Et Soudain, à Issoudun, le Surréalisme !
Alors qu'à Beaubourg, l'expo-anniversaire des 100 ans du surréalisme, jusqu'au 13 janvier prochain, est un franc succès (plusieurs milliers de visiteurs par jour depuis son inauguration en septembre dernier, sachant que c'est toujours le surréaliste - et populaire - Dalí qui, en ces murs, bat des records d'entrées, avec 840 662 personnes en 1979, pour sa première grande rétrospective parisienne et, 790 090 visiteurs, pour la seconde), il ne faudrait pas oublier d'aller voir du côté d'Issoudun, plus précisément de son charmant Hospice Saint-Roch, pour découvrir une autre expo de groupe du mouvement, « Collection du musée autour du surréalisme. "Les Chants de Maldoror" et autres visions » (jusqu’au 18 mai prochain, ©photos in situ VD), qui, loin d'être une simple annexe, s'avère davantage une déclinaison autre, permettant d'offrir, à notre champ de connaissance, des perspectives nouvelles, si ce n'est prospectives, pour mieux appréhender ce courant artistique, né en 1924, qui visait, par l'intermédiaire du dessin, de l'écriture ou de toute autre manière, à explorer le monde onirique, la plupart de ses protagonistes étant fort marqués par Freud, dans l'espoir de reconnecter l'Homme avec son intériorité.
- Roberto Matta (1911-2002), « Psychologie de l’air », 1996, huile sur papier Canson, 154 x 343 cm, achat avec l’aide du Fonds régional d’acquisition des Musées de France, 1998, ©Adagp, Paris 2024
Comme le précisait, le jour de la présentation Presse/Public de l'expo, le 26 octobre dernier, Patrice Moreau, conservateur du Musée de L'Hospice Saint-Roch, « cette année, nous sommes au centenaire du Manifeste du surréalisme d'André Breton en 1924, c'est aussi un autre événement à Issoudun, c'est le centenaire de la naissance de l'artiste singulier Fred Deux [1924-2015], donc s'imposait à nous, de fait, de commémorer ce double événement. L'ensemble des collections constituées ici, des années 1980 à aujourd'hui, est centré, grâce essentiellement au fonds Cécile Reims [1927-2020]/Fred Deux, autour du surréalisme. Nous reposons sur des œuvres issues de donations ou d'acquisitions, dont une importante peinture de Matta et des gravures des Chants de Maldoror, texte de Lautréamont qui a considérablement influencé, en tant que point de référence, les surréalistes, à commencer par Dalí, cela va des origines du surréalisme, de 1924 jusqu'aux années 2000. »
- Luis Buñuel (1900, Calanda, Espagne – 1983, Mexico, Mexique), revisité par José Hernandez (1944, Tanger, Maroc – 2013, Malaga, Espagne), « Bacanal », 1975, 5 poèmes illustrés de 8 eaux-fortes sur papier vélin d’Arches, tirage 14/75. Editions Grupo Quince, Madrid. Donation Cécile Reims et Fred Deux, 2001
- Portrait de Patrice Moreau, conservateur en chef du musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun (36, France), posant devant un « Masque Kipang », Nouvelle-Irlande, bois, pigment, coquillage, XIXe-XXe siècles, ancienne collection d’André Breton. ©Photo VD/Octobre 2024
Le conservateur, poursuit, quant au chapitrage de cette expo-évènement collective : « la première salle fait le point sur l’origine du nom "surréalisme" [pour rappel, celui-ci fit sa toute première apparition dans le sous-titre Drame surréaliste de la pièce de théâtre de Guillaume Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, 1917], on y trouve des artistes qui ont directement appartenu au mouvement, comme Brauner, Roberto Matta, Marcel Jean, Max Ernst, André Masson, ainsi que quelques autres moins connus du grand public. La seconde salle réunit les œuvres autour de la collection Cécile Reims et Fred Deux. Cécile Reims a œuvré en tant que praticienne (graveur) pour différents auteurs-membres du surréalisme, Dalí notamment, mais Hans Bellmer également. Cette salle fait donc le point sur les œuvres surréalistes issues de cette collection. Puis, la troisième salle ouvre davantage sur l’aspect d’artistes qui ont illustré des œuvres d’artistes surréalistes, je pense notamment à José Hernandez qui a produit une série de de gravures extraordinaires illustrant Buñuel puis cet ensemble ouvre sur des tendances provenant du surréalisme, comme le fantastique, et cette ouverture manifeste se précise dans la quatrième salle avec des œuvres d’artistes qui ont poursuivi cette recherche autour du surréalisme, je pense à certains artistes qui ont fréquenté le groupe, comme Alechinsky, mais qui ouvrent également vers d’autres mouvements comme CoBrA où s’expriment l’expression libre et l’automatisme qui est une des parts majeures du fondement même dès 1924 de la définition du surréalisme. Enfin, la toute dernière salle, qui est notre cabinet d’art graphique, réunit des gravures portant toujours sur Les Chants de Maldoror, par Dalí et par Hans Bellmer. »
- Joseph Sima (1891-1971), « Chaos », 1959, huile sur toile, 100 x 81 cm. Don collection Cécile Reims et Fred Deux, 2006, ©Adagp, Paris
Avida Dollars, staying alive ?
Voici pour les présentations générales, sinon, disons-le d’emblée, c’est un plaisir de déambuler dans ce musée régional qui occupe à Issoudun (36, dans l’Indre, région Centre-Val de Loire) l’emplacement de l’ancien Hôtel-Dieu, fondé au XIIe siècle, ce vaste et bel édifice, qui comprend une chapelle et des salles des malades du XVe siècle contenant quelques joyaux et raretés, tels Les Arbres de Jessé, un ensemble archéologique de la civilisation celte, des sculptures du VIIIe au XVe siècle et une apothicairerie du XVIIe siècle, bénéficie depuis 1995 d’une extension contemporaine, signée par l’architecte Pierre Colboc, qui abrite des expositions temporaires, consacrées à des artistes modernes et contemporains, dont celle-ci : « Collection du musée autour du surréalisme. "Les Chants de Maldoror" et autres visions » (commissaire de l’exposition : Patrice Moreau), qui se déroule jusqu’au 18 mai prochain.
- « Arbre de Jessé », L’Arbre des Rois de Juda (Figuier), Les Ancêtres du Christ, de Jessé à Joseph, circa 1494-1510, pierre
Le parcours de l'exposition est optimal : dans une logique de valorisation des collections du musée, cette expo-somme, réunissant une cinquantaine d'artistes et 140 œuvres (originales), nous invite à une plongée dans l'ère surréaliste. Si les grands noms du mouvement sont là, comme Salvador Dalí, Max Ernst, Victor Brauner, Roberto Matta (1911-2002) avec ses phosphorescences rétro-futuristes fascinantes et Marcel Jean, le group show « Autour du Surréalisme, Les Chants de Maldoror » met aussi en avant des plasticiens à la veine plus intimiste mais qui n'en sont pas moins importants, comme Hans Bellmer, Unica Zürn, Joseph Sima, Pierre Molinier ou Antonio Saura. Dans la dernière partie du circuit proposé, du post-surréalisme (de Jean-Jacques Lebel à Daniel Nadaud en passant par Rebecca Horn, Odile Mir, Anita Tullio et autres Michel Gérard) se donne aussi bientôt à voir, à la suite des historiques (archiconnus ou méconnus) : ce qui offre l'occasion bienvenue d'avoir une perspective globale sur ce mouvement artistique historique qu'est le surréalisme en échappant ainsi à un simple accrochage chronologique plan-plan.
D'autre part, la diversité des médiums sollicités, de la peinture à la gravure en passant par la sculpture et la photographie mais aussi le recours à de précieux documents littéraires issus des collections du musée, nous permet vraiment d'échapper à tout schéma réducteur et ainsi d'être en osmose avec un mouvement artistique libertaire qui visait à atteindre un champ infini des possibles en pratiquant notamment une écriture automatique en dehors de tout contrôle exercé par la raison.
- Hans Bellmer (1902-1975) gravé par Cécile Reims (1927-2020), « Autoportrait », 1969. Burin et pointe sèche sur papier Japon nacré, 28 x 22 cm. Editions Propylaem Berlin. Donation Cécile Reims et Fred Deux, 2001. ©Adagp, Paris 2024
L'entrée dans l'expo, via la première salle, et ce comme coulant de source, se fait par la littérature. Sur une cimaise, se retrouve la fameuse définition du surréalisme par André Breton, « automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ».
Ainsi, nous sont proposées ici non seulement une manière de créer mais également une manière de penser, voire de vivre : il y a du dandy chez l'artiste surréaliste (faire de sa vie une œuvre d'art), et ce d'autant plus quand il s'appelle... Salvador Dalí (1904-1989), avant que celui-ci ne dégénère de trop, au fil du temps, parce que boosté par sa compagne cupide Gala, en regrettable Avida Dollars - cf. le cultissime anagramme vengeur du pape du surréalisme Breton - assoiffé de pognon pop facile et de chocolats Lanvin. Mais revenons à nos moutons, que dis-je, à nos fondamentaux : ici, un superbe autoportrait dessiné d'Hans Bellmer, repris en gravure par Cécile Reims, qui n'est pas sans rappeler l'acuité de regard d'orfèvre du trait d'un Dürer, côtoie un magnifique Masque Kipang de la Nouvelle-Calédonie du XIXe siècle ayant appartenu à André Breton (donation Cécile Reims et Fred Deux), l'on connaît l'importance de l'influence des arts extra-occidentaux, quant à leur lâcher-prise et à leurs forces obscures cryptées à l’œuvre notamment, sur les surréalistes épris de formes nouvelles radicales, pendant que des gravures d'illustrations d'écrits précurseurs, tels ceux de Guillaume Apollinaire, du Comte de Lautréamont dont les 37 eaux-fortes de Salvador Dalí de 1934 où les 18 burins de 1971 de Hans Bellmer gravés par Cécile Reims pour Les Chants de Maldoror, s'offrent aux visiteurs afin de multiplier, comme il se doit, les pistes réflexives et iconographiques.
Plus de doute possible, « l'écriture d'une nouvelle page de l'histoire de l'art » est incarnée par le surréalisme. Rappelons-nous, à la base, le surréalisme, né en réaction aux atrocités commises pendant la Première Guerre mondiale, a emboîté le pas au mouvement Dada (1919) pour constituer une véritable révolution dans les arts. Face à l'absurde régnant (le progrès de la technologie a engendré une boucherie sans nom), il visait à se configurer comme art illogique, sans signification apparente et empreint de contenus fantastiques, son but étant de décrire le monde des rêves et de l'inconscient - ce qui l'amène à être connu aussi sous le nom d'art du rêve. De nouvelles techniques apparaissent alors, comme l'automatisme, le cadavre exquis ou l'association libre, s'épanouissant chez André Masson ou chez l'imagier illusionniste, au pinceau-scalpel, Dalí pour mieux faire ressortir, comme par un effet de miroir, les tréfonds de l'inconscient. Mais les symboles prennent également une place forte dans les compositions « convulsives » de l'époque, avec souvent une connotation sexuelle ou des formes allusives multiples oscillant, avec vertige et chausse-trappes, entre Eros et Thanatos, intérieur et extérieur, chairs et paysage : bientôt, derrière chaque image, d'apparence simple et univoque, se cache un sens intime, onirique, voire terrifiant, comme chez Max Ernst ou chez Marcel Jean. En outre, le hasard, l'illusion et le mysticisme se révèlent aussi être des sujets de prédilection pour les artistes, notamment du côté d'Anton Prinner (1902-1983).
- Le cabinet d’art graphique du musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun réserve bien des surprises croustillantes...
Les Chants de Maldoror, caisse de résonance pour le surréalisme
- Salvador Dalí (1904-1989), « Les Chants de Maldoror », illustrations pour le texte d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, 1934, 37 héliogravures reprises à la pointe sèche, 33 x 25 cm, achat avec l’aide du Fonds régional d’acquisition des musées de France, 2012. ©Adagp, Paris 2024
La deuxième salle, comme prévu, focusse sur Les Chants de Maldoror en tant qu'initiation d'un mouvement surréaliste. Rappelons, au passage, que l'on doit cet ouvrage en prose [publié anonymement et à compte d'auteur en 1869], considéré à juste titre comme fondateur de l'un des plus grands courants artistiques du XXe siècle, au Comte de Lautréamont, autrement dit Isidore Ducasse (1846-1870). Subversif, ce texte en six parties, nommées « Chants », l'est, suivant le fil rouge, entre plume épique, ton ironique et goût du collage, d'un personnage mystérieux, nommé Maldoror, volontiers nihiliste et maléfique, tout en reniant la morale de Dieu : blasphème, sadisme, homosexualité et meurtre rythment le déroulé des actions autour d'un bestiaire allant du poux au cachalot sans oublier, bien sûr, la résonance vertigineuse de la fameuse strophe 1 du Chant VI qui, à elle seule, cristallisera l'essence même du mouvement alors en gestation : « Beau comme une rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie. » Le texte dépasse bientôt les sphères littéraires pour s'émanciper dans d'autres arts.
Le « pervers polymorphe » Dalí, fin limier, s'en empare bientôt, pour réaliser un ensemble d'illustrations, à la demande de l'éditeur suisse Albert Skira sur une idée soufflée par Picasso himself ! Entre 1933 et 1934, le dessinateur virtuose Salvador, à la fois « cannibale » et « mégalomaniaque », produit 44 eaux-fortes où il met à profit sa « méthode paranoïaque-critique » (dite « méthode spontanée de connaissance irrationnelle fondée sur l'association interprétative-critique des phénomènes délirants »), afin de laisser venir sur le blanc papier un processus charbonneux de flux de conscience lui - et nous - permettant d'accéder aux hallucinations et aux délires.
À l'arrivée, les sujets de ces illustrations, représentant des espaces oniriques et fantasmatiques peuplés de bizarreries et d'éléments symboliques (béquilles, crânes, os allongés, formes et montres molles, animaux et personnages aux formes distordues), sont davantage ses visions personnelles que les scènes décrites dans le poème en prose. Pas grave, s'y déploie une telle maestria visuelle, aiguisée par un trait sûr exquis (à préciser qu'ici 37 de ces 44 estampes font partie des collections du musée de l'Hospice Saint-Roch et sont exceptionnellement montrées à l'occasion de cette expo Autour du Surréalisme), qu'on a vite l'impression d'être devant la crème de la crème de l'œuvre plastique extravagante du « divin » Dalí qui précisait, avec son minimalisme langagier habituel !, que « toute [son] ambition sur le plan pictural consiste à matérialiser avec la plus impérialiste rage de précision les images de l'irrationalité concrète. Que le monde imaginatif et de l'irrationalité concrète soient de la même évidence objective, de la même consistance, de la même dureté, de la même épaisseur persuasive, cognoscitive et communicable, que celle du monde. »
Il est tout de même bon de signaler que Dalí n'est pas le seul à se saisir de ce champ du Chant (du cygne ?) pour le moins fertile : cette exposition présente non seulement, dans son cabinet des arts graphiques, sans lumière du jour pour ne pas abîmer les feuilles, une eau-forte intitulée sobrement Maldoror (1964, épreuve d'artiste) par le dessinateur et graveur parisien Christian Fossier (1943-2013), mais également le travail d'interprétation de longue haleine qu'en a fait le Franco-Allemand obsessionnel Hans Bellmer (1902-1975), ce qui permet de ne pas réduire celui-ci à son œuvre la plus connue, mais aussi la plus radicale, La Poupée (1935-1936), objet désarticulé zarbi et ouvertement séditieux auquel il donne des postures ambiguës et des plus lascives. Le musée de l'Hospice Saint-Roch, qui détient une collection de près de 240 estampes de l'artiste par son graveur Cécile Reims, expose la suite de 18 planches des Chants de Maldoror, éditées en 1971.
- Obus-vestige de la Grande Guerre ? Maria Papa Rostkowska (1923, Varsovie, Pologne – 2008, Lido di Camaiore, Toscane, Italie), « Ubu roi », 1962, terre cuite patinée. Don Joëlle et Nicolas Rostkowski, 2021
Enfin, dans le prolongement de cabinet de curiosités graphiques réjouissantes, le musée présente aussi un ensemble d'illustrations des pièces fondatrices du mouvement par les artistes peintres et graveurs Mario Prassinos (1916-1985) et Pierre Alechinsky (1927), ainsi qu'une sculpture de l’Italo-Polonaise Maria Papa Rostkowska (1923-2008), Ubu roi (1962), qui conclut cet hommage à la littérature en tant que source vive d’inspiration, sachant que le surréalisme s'est abondamment nourri, non seulement aux sources des iconiques et pulvérisateurs de frontières Chants de Maldoror, mais également en allant s'abreuver aux Mamelles de Tirésias d'Apollinaire (1880-1918) tout en se laissant fortement séduire par la pièce de théâtre Ubu Roi (1895) du poète français Alfred Jarry (1873-1907).
- Rebecca Horn (1944, Michelstadt, Allemagne – 2024, Bad König, Allemagne), « Belle du Vent », 2003, pierre volcanique, cristal de roche, moteur, lavis d’encre et crayon sur papier. Galerie de France, achat avec l’aide du Fonds régional d’acquisition des Musées de France, 2007
D’ailleurs, en termes d'échos, la sculpture « moyenâgeuse », minimale et mystérieuse, en terre cuite patinée (taillée semble-t-il d’un bloc), comme habitée de l’intérieur, signée PAPA, n'est pas sans rappeler la superbe belle pièce, se trouvant dans la section du post-surréalisme un peu plus loin, de Rebecca Horn (1944-2024), intitulée Belle du Vent (2003), montrant, grâce à un lent système motorisé, quasiment indétectable, un magnifique cristal de roche émergeant, comme par magie et tel un papillon déployant ses ailes, d'une pierre volcanique. Cette pièce est assurément l'instant de grâce, tel un temps quasi suspendu, de cette expo collective pluridisciplinaire, voguant nettement au-dessus, soit dit en passant, de certaines autres pièces poussives post-Dada, signées notamment Daniel Nadaud (un pneu géant sur planches en bois brisées) ou Jean-Jacques Lebel (qu'on a connu bien plus inspiré), ayant, avec leur humour potache conceptuel hésitant entre les readymades de Duchamp et les calembours de Raymond Hains, un air de déjà-vu quelque peu gênant. On sourit, mais c'est un tantinet fastoche. Le mordant, plus incisif, et au bord du malaisant, est nettement plus du côté des vieux routiers tels Dalí ou Bellmer, qui ne lâchaient rien.
- Retouche dernière minute d’un Dalí ? Que nenni ! Masquage d’un pan de vis par une membre de l’équipe du musée. Œuvre : Salvador Dalí (1904, Figueras, Espagne – 1989, Figueras, Espagne) gravé par Cécile Reims (1927, Paris, France – 2020, La Châtre, France), « Ma femme, nue, regardant son propre corps devenir marches, trois vertèbres d’une colonne, ciel et architecture », 1987. Burin et pointe sèche, rehaussée en couleur, épreuve W/Z. Edition Demart Pro Arte, Amsterdam, d’après une huile sur bois de 1945, Museum of Modern Art, San Francisco. Donation Cécile Reims et Fred Deux, 2002
Et vogue le navire du surréalisme aventureux…
- Modèle de pirogue à pagaie, bois peint, Mélanésie, Nouvelle Bretagne, Péninsule de la Gazelle
Par ailleurs, cette exposition collégiale permet de mettre en avant quelques personnalités « irréductibles », et irrésistibles, auxquelles l'on ne pense pas forcément, à première vue, lorsqu'on évoque le surréalisme. J'en vois au moins deux, qui ont particulièrement retenu mon attention. Tout d'abord, un certain Marcel Jean, peintre français (La Charité-sur-Loire, 1900 - 1993, Louveciennes) dont l'imagerie en à-plats et en découpages artificiels semble évoquer, avant l'heure, le Christopher Nolan des rêves enchâssés d'Inception (2010) qui viendrait s'enrouler ad libitum, pour se renouveler, dans les sueurs froides du cinéma de studio, tout en faux-semblants, du grand Alfred Hitchcock, montreur d’ombres sans fin. Ainsi, son dessin sibyllin Moraine (1936) accouche d'un profil féminin, jeune ou vieux ?, en découpe contenant le rêve ou devenant paysage. Devant, en tout cas, l’on ne cesse de s’interroger ; femme mystérieuse certes, mais inspiratrice, telle une muse, ou dangereuse ? Sur quel pied danser ? Ici, figures et formes transpercées, cohabitant avec portes ou éléments d’architecture ou de passage vers un monde à découvrir, via la main géante tendue comme possible prolongement de la pensée, créent le petit théâtre d'une scénographie ouverte aux quatre vents à vivre comme une possible échappée euphorisante de la maison-prison domestique, façon Beetlejuice (1988) de Tim Burton.
- Marcel Jean (1900-1993), « Moraine », 1936, gouache et crayon sur papier, 61 x 48 cm, achat avec l’aide du Fonds régional d’acquisition des Musées de France, 2004
Un peu plus loin, l'on découvre un dess(e)in surprenant d'André Masson (1896-1987), artiste français qui compte parmi les acteurs historiques de la première heure du surréalisme avec Max Ernst, Jean Arp, Man Ray ou Joan Miró. Adepte de l'automatisme absolu, ce plasticien aventureux (on lui doit aussi, en partie, la mise au point du dripping), qui avait fait dès 1924 la connaissance d'André Breton, note (in le Catalogue général de la sculpture, Turin, 1987, par Roger Passeron) que « C'est en 1927 que j'ai fait le plus de recherches sur l'automatisme. Ayant fait de nombreux dessins automatiques entre 1925 et 1926, j'ai voulu découvrir une technique me permettant d'introduire l'automatisme dans la peinture. »
Bien lui en a pris, parce qu'avec cette excellente gravure réalisée à l'eau-forte et pointe sèche Rêve d'un futur désert en 1942 réalisée d'après un dessin de 1938, montrant comme des anamorphoses mises en abyme dans un désert futuriste bouillonnant, il semble annoncer le Fred de Philémon, apparu pour la première fois en 1965 dans Pilote, ou bien la SF seventies de grands noms de la BD hexagonale comme Mœbius et Philippe Druillet. Chapeau !
- André Masson (1896-1987), « Rêve d’un futur désert », 1938-1942, eau-forte et pointe sèche, 48 x 63 cm, gravure atelier 17, New York, 1942
Enfin, ce qui est chouette avec le surréalisme, c'est que, tout en concentrant l'esprit de toute une époque, disons entre 1924 et 1969 (sa périodisation officielle), il dépasse très largement les limites temporelles qu'on lui administrative régulièrement. Ainsi, grâce à ses multiples possibilités d'îles, allant de l'automatisme proche de la transe à l'ambiguïté subversive en passant par l'onirisme étrange, il n'est pas rare que le surréalisme, dans le cadre d'une notion élargie, outrepasse son périmètre coutumier pour venir là où l'on ne l'attend pas forcément. Ainsi, s'il est bien à l'œuvre, comme attendu, dans certains des prolongements généreux proposés par ce musée de l'Hospice Saint-Roch riche en collections pérennes d'importance, des expos « Henri Michaux, Écritures » et « Fred Deux, centenaire de sa naissance » au Salon style Art nouveau de Leonor Fini (1907-1996), figure féminine fort reconnue du mouvement, en passant par le formidable Parc de Sculptures ne manquant pas de donner à voir des œuvres « labellisées » surréalistes, telles celles d'Antoni Clavé, de Max Ernst, d'André Masson ou encore d'Odile Mir, il est plus étonnant de le voir s'incruster, ce sacro-saint et increvable surréalisme, tel « un Papou dans la tête » !, dans bon nombre de pièces rudimentaires renversantes, à coups de lances affûtées et de pirogues en bois, constituant la magistrale collection océanienne fascinante du musée, faite de 1000 objets collectés par les missionnaires en Papouasie-Nouvelle-Guinée, entre la fin du XIXème siècle et 1939, qui sont entrés au musée en 2000.
- Mural des Armes de chasse et de guerre (flèches, bambou, arcs, bois et pigment, lances, bois de fer taillé et plumes, lance ou pagaie rituelle, bois de fer sculpté, gravé et peint, bouclier, bois peint, lance, bois peint et os, casse-tête, bois de fer gravé, casse-tête, bois de fer sculpté et gravé, casse-tête, bois de fer, gravé, chaux, casse-tête, bois de fer gravé, massues, bois de fer, pierre taillée, fibres végétales taillées, casse-tête, bois de fer, sculpté, peint). La plupart, provenance : Golfe de Papouasie et Hautes-Terres
Devant, tel un Titouan Lamazou (improvisé), navigateur chevronné (vainqueur du Vendée Globe en 1990) devenu peintre accompli, l'on a qu'une envie, se dire : Et vogue le navire… du surréalisme pour nous entraîner, tel un bateau ivre, vers des contrées de la psyché encore insoupçonnées.
Expo-événement « Collection du musée Autour du surréalisme. Les Chants de Maldoror et autres visions », jusqu'au 18 mai 2025, commissaire : Patrice Moreau, conservateur en chef, musée de l'Hospice Saint-Roch, ENTRÉE LIBRE ET GRATUITE, horaires du mercredi au dimanche (10h-12h/14h-18h). Rue de l'Hospice Saint-Roch, 36 100 Issoudun, France. ©Photos in situ VD. Tél : 02 54 21 01 76. [email protected]
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