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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Entre les murs : la Palme de la démagogie

Entre les murs : la Palme de la démagogie

par Laurent Dauré et Dominique Guillemin
 
Sean Penn souhaitait récompenser un « film politique ». Politique, le film de Laurent Cantet l’est assurément. Une ambition dont nous ne saurions contester la légitimité, tant l’école de la République est au cœur des enjeux qui traverse la société française. Si l’on en juge par les commentaires qu’il suscite, Entre les murs ferait figure de réplique iconoclaste à une poussée conservatrice à l’œuvre dans l’Education nationale. L’unanimité des éloges – jusqu’à ceux du ministre Xavier Darcos – atteste pourtant d’un profond malentendu sur le sens à accorder au film. En effet, on peine à déterminer ce que Cantet sauve, dénonce ou prescrit dans l’école qu’il montre à l’écran. Une ambiguïté qui se retrouve dans les nombreux entretiens qu’il a accordés.
 
Ainsi, il a affirmé que « le débat sur l’école est suffisamment idéologisé pour que nous nous soyons montrés très vigilants à ce qu’aucun discours idéologique ne se glisse dans le film (1) ». Les critiques ont loué cette posture neutre, mimant le documentaire, ainsi que le réalisme social de son cinéma. Mais Cantet déclare aussi : « Mes positions politiques transparaissent à travers ma vision de l’école, c’est certain (2). » Un film politique pourrait ainsi se soustraire à toute idéologie
 
Que Laurent Cantet en soit conscient ou non, son film repose sur des prémisses idéologiques. Il le reconnaît d’ailleurs explicitement en approuvant la pédagogie de François Bégaudeau : « C’est sans doute celle que j’aurais souhaitée pour moi et mes enfants (3) ». Alors, de quelle école se fait-il le prescripteur (4) ?
 
 
L’école comme laboratoire de la « civilisation mondiale »
 
Il a voulu faire part de son « désir d’une école plus ouverte à la réalité qui nous entoure, plus ouverte au langage, à la diversité, à la transmission, au fait de vivre ensemble, d’une école qui ne soit pas un sanctuaire où les élèves pourraient se débarrasser de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils sont (5) ». Des propositions exprimées dans une phraséologie aussi vague que répandue – depuis le racolage publicitaire jusqu’à la communication politique – relevant d’un désordre intellectuel et langagier. Pour commencer, il faudra bien se pencher un jour sur cet usage omniprésent du terme « diversité », mot de passe privilégié du jargon de la mondialisation. Présentée comme le remède à tous les maux de la société française, la diversité se substitue à l’égalitarisme républicain jusqu’à devenir une fin en soi. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Pour Laurent Cantet, c’est la « diversité de profils dans la classe [qui] en fait la richesse. J’ai passé ma scolarité dans une petite ville de province. Nous étions entre « petits Blancs », de la classe moyenne, parce que le collège unique n’existait pas encore. (…) Mes enfants me semblent beaucoup plus ouverts sur le monde en allant au collège à Bagnolet, dans une classe ressemblant à celle que je décris, que moi à leur âge (6) ». De tels propos entretiennent une confusion malvenue entre la mission de brassage social de l’école et une vision ethniciste de la société. Les jeunes Français issus de l’immigration sont enfermés dans le rôle d’éléments « exotiques » d’une civilisation mondiale fantasmée dont l’école serait le microcosme (7). En somme, une version postmoderne du Noir de service où l’on préfère sacrifier une assimilation possible pour encourager des aspirations identitaires finalement conflictuelles. Dans cet esprit, les termes « diversité », « métissage », « multiculturalisme » ou « mixité » sont employés indifféremment, sans jamais être explicités, privilégiant une conception esthétique de la société au détriment d’une véritable critique sociale. 
 
L’école de la « tchatche »
 
Refusant de proposer des références communes aux élèves, l’école de Cantet met l’accent sur leur personnalité et leur « créativité ». Comme le réalisateur le dit lui-même, « beaucoup de profs seront d’accord avec cette idée que les élèves n’apprennent rien s’ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent l’apprendre et que, sans un certain plaisir à être à l’école, on n’apprend pas grand-chose. Le plaisir réside dans ces échanges, cette « tchatche », ces passes d’armes – les gamins aiment être dans l’opposition (8). » Il suffit donc juste de « jouer le jeu de la confrontation, de la délibération, afin qu’une parole juste des élèves puisse surgir (9) ». Ce qui se traduit dans le film par des scènes de « stimulantes joutes verbales (10) » où ni la « tchatche » des collégiens, ni la répartie du professeur ne parviennent à nous convaincre qu’il s’agit-là d’un réel apprentissage. L’école ne sort pas grandie de la mise en scène appuyée de ce qui n’est qu’un pugilat verbal. Marin, le professeur du film, dialogue en effet, mais avec cinq ou six personnalités marquantes, et non pas avec l’ensemble de la classe. C’est la parole de ceux-ci qui est « libérée », et elle seule, écrasant celle de la majorité silencieuse réduite au rôle de spectatrice du conflit de prestige engagé entre ses camarades et l’enseignant. Pour que son cours se fasse au bénéfice de tous, il lui faudrait limiter cette parole intempestive, et donc établir son autorité. S’il ne le fait pas, c’est parce qu’il refuse d’endosser la légitimité de sa fonction au prétexte d’une posture faussement égalitaire.
 
La médiocrité pour tous comme idéal démocratique
 
Rejetant la mise à distance (l’école « n’est ni une forteresse, ni un sanctuaire (11) »), le professeur adopte une approche compassionnelle qui relègue au second plan la transmission des connaissances. Qu’enseigner en effet lorsqu’il s’agit d’abord « d’accepter une remise en question du savoir par les élèves (12) » ? Bégaudeau se refuse à s’associer au rôle salutaire d’une école dont les murs devraient faire écran entre les difficultés quotidiennes des enfants et leur découverte des savoirs. Ainsi, flattant les petites individualités – la sienne y compris –, il adopte une pédagogie de la séduction qui révèle un désir de fusionner avec une éternelle adolescence qu’incarneraient ses élèves. François Bégaudeau revendique lui-même une certaine immaturité : « je ne suis pas né prof et je suis assez peu adulte. Or, un prof se doit d’être un "suradulte". J’ai toujours eu du mal à dire à un élève : "il faut penser à ton avenir" alors que je n’aime rien tant que les jeunes qui s’en foutent (13) ». Cet esprit de démission s’explique par la volonté d’instaurer un rapport d’égalité entre le professeur et ses élèves. De toute façon, « aucun prof ne peut prétendre être un bon prof (14) ». On s’efforce alors de « se mettre à leur niveau », « d’aller les chercher », « de négocier avec la classe ». Avant même d’enseigner quoi que ce soit, les prérequis de la transmission des connaissances sont eux-mêmes discutés (silence, discipline, autorité – rien ne va de soi). Or, l’enseignement est une activité inégalitaire par essence, le savoir et la responsabilité étant d’un côté et pas de l’autre. Ceux qui par commodité intellectuelle n’assument pas cette position se justifient souvent à la manière de Cantet lorsque celui-ci dit, par exemple, que l’école serait « un terrain d’expérimentation de la démocratie, de la citoyenneté (15) ». C’est une « école d’après l’école » qui est ainsi décrite, recherchant désespérément l’égalité, elle ne la trouve que dans la médiocrité pour tous ; une post-école qui favorise l’exclusion qu’elle prétend combattre.
 
Quoi qu’en dise Laurent Cantet, Entre les murs est un film idéologique. S’il s’en défend, c’est pour mieux contredire le « fantasme actuel de la faillite scolaire (16) » et couper court à toute critique. Comme chacun sait, l’idéologue, c’est toujours l’adversaire. Ainsi, neutre mais engagé, dans le confort de ses idées vagues, il célèbre les manifestations du désastre éducatif faute de vouloir les dénoncer. Applaudisseurs de l’air du temps, Cantet et Bégaudeau ne sont nullement les iconoclastes progressistes qu’on nous a présentés. Gageons qu’une fois les récompenses récoltées et le tumulte médiatique tari, il ne restera d’Entre les murs que le souvenir d’une parodie de débat. Le contraire de ce dont a besoin l’école.
 
« Moi, je crois à l’historicité, c’est-à-dire à l’évolution des choses, que ce soit dans le langage, le corps, les mœurs… Je pense que l’on gagne là où l’on perd. Depuis une dizaine d’années, on a affaire à une génération de jeunes beaucoup plus doués physiquement. Le corps bouge mieux. On a sans doute gagné en énergie ce que l’on a perdu en culture classique ou en qualités argumentatives (17). »
 François Bégaudeau
 
___________________________________________________________________________
 
Notes :
 
(1) Laurent Cantet, entretien avec Dominique Widemann, L’Humanité, le 24 septembre 2008.
(2) Propos recueillis par Bernard Achour, Illimité UGC, septembre 2008.
(3) Entretien avec Elise Domenach et Grégory Valens, Positif, septembre 2008.
(4) « J’aimerais que les personnalités politiques qui ont applaudi mon film à Cannes ou ailleurs, parfois même sans l’avoir vu, aient l’honnêteté de transposer cet enthousiasme dans leurs actes. Parce qu’on ne peut pas dire que les décisions relatives à l’école de l’actuel gouvernement soient vraiment raccord avec leurs concerts de louanges ». Propos recueillis par Bernard Achour, Illimité UGC, septembre 2008.
(5) Propos recueillis par Bernard Achour, Illimité UGC, septembre 2008.
(6) Libération, le 22 septembre 2008.
(7) « Cette école est traversée par le monde  », Laurent Cantet, propos recueillis par Laure Becdelièvre, www.cinelycee.com, le 4 juillet 2008.
(8) Entretien avec Laurent Cantet par Juliette Cerf et Luce Vigo, Regards, septembre 2008.
(9) Laurent Cantet, entretien avec Laurent Rigoulet, Télérama, janvier 2007.
(10) Laurent Cantet, propos recueillis par Bernard Achour, Illimité UGC, septembre 2008.
(11) Laurent Cantet, La Croix, le 24 septembre 2008.
(12) Laurent Cantet, entretien avec Laure Becdelièvre, www.cinelycee.com, le 4 juillet 2008.
(13) François Bégaudeau, entretien avec Stéphanie Lamome et Isabelle Danel, Première, septembre 2008.
(14) Laurent Cantet, entretien avec Philippe Lagouche, La Voix du Nord, le 23 septembre 2008.
(15) Propos recueillis par Laure Becdelièvre, www.cinelycee.com, le 4 juillet 2008.
(16) Propos recueillis par Laurent Rigoulet, Télérama, janvier 2007.
(17) Entretien avec Stéphanie Lamome et Isabelle Danel, Première, septembre 2008.

 

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8 réactions à cet article    


  • jakback jakback 29 septembre 2008 12:29

     cinéma de propagande, au service d’une société " d’élites " qui nivelle par le bas, afin de contrôler la masse, au profit de ceux qui prétendent la défendre.


    • Paul Villach Paul Villach 29 septembre 2008 12:32

      Aux auteurs de l’article

      Intéressante, votre approche au travers de la promotion publicitaire des auteurs du film.
      Je publie aujourd’hui aussi sur AGORAVOX une critique de ce film :" "Entre les murs", une opération politique d’exorcisme publicitaire". Nous nous rejoignons par des voies différentes. Merci de votre analyse et de ces citations empruntées aux auteurs qui laissent pantois ! Paul Villach


      • Paul Villach Paul Villach 29 septembre 2008 19:38

        @ auteurs

        Pardonnez une coquille dans mon commentaire. Le titre de mon article est " "Entre les murs" : une opération politique d’exorcisme national ?" (et non publicitaire) PV


      • Leila Leila 29 septembre 2008 13:02

        Je n’ai pas vu le film, et je ne le verrai pas, mais en lisant et en écoutant les "critiques" dans la presse et à la radio, j’ai compris que c’est de la propagande de bas étage. Ce n’est pas ainsi que je vois le collège. Merci aux auteurs pour ces explications.

        Les profs devraient se grouper pour réagir plus violemment.


        • Senatus populusque (Courouve) Courouve 29 septembre 2008 14:22

          Cette Star Ac d’un nouveau genre serait plus crédible si Bégaudeau était toujours enseignant ; mais il se croit une vocation d’écrivain ...

          Les acteurs ne sont plus très jeunes pour des élèves de 4e. Par ailleurs il y a des inconsistances dans l’argumentation de Bégaudeau, qui dans le film reproche à une élève de critiquer un savoir qu’elle ne maîtrise pas, alors que dans les interviews il admet cette critique a priori.

          Le matraquage publicitaire s’explique aussi par le fait que France 2 et France Culture sont sponsors du film.


          • allaf 29 septembre 2008 19:48

            Excellente analyse. L’auteur du livre l’a déjà avoué lui même avec une honneteté déconcertante dans "ce soir ou jamais", il se limite à faire l’animateur social et l’instruction n’est qu’un objectif secondaire, si les élèves ne s’ennuient pas, même s’ils n’apprennent rien, le cours est une réussite.

            Ce genre de film de propagande est un cache sexe du désastre réél de l’école.


            • djib 30 septembre 2008 11:23

              Ce que tous les films sur l’école et l’éducation ne pourront représenter malheureusement, c’est le regard que la société pose sur l’éducation. Qui se soucie aujourd’hui de culture ? Une calculatrice et un bon correcteur d’orthographe et on est prêt à affronter le monde n’est-ce pas ? A aucun moment la culture "gratuite" n’est mise en valeur, mise en avant, dans notre société, si ce n’est comme tête de gondole pour servir une pseudo-classe intellectuelle. Un balayeur n’a pas "besoin" de connaître Racine. Un comptable n’a rien à apprendre de l’histoire... le relèguement de nos existences à l’utilitarisme ambient nous relègue au rang de maillons solides et rigides là où les poètes nous voudraient des roseaux pensant.
              Mémé Ciredutemps, personnage ô combien en couleur des "Annales du Disque-monde" de terry Pratchett, pense que tout ça commence quand on commence à considérer les gens comme des objets. les entreprises d’aujourd’hui considérent les gens comme des objets... et la tendance veut que l’entreprise ait de plus en plus de poids dans l’éducation. A nous d’être les marteau et les tournevis de demain. Pour appuyer mon propos je vous prierai juste de considérer que le jour où une entreprise aura à disposition un robot capable d’assurer votre travail pour un coût moindre, vous serez purement et simplement remplacé, vous en conviendrez j’espère.


              • Sinbuck Sinbuck 30 septembre 2008 11:34

                Il ne faut pas oublier que ce film décrit la scène plus ou moins quotidienne des profs dans un collège socialement difficile. Un collège des beaux quartiers, avec une éducation parentale qui contrôle leurs enfants, est un lieu dans lequel le savoir se développe en chaque petite tête pensante. Il y a de nombreux collèges où la situation est "classique, normale et socialement normalisé..."

                Attention à ne pas trop intellectualiser le débat, un adolescent de moins de quinze ne possède pas, à proprement parler, d’un système cognitif pouvant se concentrer 40 h par semaine assis dans une salle de classe. Au lycée déjà, la maturité faisant son chemin, l’abstraction nécessaire à la computation d’un savoir peut commencer à s’exprimer correctement en philosophie, en sciences mais il s’agit d’un élève de terminale. Un élève de seconde est encore noyé par des pulsions, des émotions et des instincts enfantins qui caractérisent l’adolescent. Au collège, c’est vrai qu’il s’agit plus d’éducation que d’enseignement... Le système éducatif atteint ses limites avec toutes les compétences théoriques que l’enfant doit ingurgiter. Quel est la place laissée au développement de la physiologie, de l’expression corporelle, de l’intégration sociale comme interaction du monde des adultes et des enfants ? Nous connaissons tous la sincérité du langage libre de l’enfant, mais peut-il s’exprimer à l’école ? Les adolescents sont bombardés par le savoir scolaire et le regard porté sur notre société défaillante, ils remarquent que le monde ne tourne pas si rond dans les domaines de la politique, des médias, des religions, du sport, de la finance, le climat se dérègle, les civilisations se font la guerre... De nombreux repères sociaux sont actuellement déstabilisant pour l’éducation des enfants, et les adultes sont responsables de l’image du monde !

                Statistiquement, à la sortie du ciné, sur cinq profs :

                • déception pour trois, mais 	compréhension du contexte choisi ;

                  	

                • film réaliste pour les deux 	autres, à la hauteur des difficultés bien réelles 	dans certains collèges en France.


                  	

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