« Essential Killing » : l’homme est un loup pour l’homme

Capturé semble-t-il en Afghanistan ou en Irak, un homme, prénommé Mohammed (Vincent Gallo), est transféré dans un centre de détention secret en Europe. Lors d’un transfert, il parvient à s’échapper. Une chasse à l’homme commence alors au cœur d’une forêt enneigée abritant animaux sauvages et mythes. Essential Killing* : enfin un bon film à voir sur les écrans actuellement ! Dans la médiocrité ambiante des films sortis dernièrement, on commençait à désespérer et puis voilà que nous arrive le nouveau, et surprenant, film du Polonais Jerzy Skolimowski. Son survival movie aurait pu s’appeler
Essential Killing raconte sans gras – le film ne dure que 83 minutes - l’histoire d’une traque, de canyons désertiques du Moyen-Orient jusqu’à une forêt enneigée d’un pays de l’Est. Récit globe-trotter pour un film qui est lui-même cosmopolite. Coproduction européenne (long métrage irlando-norvegio-polonais), le film de Skolimowski évite pour autant la mollesse de ce genre de coproductions internationales, façon Vatel, qui peuvent perdre toute singularité à force de passer entre plusieurs mains. Film racé, tour à tour nerveux et zen, Essential Killing est un film d’auteur. On retrouve ce qui fait la marque de fabrique de Skolimowski (Signe particulier : néant, Le Départ, Travail au noir, Le Bateau-phare…), cinéaste polonais formé aux côtés de Polanski à la fameuse école de cinéma de Lodz : le thème de l’errance et le regard décalé de l’éternel étranger sur la société contemporaine et le monde. L’emploi minimal du dialogue (ses deux acteurs principaux, Vincent Gallo et Emmanuelle Seigner ne disent pas un mot dans le film), la difficulté à communiquer, l’expatriation, l’isolement et la plongée possible dans la folie, autres caractéristiques notoires d’un cinéma oscillant entre fatalisme et goût pour l’absurde, sont également présents dans Essential Killing. C’est un film surprenant à plus d’un titre. On va le voir en salle, on s’attend à voir très peu de monde (il ne joue à Paris que dans quatre salles et il ne repose aucunement sur une opération marketing de grande ampleur style Le Discours d’un roi) et pourtant la salle est pleine. Ses prix internationaux (du Jury et de
Essential Killing, film surprenant également parce que ce n’est pas le film à thèse que pouvait laisser craindre son sujet… politique. Certes, ici, on a affaire à un probable taliban traqué, ou présumé terroriste, qui a maille à partir avec une armée, machine de guerre lancée à ses trousses, qui a toutes les apparences des forces militaires américaines. Mais on n’en saura pas plus. Les lieux ne sont pas nommés. En fait, c’est en creux qu’il lorgne vers des faits géopolitiques contemporains, notamment vers l’existence de sites secrets de
L’ambiguïté à l’œuvre se retrouve également dans la facture même du film. Petit film sans gros budget, il démarre sur les chapeaux de roue. Ses scènes d’action, dans le premier quart d’heure voire les premières quarante minutes, n’ont rien à envier aux productions hollywoodiennes. On démarre ainsi sur un rythme endiablé pour peu à peu glisser vers un film contemplatif et naturaliste. Comme si la facture hollywoodienne standard était peu à peu grignotée par un filmage plus lent, à l’européenne, ou à la nippone. Avec sa musique avant-gardiste (impressionnant travail du son dans ce film), son intérêt manifeste pour la nature et sa grande économie de moyens tendant vers l’abstraction, Essential Killing ressemble à un haïku. Sa narration est flottante, on n’a pas affaire à un scénario cadenassé. Au fil du film, l’action s’effiloche, le but du « voyage » s’évapore. On a l’impression d’un film qui, contrairement à bon nombre de films formatés actuels, se refuse à être la simple application d’un scénario, il semble s’ouvrir volontiers aux chemins buissonniers de l’improvisation. Le grand dénuement qu’il donne à voir est la grande affaire du film : montrer l’inscription d’un homme dans l’espace. Aussi, on n’est pas prêt d’oublier le superbe plan pictural d’un homme perdu dans l’immensité d’un canyon enneigé sous un ciel rose. Cette inscription d’un corps dans l’espace, être humain ramené fatalement à sa propre solitude, se retrouve d’ailleurs dans les toiles de Jerzy Skolimowski, cinéaste et peintre. Long métrage de l’entre-deux, entre film d’action et film poétique, Essential Killing montre un homme qui, pour survivre, doit comprendre qu’il est un élément parmi d’autres du vaste ensemble qu’est
Essential Killing offre vraiment de très beaux moments. Aussi, on oubliera facilement certains passages répétitifs (vers la fin on finit un peu par tourner en rond avec Mohammed) et quelques plans symboliques un peu lourdingues (le rouge sang souillant le blanc immaculé du cheval, la levée de sa chaise de Gallo coïncidant en arrière-plan avec le décollage d’une fusée diffusé sur l’écran d’une télé dans la maison de la femme qui le soigne) pour se laisser transporter par un film artistiquement et philosophiquement solide. Du 4 sur 5 pour moi.
* En salle depuis le 6 avril 2011.
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