre sera progressivement reprise, tandis que l’auteur travaille simultanément sur trois séries de polars historiques et livre deux manuscrits par an. Les ventes suivent : 10 000 exemplaires minimum par parution, parfois le double, sans compter les éditions club et les traductions. « A contrario, explique Claire Julliard, comme le confiait un directeur littéraire ayant pignon sur rue, il n’existe guère aujourd’hui d’écrivain maudit. Car tout auteur digne de ce nom "connait des gens" dans le milieu littéraire, il a écrit quelque article ou publié une nouvelle dans une revue et, à l’occasion, sait se montrer dans les cocktails parisiens. Sans doute. Il n’empêche qu’on rencontre toujours de grands auteurs ayant mis un temps considérable avant de se faire éditer. Tout romancier ne se double pas automatiquement d’un Rastignac en herbe. »
Dans tous ces cas de figure, ces exceptions qui confirment la règle, une même constante : la volonté, les sacrifices, la détermination, mais aussi une confiance inébranlable en soi, au point même parfois d’en devenir puant. Henry de Montherlant ajoute en post-scriptum au courrier d’accompagnement de son premier manuscrit : « Je vous rappelle que ceci n’est pas l’œuvre sans lendemain d’un amateur, mais le début d’une carrière. » Céline, déjà refusé deux fois pour son Voyage au bout de la nuit, dépose son manuscrit chez Gallimard et Denoël (qui, plus prompt à réagir, deviendra son éditeur), accompagné d’une lettre de présentation qui se termine par ces mots : « Tout cela est parfaitement amené. Je ne voudrais que pour rien au monde ce sujet ne me soye soufflé. C’est du pain pour un siècle entier de littérature. C’est le prix Goncourt 1932 dans un fauteuil pour l’Heureux éditeur qui saura retenir cette œuvre sans pareil, ce monument capital de la nature humaine. » Il rata de peu le Goncourt, au profit de Guy Mazeline qui lui, fut loin de durer un siècle.
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