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Esprit surréaliste, es-tu là ? (Expo-anniversaire des 100 ans du mouvement à Beaubourg)

1924 - 2024 : Centenaire du Surréalisme à Beaubourg, Paris (jusqu’au 13 janvier prochain, ©photos in situ VD, plus quelques rajouts, hors expo). Bien. Le geste est fort (merci les artistes, moins les commissaires). Mais expo-somme souffrant d’un gros manque de rythme, avec des « tunnels » ou certains flottements dont on aurait pu, selon moi, se passer, notamment en fin de circuit (trop long, on fatigue). Pour autant, oui, à coté de grandes découvertes (de nombreuses femmes plasticiennes, jusque-là hélas trop ignorées, s’y trouvent, c’est indéniablement l’atout-force de cette expo millefeuille foisonnante), les grands noms du Surréalisme sont là, on peut même dire les STARS, encore heureux !, à l'imagerie des plus percutantes : la superstar Salva-d'Or Dalí, le pape Breton, Ernst, Chirico (plutôt perçu comme précurseur, car associé à une tendance d’avant : la peinture métaphysique), Tanguy, Magritte, Meret Oppenheim, Giacometti, Hans Bellmer, Jean Arp, Miró, Joseph Cornell et j’en passe.

La très bonne idée, ici, est de ne pas s’arrêter à la périodisation précise, de 1923 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de ce mouvement artistique majeur agrégeant bon nombre de personnalités turbulentes (intellectuels, peintres, poètes, photographes, cinéastes), amatrices de provocations, fort écœurées par la boucherie de 14-18, afin de laisser filer l’esprit surréaliste jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, on y découvre qu’une plasticienne exposée, réalisant des collages papillonesques facétieux, est encore vivante !, alors qu’elle appartient déjà à l’Histoire (Aube Élléouët-Breton, fille de l’écrivain André Breton, née en 1935, 88 ans au compteur), et l’on peut aussi apprécier un assemblage surprenant suspendu, rendant hommage à la petite Alice rêveuse et aventureuse de chez Lewis Carroll (figure récurrente dans la communauté surréaliste), signé Jean-Claude Silbermann (89 ans), que l’on peut considérer, très certainement, comme le dernier acteur du groupe encore en activité. Bref, bonne nouvelle, le surréalisme a encore les capacités de bousculer, il n’est pas mort et enterré ! 

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Comme des rêves enchâssés, à la « Inception » (2010, Christopher Nolan) : « Armoire surréaliste » (1941), 180,5 x 211 x 3 cm, par Marcel Jean (1900, La Charité-sur-Loire - 1993, Louveciennes), bois verni, quatre portes ornées d’une peinture surréaliste, Musée des Arts décoratifs, Paris. Legs Marcel Jean, 1994

Drame surréaliste

L’expo, au niveau de la recontextualisation et de la mise en espace, est vraiment bien fichue, avec une spectaculaire scénographie en spirale, déclinée en treize chapitres, d’Entrée des médiums à Cosmos en passant par Monstres politiques, La pierre philosophale, Hymnes à la nuit et autres Larmes d’ Éros, qui seraient comme autant de paragraphes moteurs nourrissant un roman, que dis-je un pavé !, consacré au Surréalisme-Roi, signée Corinne Marchand, agissant comme un véritable labyrinthe, celui du Minotaure ?, qui, judicieusement, vient s’enrouler autour du noyau central de cet événement choral d’envergure - en France, il n’y avait pas eu de grande exposition sur le surréalisme depuis 2002, avec La Révolution surréaliste, déjà au Centre Pompidou, manifestation muséale alors quasi exclusivement masculine - qui n’est autre que le Manifeste du surréalisme, publié par André Breton en 1924, prêté à titre exceptionnel par la Bibliothèque nationale de France.

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« La Durée poignardée », 1938, René Magritte (1898, Lessines - 1967, Scharbeek), huile sur toile, 147 x 98,7 cm, The Art Institute of Chicago, Joseph Winterbotham Collection

C'est dans celui-ci qu’on y trouve, dans un manuscrit original, comptant moult ratures (l’ex-étudiant en médecine, Breton, manifestement, a grave cogité et pesé chacun de ses mots pour frapper juste), la définition du mouvement, par le poète inspiré des Chants magnétiques, de Nadja, des Vases communicants et de L’Amour fou, qui tient son nom du sous-titre, Drame surréaliste, de la pièce de Guillaume Apollinaire les mamelles de Tirésias  : « SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »

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« L’Ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme) », 1937, Max Ernst (1891, Brühl - 1976, Paris), huile sur toile, 117,5 x 149,8 cm, collection particulière

Eh oui, il ne faut pas oublier que le surréalisme, certainement encore aujourd’hui le mouvement le plus populaire, via ses énigmes visuelles chiadées hyper séduisantes, au sein des avant-gardes de la modernité au XXe siècle, voulait changer l’art - dans des formes littéraires et plastiques à réinventer, en passant notamment par le cadavre exquis (jeu collectif consistant à faire composer une phrase, ou un dessin, par des inyervenants ignorant la contribution précédente, parce que masquée) et par l'écriture automatique que son « pape » préconisait pour laisser courir sa plume en dehors de tout contrôle exercé par la raison, ainsi que dans les thématiques abordées (les artistes n’explorent pas la nature mais un monde intérieur, intime et palpitant, en focussant sur la confiance qu’ils font au rêve, au hasard, à l’hallucination et surtout à la théorie de l’inconscient par Freud) - mais également, et surtout, la vie.

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« May 16, 1941 », 1941, Grace Pailthorpe (1883, St Leonards-on-Sea - 1971, St Leonards-on-Sea), huile sur toile montée sur carton, 38,1 x 48,3 cm, Tate. Purchased, 2018)

Ce courant « alternatif » qu'est le SUR-réalisme apparaît peu après l’émergence de la décharge électrique que fut Dada, riche en scandales, et les ravages de la Première Guerre mondiale animée fâcheusement par une technologie rationnelle faite soi-disant pour rassurer mais qui a conduit, in fine, au sein d’une société corrompue, droit à la mort. C'est, de surcroît, un mouvement fantasque et cocasse, à tendance mortifère, qui s’appuie ouvertement sur la pulsion érotique, sublimée chez Dalí (qui était impuissant), et sur la psychanalyse pour, dixit la peintre britannique Grace Pailthorpe, « libérer l’individu de ses conflits internes afin qu’il puisse fonctionner librement. » Ainsi, tel un échappement libre, façon échappée belle à travers l’art, cette pléiade d’artistes estampillés surréalistes, authentiques dynamiteurs de la pensée bourgeoise unique et des canons logiques, aspirait tant à « transformer le monde » - tout est à ébranler ! - qu’à « changer la vie ». Beau et louable projet. 

On pénètre l’expo de Beaubourg par une espèce de gueule géante, aux crocs acérés et aux yeux globuleux, qui n’est autre qu’une grande tronche monstrueuse, façon gargouille, provenant du parc maniériste de Bomarzo : c’est très bien vu car, d’une part, ce monstre opératique du cabaret L’Enfer est issu d’un théâtre d’illusion à la façade en stuc qui était proche de chez Breton et, d’autre part, les surréalistes, adorant s’emparer des objets de la vie courante et des matériaux industriels de leur temps, boosté par les « progrès futuristes » de la révolution industrielle du XIXe siècle, pour mieux les détourner – au fait, concernant le surréalisme, je ne connais pas meilleure définition que celle donnée par feu René Passeron (1920-2017), historien de l’art surréaliste, « C’est la fusion du réel et de l’imaginaire ») -, tels Dalí avec son téléphone aphrodisiaque en bakélite ou Chirico via son gant rouge en caoutchouc géant apparaissant dans son philosophique Chant d’amour (1914), concevaient souvent leurs expos de groupe divertissantes telles des... fêtes foraines. C’est donc une excellente entrée en matière que cette arche infernale, du genre seuil de parc d’attraction offrant un frisson de plaisir chez les « passeurs » de 7 à 77 ans, procurant visiblement de la joie aux nombreux visiteurs que nous sommes, lorsque nous la franchissons.

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« Le Chant d’amour », 1914, Giorgio De Chirico (1888, Vólos - 1978, Rome), huile sur toile, 73 x 59,1 cm, The Museum of Modern Art, New York. Nelson A. Rockfeller Bequest, 1979

Dans le registre plastique (ou de la puissance formelle faisant sens), parmi une quantité incroyable de pièces réunies, tant littéraires (brouillons, lettres, imprimés tels affiches, revues et livres) que visuelles (peintures, films, dessins, photos, collages, gravures, sculptures, installations), certains auteurs, souvent à la griffe immédiatement identifiable, arrivent à sortir du lot : André Masson, via ses lignes sinueuses liquides et dansantes sur des fonds de sable, y fait du dripping avant l'heure, avant Pollock, connu aussi sous le pseudo de « Jack the Dripper », on le savait et, pas loin, avec ses formes courbes en volume, colorées uniformément (blanc cassé), Jean – ou Hans - Arp propose des sculptures, mêlant malicieusement surréalisme et abstraction, qui deviennent vite, sous nos yeux, par le biais des métamorphoses, des sortes de nuages, c’est elliptique à souhait, donc magnifique. Picasso reste très plasticien (meilleur que Max Ernst, pourtant en général si vanté, pour ses frottages et autres grattages, un cran au-dessus selon moi), même si, concernant le peintre français d’origine allemande (1891-1976) à tête d’oiseau et à La Femme 100 têtes, une toile majeure de lui – issue d’une collection privée suisse ! – s’y trouve, à savoir L’Ange du Foyer ou le triomphe du surréalisme (1937, tableau visuellement très impactant, méga puissant même (servant d’ailleurs de visuel accrocheur pour l’affiche de cette expo collective à Pompidou), qui vient dénoncer abruptement la bête immonde du franquisme dans l’Europe fasciste des années 30, toile inouïe faisant bientôt écho à la non moins splendide, si ce n’est plus, Prémonition de la guerre civile (1936), du Catalan exubérant Dalí au sein de laquelle, sous un ciel bleu nuageux magnifique peint à la Boudin, on découvre, avec un parfum scatologique puissamment distillé, dans une imagerie « hollywoodienne » saisissante, alimentée par un réalisme photographique et un coup de pinceau méticuleux, une construction molle avec haricots bouillis, apparaissant tel un épouvantail horrifique constitué d’un énorme amas de chairs agglutinées en proie carrément à de l’auto-cannibalisme, comme pour mettre en image le serpent qui se mord la queue de la guerre civile… intestine.

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« Extrême nuit », 1977, Leonor Fini (1907, Buenos Aires - 1996, Paris), huile sur toile, 115 x 89 cm, galerie Minsky, collection particulière

Prémonition de la guerre civile : au sujet de cette œuvre phare du surréalisme, exécutée avec une précision académique maniaque en vue d’engendrer, dixit l’excentrique Dalí, « une image en couleurs et en trois dimensions du rêve  » [pièce maîtresse qui n’est pas la seule dans le circuit proposé, loin s’en faut !, on croise également, entre autres, toujours du même artiste, son fameux téléphone-homard (Le Téléphone aphrodisiaque, 1938, « beau comme la rencontre fortuite, dixit Lautréamont (Les Chants de Maldoror), sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ») ainsi que son iconique Rêve peint de 1931, chef-d’œuvre (clair-obscur) absolu, serti de fourmis grouillantes repoussantes, sans oublier, cette fois-ci de la part de l’autre grand artiste éminemment populaire du surréalisme, le Belge René Magritte (1898-1967), la célèbre locomotive à vapeur fumante jaillissant d’une cheminée (La Durée poignardée, 1939), ou, comme s’envolant, du trop méconnu Wolfgang Paalen (1905-1959), un fantomatique parapluie entièrement constitué d’éponges de mer (assemblage Nuage articulé, 1937)], Dalí a écrit, dans La Vie secrète de Salvador Dalí : « Je peignis un tableau (…) où je représentai un grand corps humain grouillant de bras et de jambes s’étranglant mutuellement dans le délire. En arrière-plan de cette architecture de chair frénétique consumée par un cataclysme narcissique et biologique, j’ai peint une ‌"évolution normale". La structure molle de cette énorme masse de chair dans la guerre civile, je l’ai garnie de haricots bouillis, parce qu’on ne peut s’imaginer avalant toute cette viande insensible sans l’accompagnement même banal de quelque légume mélancolique et farineux.  » 

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« Construction molle avec haricots bouillis (prémonition de la guerre civile) », 1936, Salvador Dalí (1904, Figueras - 1989, Figueras), huile sur toile, 81,6 x 65,4 cm, Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950

De son côté (et pour en revenir à Pablo Picasso), l’Acrobate bleu (novembre 1929), avec ses formes élastiques étirées rappelant Greco ou Garouste, est une splendeur : il a la simplicité des très grands, cette œuvre frontale, à la planéité pleinement assumée, nous apparaissant, hyper présente sur sa cimaise, telle une épure, via l’affirmation heureuse du repentir (les essais ne sont pas cachés) - allez savoir pourquoi, devant, j'ai pensé à Philippe de Champaigne (1602-1674) ; certainement, en y réfléchissant quelque peu après, du fait de sa simplicité radicale, confinant au dépouillement du less is more, ayant la force de l’évidence, c’est une peinture magique, comme habitée. Avouons-le, le jouxtant, te tableau léché Les idées de l’acrobate (1928, Magritte), pourtant bien peint, passerait presque inaperçu ! Le Roumain Victor Brauner (1903-1966, en provenance de Bucarest) se défend bien aussi, avec son chimérique Loup-Table (1939-1947), des plus iconiques, comme sorti tout droit d’un rêve violent qui amalgamerait la gueule hurlante et la queue d’un loup empaillé à une table en bois dont l’un des pieds se métamorphose soudain sous nos yeux en patte et vice-versa, et ses hauts en couleur shaped canvas (toiles découpées) primitifs.

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« Acrobate bleu », novembre 1929, Pablo Picasso (1881, Malaga - 1973, Mougins), fusain et huile sur toile, 162 x 130 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

De la beauté convulsive du surréalisme, via ses plasticiennes, faisant bouger les lignes

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« 29 rue d’Astorg », circa 1936, 29,4 x 24,4 cm, Dora Maar (1907, Paris - 1997, Paris), Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

Étrangement, ce sont, selon moi, les femmes (Dora Maar, Dorothea Tanning, Sonia Mossé, Grace Pailthorpe, Helen Lundeberg, Toyen, Jane Graverol, Edith Rimmington, Maruja Mallo, Judit Reigl, Mimi Parent, Aube Élléouët-Breton) - au passage, youpi, on découvre certains noms ! - qui tireraient la chose vers une contemporanéité (bienvenue) du surréalisme avec des formes molles féminines, souvent sexuées, et autres bizarreries organiques obsessionnelles qui glissent vers du monstrueux lynchien tout à fait à propos : selon moi, le réalisateur américain David Lynch, surnommé à raison par la critique Pauline Kael comme « le premier surréaliste populaire », via son univers cinémato-graphique cauchemardesque plongeant au cœur de la psyché humaine et de ses affres, est particulièrement présent ici, malgré son absence regrettable !, à travers deux œuvres exposées : l’installation Chambre 202, Hôtel du Pavot (1970, achat Centre Pompidou 1977, bois, tissus, laine, papier peint, tapis, ampoule électrique), par Dorothea Tanning (1910, Galesburg - 2012, New York), et l’épreuve gélatino-argentique rehaussée de couleurs 29 rue d’Astorg de Dora Maar (vers 1936, achat de Beaubourg, en 1990).

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« David Lynch presents » une installation (« Chambre 202, Hôtel du Pavot », 1970, 340,5 x 310 x 470 cm) de Dorothea Tanning (1910, Galesburg - 2012, New York), Beaubourg, Paris

Quant à son compatriote Philip Guston (1913-1980), pourtant lui aussi absent du dispositif scénographique, il semble également, et ce bizarrement, se taper l’incruste, avec ses formes rondes cartoonesques incongrues, souvent malaisantes, bien connues - je dirai qu’il s’y trouve en filigrane, ou en loucédé, via la présence du tableau grotesque fort réussi, un tantinet brindezingue, signé Grace Pailthorpe (1883-1971), May 16, 1941, petite huile sur toile (1941) stupéfiante montrant, avec beaucoup d’humour (et une pointe d’angoisse ? Elle fut chirurgienne pendant la Première Guerre mondiale), une sorte de forme embryonnaire flottante, aux airs de dirigeable rose bonbon béat, semblant comme se souvenir des avantages de la vie intra-utérine.

C'est là qu’un constat, à mon avis, s’impose : serait-ce dans ses marges (via le mouvement historique décliné au féminin ? Femmes minoritaires, certainement, j'imagine bien, regardées encore de haut, pour l'époque j'entends, le machisme faisait certainement encore autorité - pour autant, soyons beaux joueurs, force est de reconnaître que les surréalistes ont reconnu assez tôt, et ce sans ambiguïté, la place de la femme) que le surréalisme s'avérerait, avec le temps (à savoir avec le recul suffisant : 100 ans plus tard), le plus accrocheur, le plus pertinent, voire le plus révolutionnaire ? Comme si le surréalisme, mine de rien,, dans le je(u) de la confusion des genres et du décloisonnement géographique (dépasser très largement les frontières nationales pour aller voir ailleurs, en Amérique latine par exemple, ce qui s’y crée), avait un siècle d'avance. Peut-être ! Chantier de réflexions grand ouvert, en tout cas...

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« Rêve du 21 décembre 1929 », Valentine Hugo (1887, Boulogne-sur-Mer - 1968, Paris), mine de plomb sur papier, 47 x 29,5 cm, collection Mony Vibescu
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Un jeune Dalí rêveur, les yeux grands fermés...

À la fin du circuit, ça se dilue : trop de forêts, trop de « maisons de poupées » gigognes (des rêves enchâssés à foison, rêve encastré dans le rêve, etc.), et de petites salles qui s’enchaînent, tout se confond un peu (Kay Sage fait du Tanguy, Óscar Domínguez, du Dalí !) - ne dit-on pas que trop embrasse mal étreint ? Puis, faut bien le dire, trop de seconds couteaux, trop de fabriqué, trop de redites, il aurait selon moi fallu se montrer plus tranchant, plus sélectif, l'ennui finit même par pointer, on a un Jean Degottex (1918-1988, grand artiste, au demeurant), y rayonnant avec une calligraphie abstraite comme en apesanteur (en soi, une pièce zen superbe), mais que fait-il là, franchement ? Pour son « écriture automatique » de gestuelle lyrique enlevée ? Dans ce cas-là, autant mettre le Pollock chamanique des débuts, curieusement absent, complètement imprégné de surréalisme, d’art amérindien (les esprits occultes, les peintures de sable) et d'inconscient qui travaille.

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« Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade, une seconde avant l’éveil », 1944, Salvador Dalí, huile sur bois, 51 x 41 cm, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

Qui a peur de David Lynch ?

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« Untitled [Sans titre] », 1991, Robert Gober (Wallingford, Connecticut, 1954), cire d’abeille, vêtement, bois, cuir et poils humains, collection Pinault, assemblage montré dans le group show « Les Choses - une histoire de la nature morte » au Louvre-Paris, conçu par Laurence Bertrand Dorléac, automne 2022

La fin de parcours manque de percussion ; fallait de l'uppercut, du collage, de la fraîcheur, des intrus ! Sidéré qu'on n'y trouve pas, alors que cette expo-anniversaire s’autorise justement à ne pas se cantonner à la périodisation historique imposée (1923-1945) du surréalisme, Rober Gober (sculpteur américain né en 1954 : pourtant le plus grand des surréalistes dans le champ contemporain des arts plastiques, il fait tout simplement, pour moi, du Magritte... en 3D, en s’emparant des objets pour les détourner selon ses désirs et sa puissance de volonté).

Par ailleurs, le cinéma est là, mais qu'avec Hitchcock (cf. La Maison du docteur Edwardes, 1945, via la fameuse séquence dalínienne du rêve comme temps suspendu) et Luis Buñuel (attendu comme le loup blanc, on connaît sa collaboration fructueuse des débuts avec Dalí (Un chien andalou, L’Âge d’or), encore lui !). Ainsi, dans les ouvertures finales, sidéré également qu'on n'y trouve pas Mister Lynch, dont le cinéma plein de mystères (Eraserhead, Elephant Man, Sailor & Lula, Lost Highway, Mulholland Drive, Inland Empire), ô combien plastique (pour rappel, ce réalisateur rare est aussi peintre, dessinateur, graveur et photographe), est pourtant hautement surréaliste, faisant partie de nos vies contemporaines (il infuse par-delà ses films, allant jusqu'à influencer le réel !). Fin d’expo comme « bâclée », guère inspirante, ne tenant pas toutes ses promesses (avec sa théâtralité d’apparat forain, elle démarrait si fort). Ronronnante, trop muséale ?, alors qu’il faudrait de l’électrique, du sexy, de l'Amour fou, du trouble, du vertige. Bon sang, où est l'oreille coupée du génial Blue Velvet (1986) pour réveiller tout ça ?

Certes, il y a tout de même des points positifs (certains ont d’ailleurs déjà été signalés précédemment, telles une scénographie labyrinthique joueuse (attention, on peut s’y perdre !), la place des femmes reconnue telle une évidence, se doublant d’un élargissement géographique fort appréciable, dépassant stricto sensu le cadre européen, en vue de favoriser une internationalisation massive du mouvement surréaliste [certes, l’intransigeant André Breton (1896-1966), « pape » ô combien reconnu, et craint, du surréalisme, avait fini par exclure en 1934 Salvador Dalí, pour s’être « rendu coupable, à diverses reprises, d’actes contre-révolutionnaires, tendant à la glorification du fascisme hitlérien », l’humour dalinien désopilant faisant feu de tout bois semblant malheureusement lui échapper, mais il savait très bien s’aventurer hors de son domicile-musée parisien pour découvrir des foyers de créativité tous azimuts fort éloignés, comme lorsqu’il s’est « amouraché » artistiquement d’une certaine Fatma Haddad (1931-1998), artiste algérienne dite Baya, à la peinture joyeusement colorée pouvant rappeler les arborescences hors limites de « l’illuminée » Séraphine de Senlis - en 1947, des plus emballés, le poète-voyant écrit ceci, dans sa revue Derrière le miroir  : « Je parle, non comme tant d’autres pour déplorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine. Le début d’un âge d’émancipation et de concorde, en rupture radicale avec le précédent, et dont un des principaux leviers soit pour l’homme l’imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature »] : la photo y est bien représentée (Brassaï, Man Ray, Wols, Eli Lotar, Georges Hugnet, André Kertész, Jacques-André Boiffard, Erwin Blumenfeld, Caude Cahun, Pierre Molinier...).

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« La Maison du docteur Edwardes » (« Spellbound »), 1945, Alfred Hitchcock (1899, Leytonstone - 1980, Los Angeles), film 35 mm noir et blanc, 1h51 min, Disney/ABC Home Entertainment and Television Distribution

Un dessin subtil de Victor Hugo (1802-1885) s’y trouve, avec glissement de terrain heureux entre figuration et abstraction (son titre est des plus explicites : Taches en forme de paysage, vers 1857), ainsi qu’une merveille graphique, cadre biscornu compris, signée Valentine Hugo (1887-1968), on reste en famille !, Rêve du 21 décembre 1929, feuille en noir et blanc renversante de beauté spectrale et d’érotisme mortifère déviant ; le Paul Delvaux (1897-1994) est superbe (la poésie du train d’après avec des femmes-forêts sublimées, comme éternellement en attente).

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Clovis Trouille (1889, La Fère - 1975, Neuilly-sur-Marne) ! « Le Rêve d’Alice (dans un fauteuil) », 1945, huile sur toile, 38 x 55 cm, Indivision Lambert

Et, ouf, deux peintres rares et précieux, à mes yeux, sont là : Clovis Trouille (1889-1975), revisitant en beauté, via une toile crépusculaire ambiance « train fantôme » (toile au passage d’ailleurs tout à fait raccord avec l’entame de l’expo démarrant par une gueule patibulaire béante tirée du parc des monstres de Bomarzo), Alice au pays merveilles (il est le peintre des devantures de fête foraine, à la Rimbaud, cf. son fameux, in Alchimie du Verbe d’Une Saison en Enfer, « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires »), sa présence est d’autant plus la bienvenue, qu’avec son œuvre subversive, mâtinant imagerie populaire, érotisme, humour macabre, antimilitarisme et anticléricalisme, il était qualifié par les intéressés eux-mêmes, à savoir les surréalistes, de « Grand Maître de cérémonie du tout est permis » et Konrad Klapheck (1935-2023), grand plasticien de Düsseldorf - hélas encore trop méconnu -, présent ici également avec une machine à coudre peinte de 1957 (objet surréaliste par excellence, ne manque plus que le parapluie sur une table de dissection, en guise de clin d’œil à Lautréamont), comme exécutée au scalpel, oscillant entre Duchamp (machine célibataire) et Magritte (facture lisse, impersonnelle), à l’hyperréalisme des plus agressifs, agissant comme une pointe dans l’œil.

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Une peinture tirée au cordeau, comme réalisée par une machine ! « Die Gerkränte Braut », 1957, huile sur toile, 50 x 61 cm, Konrad Klapheck (1935, Düsseldorf - 2023, Düsseldorf)

Anecdote éclairante, un jeune couple, pendant ma visite, devant le Klapheck. Elle - « Mais il est où le surréalisme là-dedans ? » Lui (amusé) - « Mais, enfin, il est partout ! » Eh oui. Partout, et nulle part, sachant que tout peut devenir surréaliste, désormais, et plus que jamais : entre nous, notre monde actuel, avec son absurdité évidente et le fracas démultiplié des armes masculinistes, n’est-il pas, en soi, des plus surréalistes, voire des plus fous ? Passons ! Klapheck, en fait, c’est du surréalisme non littéral. Le meilleur, d’après moi, car présent par son absence même ! Au regardeur de gamberger, en y projetant ses propres névroses (« Le regardeur fait le tableau », disait le dadaïste Duchamp), et trouilles. Freud, je pense, aurait apprécié, on se souvient encore de son expression heureuse inquiétante étrangeté, qui pourrait d’ailleurs parfaitement fonctionner comme définition possible su surréalisme (voir le réel sous le prisme d’un regard nouveau révélant soudain l’effrayant et la part dérangeante dans un objet du quotidien familier en apparence banale).

Pour la petite histoire, Sigmund Freud (1856-1939), grande influence du surréalisme pour son auscultation sans tabou du continent de l’inconscient, reconnaissait voir plus de surréalisme à l'œuvre dans les tableaux allusifs mystérieux, nimbés de sfumato, de Léonard de Vinci (1452-1519) que dans les toiles (bien souvent trop calibrées, voire trop démonstratives) desdits surréalistes, ayant exploité à fond, tout compte fait, en prolongeant leur geste de « théâtre de l’imaginaire » en peinture, ce qui avait été fait, bien avant eux, dans les peintures visionnaires et étranges de Giuseppe Arcimboldo (1526-1593) et Jérôme Bosch (vers 1450-1516), d’ailleurs ils n’ont jamais caché leur dette envers ces deux illustres aînés, dont la fortune critique n'est plus à démontrer, grands imagiers historiques à l’imagination débridée et orfèvres en images ambivalentes. OK ça se discute (le surréalisme trop affiché car trop volontariste des surréalistes « de métier » pouvant, à force de répétitions convenues, virer aux ronds de cuir), mais il y a une part de vrai, tout de même, me semble-t-il…

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« L’Été de la Saint-Michel », 1932, par Pierre Roy (1880, Nantes - 1950, Milan), huile sur toile, 33 x 65 cm, Centre Pompidou, Paris, achat de l’État, 1947, attribution, 1947

Son surréalisme « en creux », à ce cher Konrad (peintre étonnant ! Avec une césure particulière dans sa production picturale : d'abord la représentation au cordeau d’objets métalliques froids, puis ensuite la description de la chaleur du jazz, via ses musiciens dont la plupart afro-américains et leurs instruments peints avec amour, dans la nuit ! Fut souvent montré, de son vivant, à la galerie Lelong, Paris, qui le représente toujours), est selon moi, bien plus fort que l’imagerie littérale du voisin d’à côté, juste en face : un certain Pierre Roy (1880-1950), avec L’Été de la Saint-Michel, 1932, huile sur toile appartenant à Beaubourg ; certes, c’est bien peint, bonne technique, mais tableautin trop sage, et un poil daté, trop pépère, limite trop scolaire, et surtout trop vite identifiable, avec son étiquette d’office labellisée « surréaliste ». 

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« Le Téléphone aphrodisiaque », 1938, Dalí, plastique, métal, 20,9 x 31,1 x 16,5 cm, Minneapolis Institute of Art, The William Hood Dunwoody Fund

Voilà, c’est ça, l’expo manque de folie, d’extravagance, de sang neuf, de pas de côté, de prise de risque ! La part historique étouffant de trop l’énergie dévastatrice et provocatrice des débuts du surréalisme ainsi que son esprit de révolte, à la base. Bref, pour faire court, c’est une expo sur le « Surréalisme » mais qui ne s’avère pas assez surréaliste en soi, autrement dit ébouriffante de l'intérieur, l’esprit surréaliste, du genre bourrasque décoiffante, ne l’ayant pas assez infiltrée de partout, y compris dans sa conception même.

Et comment les organisateurs de cet expo-événement peuvent-ils saluer (comme prévu) le peintre divin Dalí (1904-1989) en omettant sa formidable plume d’écrivain érotomane (de l’autofiction avant l’heure à l’humour ravageur) ? Dalí est peintre ET écrivain, jongleur de mots secrètement pénétrants. Bref, me voilà contrarié, restant trop sur ma faim, mais bon, je vais m’en remettre, hein !

Il faudra ainsi se rendre à la librairie-boutique du musée (bourrée de références, de publications), au même étage, pour retrouver ses ouvrages cultes, dont son génialissime Journal d’un génie (rédigé entre 1952 et 1963, mêlant vérité et mythomanie, pensées tourmentées et saillies philosophiques), alors que, par le recours à des extraits sonores par exemple (comme Beaubourg l’avait fait pertinemment en 2019 avec l’expo Bacon en toutes lettres) ou bien à des documents manuscrits d’archives exposés, ses écrits ampoulés dalírants, à la verve explosive, auraient très bien pu intégrer le parcours festif de cette expo-anniversaire gargantuesque, se voulant pourtant complètement exhaustive. Donc, in fine, pour répondre à la question du titre de l’article : l’esprit surréaliste est-il présent dans cette expo des 100 printemps du mouvement surréaliste ? OUI et NON ! Selon moi, il manque, à l’affaire, une certaine vitalité, et tension, à l’œuvre, ainsi que certains chemins de traverse contemporains, dont les objets domestiques détournés de Robert Gober et l’énigmatique Lynchland, qui auraient été, en tant que caisses de résonance actuelles, des plus profitables à l’ensemble ! 

« Surréalisme. Le surréalisme d’abord et toujours », jusqu’au 13 janvier 2025, commissaires : Didier Ottinger et Marie Sarré, architecte scénographe : Corinne Marchand, avec la participation de la BnF (Bibliothèque nationale de France), cette exposition s’inscrivant dans le cadre de la célébration internationale du surréalisme organisée à l’occasion du centenaire de la publication du Manifeste du surréalisme. Centre Pompidou-Paris, Galerie 1, niveau 6, tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi, fermeture des caisses à 20h, nocturne les jeudis jusqu’à 23h. Catalogue Surréalisme, sous la direction de Didier Ottinger et Marie Sarré, éditions du Centre Pompidou, 22 x 32 cm, 344 pages, 49.90€. Pour info : à l’occasion de l’expo, Arte diffuse « Révolutions surréalistes » , un documentaire inédit en deux parties, qui retrace l’histoire du mouvement, les dimanches 8 et 15 septembre 2024, à 17h25.

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