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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Entre les murs : l’observatoire pour bobos

Entre les murs : l’observatoire pour bobos

Au mois de mai dernier s'est tenue la soixante quatrième édition du Festival de Cannes qui a vu le triomphe du film de Terrence Malick, The Tree of Life. Trois ans plus tôt, le jury faisait un choix peut-être plus platonicien puisque c'était Entre les Murs de Laurent Cantet qui se voyait décerner la palme d'or de la main du jury présidé par Sean Penn. Il n'en fallait pas plus pour que la presse française s'emballe et acclame un film « tour à tour grave, subtil, incisif, perturbateur, drôle, poignant » (Le Monde). Très vite, l'engouement se répand outre-Atlantique où le film est acclamé par le très sérieux New York Times qui parle d'une « expérience aussi émotionnelle que cérébrale ».
 
Je vais être d'emblée honnête : Entre les Murs n'est pas un mauvais film. Sa plus grande qualité est son grand réalisme. Souvent, lorsqu'il s'agit de dépeindre le quotidien banlieusard (qu'il s'agisse d'une salle de classe ou d'une cage d'escalier), le vocabulaire et le jeu sont atrocement datés quand ils ne sont pas fantasmés. N'importe quelle personne ayant fait l'expérience de ces situations peut en témoigner. Ici, ce n'est pas le cas, le tout est d'une grande justesse dans le comportement des jeunes de la classe comme dans celle du professeur de français, le pas si fictif M.Marin, visiblement depuis longtemps passé du désemparement au renoncement. Le tout est relativement solide sur le plan filmique, et l'écriture franche et musicale garantit de bonnes joutes verbales. Laurent Cantet cinéaste s'en sort donc plutôt bien, préférant mettre l'accent sur l'intimisme et le côté clinique des lieux plutôt que sur l'exhaustivité. Une classe, quelques protagonistes, une intrigue épurée qui traduit au final assez bien la monotonie d'une année scolaire, établissement sensible ou pas. Par contre, Laurent Cantet idéologue se plante lourdement.
 
Car contrairement à l'insoutenable l'Esquive, le film a aussi un propos. Et c'est au final cette tentative de politisation qui rend un témoignage spontané et authentique complètement irrecevable car beaucoup trop biaisé. La plus grande force du film, qui est sa capacité à rendre compte d'une réalité indéniable (et qui ravive souvent le souvenir douloureux d'avoir été volé de sa scolarité à n'importe quelle personne qui l'a accomplie dans l'un de ces milieux) est alors désamorcée par les leçons de morale et le parti pris peu subtil adopté par le réalisateur et probablement par François Bégaudeau, puisque le film s'inspire de son propre quotidien de professeur de français narré dans son roman éponyme. Ce dernier, depuis longtemps désabusé vis à vis du système, s'évertue tout de même à inculquer à ses élèves un tant soit peu de culture et d'exigence linguistique malgré les standards extrêmement dégradés de son établissement du vingtième arrondissement de Paris (imaginez alors, au passage, ce qu'il en est de la situation dans une ZEP du « 9-3 »). L'approche de l'enseignant en question est extrêmement libertaire : refus borné de toutes sanctions, acceptation de la médiocrité culturelle de ses élèves, et même célébration de celle-ci. Si le héros du film est si peu attachant, c'est parce qu'il trouve des excuses universalistes au renoncement de tout un système sociétal et éducatif face à un phénomène qui est la désintégration totale des jeunes élèves. Seront ainsi célébrées la fameuse diversité culturelle, qui n'est jamais la source des conflits, tout au plus des incompréhensions, et quand bien même ce serait le cas, on nous fait clairement comprendre que le système devrait s'adapter, pas l'inverse. Quant à la bêtise des opinions de certains élèves (pas toujours imputables à leur âge, loin de là), elle sera tout au plus révélée par quelques sophismes bien placés du professeur de français.
 
Rajoutons aussi un peu de « sans-papiérisme » toujours bienvenu pour faire pleurer dans les chaumières, avec les professeurs tous un peu bobos sur les bords complètement abattus lorsqu'ils apprennent que la mère de l'un des élèves les plus brillants du collège, chinois de surcroît, va être expulsée suite à une « rafle ».
 
Un film qui prend parti, est-ce nécessairement mauvais ? Pas forcément, si l'on accepte la contradiction. Mais le réalisateur a l'air d'être aussi borné que le personnage principal de son film puisque les seuls contradicteurs du film sont dépeints comme des connards inhumains (le professeur de mathématiques) ou des impuissants qui font acte de figuration (le proviseur). Alors que le film ne porte même pas sur le fameux combat entre « pédagogistes » et « traditionalistes » qui fait rage au sein de l'Éducation Nationale, on a l'impression que, dans un réflexe de repli sectaire, les auteurs ont tout de suite voulu nous montrer quelle était la bonne solution. J'ai ainsi eu la désagréable sensation que dans ses hors pistes politiques peu subtils (mais aussi peu nombreux, je l'admets), Entre les Murs prônait la fuite en avant. De quoi embuer une fenêtre pourtant limpide sur la réalité de ces salles de classe, qui devient un vulgaire observatoire pour bobos, voyeuriste alors qu'il aurait pu être simplement édifiant. C'est pour cette raison précise que ce film ne peut prétendre au statut de brillant drame social façon The Wire. Parce qu'il a voulu sortir des murs, Entre les Murs reste confiné au ghetto idéologique d'une caste bourgeoise en mal de combat social... mais se garde bien de préciser que leurs têtes blondes ne les franchiront pas, elles, ces murs.

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4 réactions à cet article    


  • orage mécanique orage mécanique 6 juillet 2011 12:04

    on n’entend toujours les mêmes accusations sur ce film qui au demeurant n’est ni intéressant ni inintéressant c’est juste aussi prenant et bien réalisé qu’un épisode de « Pause café » 25 ans après.

    bobo, sans-papiérisme ... c’est à se demander si aujourd’hui on peut faire un film social sans être directement critiqué par les mêmes aphorismes qui finalement ne veulent rien dire mais sont pratiques parceque tout le monde y entends ce qu’il veut entendre.
     


    • voxagora voxagora 6 juillet 2011 20:20

      .

      J’ai les même a-priori que l’auteur sur le bobo-isme,
      et sur la visée idéologique du réalisateur.
      Mais, outre que c’est peut-être un déguisement pour obtenir des subventions
      (il faut faire allégeance à un politiquement correct même si on n’est pas d’accord),

      Ce coté mis à part,
      j’ai été très agréablement surprise, en regardant le film à la télé,
      par son réalisme, sa justesse,
      et pour moi qui aime les mots et comment ils sont agencés dans le langage,
      ce fut un vrai plaisir. 
      .

      • Brath-z Brath-z 7 juillet 2011 04:55

        En regardant ce film, j’ai eu l’impression d’avoir perdu mon temps. Le « réalisateur » eût pu aussi bien poser une caméra dans une salle de classe, il aurait eu grosso-modo la même chose. A quoi bon un film qui a l’air d’un documentaire sans en être un ?
        Et puis le message derrière est absolument gerbant. Vraiment, quitte à encenser un film qui parle du système éducatif français, autant voir La Journée de la Jupe !


        • Elodie Leroy Elodie Leroy 11 juillet 2011 10:00

          Assez d’accord avec l’article. En fait, je suis d’accord sur les reproches concernant le fond du film (le manichéïsme m’a énervée), mais pas tout à fait d’accord avec les qualités formelles relevées ici. J’ai trouvé la forme du faux documentaire intéressante pendant les premières minutes mais vite lassante, l’écriture des dialogues n’étant guère à la hauteur des ambitions de réalisme.

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