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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Être complètement gaga du « Joker 2 », c’est possible (...)

Être complètement gaga du « Joker 2 », c’est possible ?

Que raconte Joker : Folie à deux, brassant action, aventure et amour ? À quelques jours de son procès pour les crimes commis sous les traits du Joker (pour rappel, à Gotham City, ici aux allures de New York patinée des seventies, à la Scorsese, Arthur Fleck, en la personne de son alter ego le Joker, a commis cinq meurtres, dont celui de l’animateur Murray Franklin (impérial De Niro) en direct à la télévision, avant d’être arrêté par la police et interné à l’asile-prison d’Arkham, sous haute sécurité), Fleck, comédien raté, bonne nouvelle !, n’est plus seul : en attendant d’être jugé, il rencontre le grand amour, avec « Lee », une fille étrange, au teint fatigué et aux cheveux blonds sales mais aux yeux diablement magnétiques, se trouvant alors entraîné dans une spirale, étourdissante ?, de folie à deux. Plus que jamais, le monde est une comédie (et l'amour dans tout ça ?).

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Joaquin Phoenix (Arthur Fleck/Joker) et Lady Gaga (Lee Quinzel/Harley Quinn), nez à nez dans « Joker 2 » (2024, Todd Phillips). ©Photo Niko Tavernise Warner Bros

Après le succès phénoménal du Joker (2019), qui avait dépassé le milliard de dollars au box-office et permis à Joaquin Phoenix, amaigri de 15kg pour camper le rôle-titre, de remporter l’Oscar du meilleur acteur en 2020, Todd Phillips signe la suite de son spin off (série dérivée reprenant directement un personnage d’une fiction préexistante, ici le supervilain Joker pour Batman, son ennemi éternel, cette mythique chauve-souris étant toujours absente, soit dit en passant, du deuxième). Avec Joker : Folie à deux, Joaquin Phoenix reprend, en toute logique, son costume bariolé et il est désormais associé à Lady Gaga, qui campe le rôle d’Harley Quinn, Joker : Folie à deux inaugurant, pour info, le DC Elsewords, qui regroupera toutes les adaptations au ciné qui ne font pas partie du canon DC.   

Le retour du Clown Prince du crime

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« Joker (Folie à) Deux ». 2024 Warner Bros Entertainment Inc.

Oh, mazette ! Je n’y croyais vraiment pas, au départ, mais, selon moi, cet opus 2, Folie à Deux, pourtant descendu par maints critiques et spectateurs (voire la pléiade d’avis très divergents sur le site AlloCiné, extraits : « NUL NUL NUL. Joker 1 était excellent, Joker 2 est catastrophique  », « Bref ce film est une honte pour tout fan de comics »), est mieux que le 1. Plus habité. Plus sombre encore. Et, me semble-t-il, plus original, avec certains temps forts, dont celui, au tout début, du Frenchie Sylvain Chomet, auteur phare du cinéma d’animation hexagonal (de La Vieille Dame et les pigeons à L'illusionniste, en hommage à Jacques Tati, via Les Triplettes de Belleville), ouvre le bal du film, pour la séquence d’ouverture (cocorico !), très réussie, sous forme d'animation, donc, lorgnant habilement vers les cartoons jeux de massacre Warner à la Tex Avery, bulle narrative ironisant, avec beaucoup d’inspiration, sur la figure brinquebalante du Joker, qu’il s’agira, tout au long du film, de faire justement vaciller de son piédestal, lui qui fut tant aimé dans le Un (et peut-être pour de mauvaises raisons, ou malentendus, à savoir pour sa supposée geste politique, annonçant ni plus ni moins la révolte des marginaux sur fond de sédition, avec son cri en tant qu’homme-symbole, porte-étendard des laissés-pour-compte, au parfum de V pour Vendetta (le tropisme des masques comme angle d’attaque), affirmant haut et fort, puis violemment, son désespoir parce que broyé par un monde sans pitié promettant un « rêve américain » des plus illusoires , cf. le pertinent « Un seul mauvais jour peut rendre fou l’homme le plus sain du monde  »). 

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Le final grandiose du premier « Joker » (2019, de Todd Phillips également)
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Un parfum du Nouvel Hollywood libertaire des seventies ? Lady Gaga, de son vrai nom Stefani Germanotta (38 ans), dans « Joker 2 » (2024, Todd Phillips). Copyright 2024 Warner Bros. Entertainment Inc.

L’ogresse Lady Gaga (dite aussi "Mother Monster" et "Queen of Pop"), en Harley Quinn (première apparition dans la série animée Batman, en 1993, anti-héroïne créée par Paul Dini et Bruce Timm, pour rappel : il s’agit d’une ancienne psychiatre d’Arkham, tombée folle amoureuse du Joker alors qu’elle tentait de le soigner, qui aide fréquemment ce « Jack the White », autre surnom possible pour le Joker, à s’évader de l’asile d’Arkham), assure, voire dépote, en chanteuse borderline fortement accro au Joker (et beaucoup moins à Arthur Fleck), sexy et déjantée en diable, à en rendre jalouse – définitivement - Orlan ! Plasticienne qui, en guise ici de petite piqûre de rappel, l'avait, un peu rapidement (il n’existe pas de création ex nihilo, y compris pour elle), accusée de plagiat et de vol d’apparence, parce que dans son clip Born this Way, publié sur YouTube en mai 2011, la chanteuse américaine, bien connue pour ses excentricités vestimentaires, ses performances scéniques hors limites et son goût de la métamorphose (son nouvel album ne s’appelle pas pour rien Harlequin), s’exhibait, en s’enroulant dans une robe bouffante toute baroque, en mutante avec deux implants saillants sur les joues et deux autres sur le front – mais, à l’arrivée, suite au procès déclenché (Joker 2, tiens, tiens, est aussi une affaire de procès), focalisé pour beaucoup sur le copyright et les droits d’auteur, l’artiste française avait perdu, avec un gros jackpot financier envisagé (30 millions de dollars tout de même - c’est comme gagné au Loto !) lui échappant, par la même occasion [le 7 juillet 2016, le Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté l’artiste hexagonale de toutes ses demandes, considérant que l’œuvre de Lady Gaga ne comportait aucun signe de plagiat (c’est vrai que, lorsque l’on voit le vidéoclip en question, c’est loin d’être probant), la condamnant même, en plus, à verser 20 000 euros à la chanteuse pop].

Autres atouts de taille, le méchant du film Folie à deux, un pourri de maton brutal, trop bigot pour être honnête/campé par l'excellent, et massif, Brendan Gleeson. Ce surveillant de prison, mélomane à ses heures perdues, est détestable à souhait, pour autant c’est tout de même lui qui inscrira Arthur Fleck (Joker), en passe d’être désormais un détenu modèle, à la chorale. La BO d'outre-tombe, basée sur une ligne de basse funèbre, assez entêtante, de la compositrice Hildur Guðnadóttir, violoncelliste islandaise, est splendide (elle avait déjà reçu l’Oscar de la meilleure musique pour le premier Joker), j'imagine la joie du cinéaste recevant un tel score-cadeau, se demandant, « Où est-ce que je vais bien pouvoir placer cette fine partition, inspirée et inspirante ?  »

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Un acteur aux soubresauts explosifs : Joaquin Phoenix est Arthur Fleck/Joker dans « Folie à deux ». De ouf ! ©Warner Bros, 2024

Et last but not least, Joaquin Phoenix (49 ans), en Joker dépressif lorgnant toujours vers le poisseux Heath Ledger (1979-2008), étoile filante hollywoodienne tant regrettée (se rappeler du poignant Secret de Brokeback Mountain), sans oublier L'Homme qui rit (1869), à la bouche d’ombre, de Victor Hugo, y fait une prestation, une nouvelle fois, magistrale (avec Oscar encore en vue ?). Franchement, il est, selon moi, encore meilleur que dans le Joker 1, n’ayant strictement rien à envier au barré Jack Nicholson, au rictus macabre grinçant, dans le Batman de 1989 signé Tim Burton. Où va-t-il donc puiser cette simulation du mal-être XXL multipliant, à l’écran, tonitruantes crises de rire, fulgurances dans les intonations, mimiques effroyables et autres mouvements corporels dégingandés ? C'est un acteur-artiste, qui apporte beaucoup au film (allant bien au-delà du simple cacheton, c’est évident, même si le pactole touché pour Joker 2, est loin d’être anodin, on parle de 20 millions de dollars !), chapeau à ce Phoenix renaissant sans cesse de ses cendres ; il lui est déjà arrivé d’annoncer, comme en 2008 (fausse alerte !). de se retirer - ou d’abandonner cash un projet, comme encore très récemment, avec Todd Haynes qui s'apprêtant à tourner avec lui une romance gay comprenant des scènes de sexe explicites - des plateaux de cinéma pour mieux y revenir par la suite, comme ici. 

Le grand come-back de la comédie musicale dans les gros films du moment !

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Une lady gaga de son homme, bien allumé, le Joker, en partance pour une furieuse « Folie à deux ». ©Photo Niko Tavernise/2024 Warner Bros

Y'a du Sinatra partout dans Joker 2, ça swingue bien, Fred Astaire est aussi de la partie. Tous en scène. Pour le meilleur et pour le rire. D'autant plus qu'une cour d'audience - c'est un film de procès - est aussi une scène, si ce n'est pas une pièce de théâtre, avec feux de la rampe et coulisses, répétitions et délibéré. La Société du spectacle, celle de Guy Debord (1967, avec cette phrase-clé, « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles ») et la nôtre (mais n’est-ce pas la même chose ?), est partout, sur fond de célébrité toxique : le joker (dangereux psychopathe) passe, aux yeux de ses aficionados, pour être un artiste no limit  : devant sa performance hors normes, notamment lorsqu’il rigole tous azimuts, le corps tremblant, et la tête renversée, à l’instar du ripou Stansfield (Gary Oldman) dans le Léon (1994) de Luc Besson, j’ai pensé à Edgar Allan Poe, qu’aimait citer Kubrick d’ailleurs, notamment dans son ouvrage-somme éponyme conçu de main de maître par Michel Ciment, « Les hommes m’ont appelé fou ; mais la science ne nous a pas appris encore si la folie est ou n’est pas le sublime de l’intelligence » - eh oui, et si ce Joker, telle une figure sacrificielle de martyr, n’était-il pas, ici, jugé et moqué par une société qui ne le comprend pas ? Le metteur en scène Phillips laisse, à raison, cette question ouverte.

Le Joker au nez rouge, mais très fleur bleue désormais en apparence, est pisté par, non seulement sa groupie mythomane Quinn, mais également par une cohorte de sosies obnubilés par sa personne (symbolique) connaissant le quart d’heure warholien de célébrité mondiale, ces derniers suivant, au sein du star-system, ses moindres faits et gestes (l’un de ses admirateurs, d’ailleurs, attention spoiler, ne l’aime-t-il pas trop pour lui réserver, avec la complicité de geôliers jaloux de son statut de grosse vedette attirant tous les regards (celui d’une femme amoureuse, mais aussi ceux des psychiatres, journalistes télé avides de scoops et magistrats), le sort tragique de John Lennon ?), et le monde est assurément une valse des pantins (« je pensais qu’on était encore dans mon émission », dit Fleck/Joker, faisant son show, lors de l’épisode au long cours du procès), prenant des airs de comédie… musicale sans fin.

Cette dernière (le musical, à l’empreinte très Broadway), associée à une ambiance de fête foraine multicolore (on pense à La La land (2016), du Franco-Américain talentueux Damien Chazelle, avec le couple fringant Emma Stone (Mia) et Ryan Gosling (Sebastian), Joker number 2 citant même ouvertement Coup de cœur (1981), film-installation un peu trop oublié, du maestro Don Coppola), s'invite - ça a l'air très tendance - en ce moment, régulièrement, au cinoche (les réalisateurs se seraient-ils tous passés le mot ?), dans des films qui n'en sont pas, a priori. Cette Folie à Deux, via notamment son chouette duo rockmantique (avec une lady folledingue complètement gaga du Joker) et un joli numéro de claquettes, lovés dans un film musical largement gourmand de standards américains tous interprétés en live durant les prises, en solo ou en duo, par les deux protagonistes zinzins leaders [notamment, et sur fond de That’s Entertainment généralisé (tube increvable et final du film Tous en scène (1953) de Vincente Minnelli, Get Happy (1950) de Judy Garland, What the World Needs Now Is Love (1965) de Jackie Deshannon, That’s Life (1966) de Frank Sinatra et For Once in My Life (1968) de Stevie Wonder], se laisse copieusement contaminer par le genre de la comédie musicale ; il y a même, à un moment donné, via un superbe plan en plongée intégrale, des parapluies hauts en couleur qui, face à la morne plaine de la prison et à la grisaille de gardiens robotiques sinistres, se souviendraient peut-être de la promesse de bonheur, comme minée de l’intérieur (la guerre d’Algérie est en creux dans le film), des Parapluies de Cherbourg, 1964, de Jacques Demy.

Mais aussi, tout récemment, l’on peut penser à l’enlevé Emilia Pérez, porté par l’actrice féline de la saga Avatar (Zoe Saldana), réalisé par Jacques Audiard, en lice pour les prochains Oscars, à Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton, via notamment sa séquence musicale du métro d’outre-tombe peuplé de Blacks à la coupe afro entraînant les défunts vers les Enfers dans leur soul train, appellation faisant tant référence à une émission américaine éponyme culte des années 70, célébrant la musique soul et le RnB, qu’aux âmes soul si cools, ou encore au mastodonte libertaire – la création artistique au pouvoir ! - Megalopolis (le grand Coppola, affichant tout de même 85 printemps au compteur, reprenant avec talent les tons sursaturés pop du Dick Tracy de Warren Beatty et les figures afro-américaines du jazz qui swinguent de son malaimé Cotton Club). 

Puis, au rayon musique toujours, il y a même du Brel, chanté en anglais s'il vous plait, au téléphone, Ne me quitte pas (1959), et c'est beau à pleurer, vraiment (un temps suspendu à l'émotion maximale - merci Monsieur Jacques Brel (1929-1978), total respect), dans le cadre d'une « folie à deux » (sous-titre du long, un peu trop long, 2h18) ô combien partageuse ; bonne nouvelle, le Joker, martyrisé plus jeune par sa maman violente et instable (salutations, en passant, au père Hitch de Psychose), n'est plus seul, semble-t-il, il en pince grave pour une loseuse magnifique (Queen Gaga, alias Harley Quinn) ! C’est aussi un film d’amour ouf.

Tous en scène, in fine, n’est pas convoqué par hasard, Joker 2 pouvant prendre l’allure d’un film choral, gardant espoir, malgré la Grande Faucheuse au travail. Ainsi, et attention spoiler, le 11-Septembre s'invite inéluctablement dans une séquence-choc d'attentat terroriste (le film, qui se déroule dans la Grosse Pomme de Gotham City, avec ver incorporé), a délibérément un côté rétro, avec un tropisme prononcé pour les ruines et les nuages de fumée – oui, oui, au passage, il y a bien aussi les fameux escaliers sans fin, coincés entre deux buildings (sur la West 167th Street de New York), du numéro 1, avec, dans le filmage, une superbe ellipse, on ne voit pas l’arrestation du Joker par les flics lancés à ses trousses.

Seul espoir possible, face au temps présent obscur, l'art-thérapie, en tant que possible « folie à deux » et davantage encore (plus on est de fous, plus on rit), partagée comme bulle hors du temps, pour rendre la vie quotidienne grise, voire noire, plus respirable : afin d’échapper, un tant soit peu, à l’asile-prison d’Arkham, il y a le sanatorium - dans lequel Arthur Fleck, qui ne fait plus de jokes désopilantes depuis longtemps malgré la demande insistante des garde-chiourmes lourdingues (il est lessivé, fumeur frénétique et extrêmement amaigri), est interné. Cette structure d’accueil, proposée aux enfermés, fait appel à la musicothérapie, dans le cadre d’une thérapie sur le long terme des patients, comme prisonniers d'eux-mêmes, avec pour visée de rechercher son clown intérieur en faisant de ses failles assumées une force, autrement dit chanter pour exister  : « Nous utilisons la musique pour nous guérir », entend-on très justement, à un moment donné.

L'anti-héroïne Quinn/Queen, « Lady Héroïne » dirait Gainsbarre, parle par deux fois d'une « montagne » qui se créerait « à partir d'une colline ». Cette montagne, c'est possiblement un bébé (le film ? Avec une touche Fitzcarraldo, grand film malade, au bord non-stop de la césure et de la chute d’Icare, et la « colline », le couple amoureux Joker/Quinn (ou l'équipe de tournage réunie pour faire ce film réussi, du 4 sur 5 pour moi, car j’avoue être complètement rentré dedans, alors qu’au départ, je craignais, j’avoue, qu’il m’horripile fissa).

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Joaquin Phoenix, à Venise (Italie), le 5 septembre dernier, pour présenter « Joker 2 » à la Mostra. ©Photo (recadrée, publiée dans « Aujourd’hui en France » #8349, 2 oct. 2024, p. 26) Reuters /Yara Nardi

Tout compte fait, cette infiltration de la comédie musicale dans des films, de prime abord, non reconnus comme tels, est-ce pour mieux dynamiser/dynamiter le fil rouge, continu et contenu, de la fiction traditionnelle linéaire ? Disons, en tout cas, que ça marche plutôt bien, les tableaux musicaux apportant comme des bouffées de respiration, entre échappements libres et échappées belles, aux films précédemment cités.

Récemment, dans Aujourd’hui en France n°8349 (mercredi 2 octobre 2024, pp. 26-27, in article Le « Joker » raconte son nouveau rôle, propos recueillis par Renaud Baronian), Joaquin Phoenix, très en verve ce jour-là (le 5 septembre dernier, à Venise) précisait, quant à l’aspect fortement musical de l’opus n°2 du Joker, « Todd Phillips [le réalisateur] pensait déjà à ce côté musical dès le premier film, avant qu’on y renonce [pas totalement, il danse et chante un peu sur quelques séquences]. On a décidé que cet aspect allait émerger de lui, de façon explosive dans Folie à deux. (…) [Pour Lee, la femme qui tombe amoureuse du Joker, le choix de Lady Gaga s’est vite imposé] Forcément tout le monde sait quelle chanteuse elle est. Mais pour les besoins du film, elle a dû désapprendre certaines techniques vocales qu’elle maîtrise. »

Joker 2, une dystopie musicale sombrant dans la folie 

Tout se passe ici, en tout cas pour une bonne partie du récit, dans un jeu flottant, pour certains un tantinet voire carrément agaçant, entre réalité et mensonge (les séquences musicales, chantées et dansées, fonctionnant comme autant de parenthèses oniriques et fantasmatiques), à savoir dans l’imaginaire de la tête du personnage principal, psychopathe maboul à la personnalité multiple (Arthur Fleck/Joker), curieuse posture psychique, faisant comme écho à notre propre rapport au cinéma car, que fait-on avec le septième art, surtout si l’on s'enferme dans une salle obscure (le cadre idéal pour profiter pleinement du cinéma comme transport en commun, dixit feu Godard), si ce n'est se caler - comme dans le passé on s'installait autour d'un feu de camp pour écouter un griot nous raconter une bonne histoire avec frissons à la clé si possible - dans l'imaginaire d'un chef d'orchestre montreur d'ombres (réalisateur et/ou acteur charismatique), pour tenter de fuir, avant de se faire rattraper par la réalité au sortir de la salle, une ambiance, dans la vraie vie, pas toujours des plus grisantes ? 

Alors oui, Joker 2, tel un gouffre à la noirceur nihiliste infinie nous aspirant irrésistiblement (enfin, ça reste du cinéma, il y avait du soleil quand je suis sorti de la salle 1 Mk2 Odéon côté St-Germain, Paris - ouf !), est très sombre, voire cruel, mais, entre nous, et notamment au vu de l’actualité toute récente (les conflits meurtriers, sur fond de haine réciproque, la menace terroriste, la solitude dans les grandes villes, la violence physique en société, notamment de la part d’ados en déshérence, l’abandon des seniors, le risque d’une nouvelle pandémie incontrôlable, etc.), notre époque ne l'est-elle pas ?

Au fond, cette Folie à Deux, dans son aspect déceptif voulu (le Joker y est constamment en sous-régime, sans faire preuve de panache comme dans le 1, il ne crée pas l’action, se contentant de la suivre, il faut par exemple le voir, comme hagard, courant dans les rues poussiéreuses, tels un mort-vivant ou une bête sauvage traquée, lorsque ses fans ont créé un bordel post-11 Septembre pas possible en dynamitant le tribunal), n’est jamais l’équipée sauvage, à la Bonnie & Clyde (pour faire vite), qu’on attendrait, classiquement, de lui, avec un duo (Phoenix/Gaga) annoncé pourtant, en tant que moteur commercial, comme pétaradant (leur évasion-éclair, après que Harley Quinn ait volontairement mis le feu à la salle de projection, est tout de suite avortée).

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Harley Quinn (Lady Gaga) et le Joker/Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) dans « Joker 2 ». ©DC COMICS

C’est un film assez puissant (une suite meilleure que l'original, dans l'Histoire du cinéma, à ma connaissance, ce n'est pas si fréquent, il y a certes Le Parrain 2, Les Bronzés font du ski, Mad Max 2, Et pour quelques dollars de plus, Aliens (?) et Gremlins 2), mine de rien, parce qu’il se refuse obstinément – il a presque un côté kamikaze avec ça, malgré ses 200 millions de dollars de budget, comme s’il se tirait ouvertement une balle dans le pied – à se lancer dans une cavale criminelle et romantique attendue depuis son entame, genre, en plus de Bonny et Clyde (1967, Arthur Penn), True Romance (1993, Tony Scott) et Nés pour tuer (1994, Stone), pour rester dans du surplace vraiment zarbi (cf. le double huis clos, tant carcéral, l’asile, que judiciaire, la salle de tribunal), au bord du requiem pour un... con  ?

En tout cas pour un homme seul, car il faut bien le dire (attention ici, spoilers en série), son titre est habilement trompeur, voire piégeux  : en effet, cette Folie à deux n’est peut-être pas celle qu’on croit, à savoir l’histoire d’amour qui finira mal entre le pauvre Arthur Fleck et l’implacable Quinn (le quittant, car aucunement digne du Joker superstar flamboyant, s’attirant le feu des projecteurs et des sunlights de la célébrité cathodique), mais davantage latempête sous un crâne, « à deux », du schizophrénique personnage masculin principal, comme déchiré entre ses diverses identités, parce que dissociant mentalement douloureusement, en interne, Arthur Fleck et son double maléfique farcesque, à l’humour férocement acide, le Joker. En outre, à la toute fin, la mort du Joker, c’est l’assassinat d’un fou par un autre fou, tel un passage de relais possible, puisque le meurtrier du Joker est son plus grand fan : il rit comme lui, ayant comme fusionné avec son idole assassinée. Eh oui, quand le Joker, poignardé, par surprise, à plusieurs reprises au cour d’un traquenard, agonise au premier plan, que voit-on en arrière-plan ? Le meurtrier, ivre de sang et de violence, qui se coupe les lèvres, au couteau, pour reproduire, fissa, le large rire crispé du (sacro-saint poster) du Joker. Ainsi, si Arthur Fleck meurt physiquement, l’esprit du Joker, lui, tel un symbole encore actif, survivra, par le biais possiblement d’un autre corps, ce dernier devenant de surcroît sa nouvelle représentation (un Joker 3 en vue ?). Scène de transfert, voire de vampirisme, vraiment troublante, selon moi.  

Entre nous, c'est bien un film de cinéma qui parle, en déployant des récits gigognes, des plans superposés ou des rêves enchâssés (la frontière entre rêve et réalité y est constamment floue, via le filtre continu de la mise en abyme, ou film dans le film, Joker se fait là-dedans constamment son cinéma… musical, ou le cinéma comme parenthèse enchantée), du septième art, en tant que miroir aux alouettes nous permettant parfois de toucher la vérité (cf. Picasso, « L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité  »). 

Todd Phillips (53 balais), que l’on a longtemps pris pour un simple tâcheron (auteur, avant son Joker, qui lui a valu une nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur, de films plutôt passe-partout comme sa trilogie potache sympatoche Very Bad Trip (2009-2013), sans oublier ses comédies standardisées portées par des groupes de jeunes, de Road Trip à Projet X en passant par Retour à la fac, et ses comédies assez faciles centrées sur des duos comiques, tels Starsky & Hutch, L’École des dragueurs et Date limite), a du répondant - youpi. C'est loin d’être un manchot, il signe ici, avec cette Folie à deux assez contagieuse du côté des spectateurs (même si d’aucuns, contrairement à la sémillante Mia Farrow/Cecilia de La Rose pourpre du Caire (1985) se laissant entraîner par le héros bondissant du mélo de Woody Allen sortant de l’écran pour l’enlever, détestent ce film, en restant complètement hermétiques devant sa veine inopinée nouvelle labellisée comédie musicale !), un blockbuster d'auteur - ceci est un oxymore, je sais !

En épousant, dans ce Joker 2 – comment le qualifier sans le réduire ? Thriller musical ? Comédie musicale teintée d’horreur -, l’imaginaire d’Arthur Fleck, confondant rêve et cauchemar, qui prend le pas sur sa réalité existentielle tragique (il est inéluctablement destiné à une exécution sur la chaise électrique), Todd Phillips, comme s’il suivait l’entre-deux constant de son personnage bipolaire (réalité et rêve, dualité, avec frottements, Joker/Fleck ; n’a-t-il pas également inventé de toutes pièces Lee Quinzel/Harley Quinn ?), crée une sorte de film monstre, oscillant, avec agilité, façon sables mouvants émouvants, entre film de procès et comédie musicale, comédie noire et drame, film catastrophe et romance, mélodrame et film de prison. 

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Jacques Brel, à l’olympia, en 1964, et 60 ans après, au cinéma, via son tube « Ne me quitte pas », dans le chantant « Joker 2 » (2024, Todd Phillips)

Bref, ce Joker 2, c’est de la belle ouvrage, bien dark pour autant (vous voilà prévenus), comme on dit. Je me souviens, qu’à la sortie du premier JokerLes Cahiers du cinéma y décelaient un « soubresaut à Hollywood, ce cadavre fardé qui prouve quand il veut qu’il peut encore faire un peu de de cinéma  ». Faire un peu, beaucoup, passionnément, de cinoche, même. Avec ce Joker 2 nous allant, parfois, droit au cœur, cf. le bouleversant Ne me quitte pas de Brel, interprété, sans esbroufe, par le doux, dur et dingue Joaquin Phoenix, acteur, se faisant « chanteur » pour l'occasion, loin d’être une brèle, ma foi, et qui meurt à la fin. Too bad. Du coup, pas de Joker opus 3  ? Hmmm, en terres américaines où la planche à billets verts est reine (en même temps, ce Joker 2, volontairement déceptif, voire « malade », est tellement singulier qu’il prend le risque, en s’attirant les foudres des fans du premier, de se vautrer en beauté au box-office), rien n’est strictement impossible. 

Joker : Folie à deux, drame musical américain de Todd Phillips (2024, 2h18, couleur, a été en compétition officielle à la Mostra de Venise 2024, ©photos VD, souvent d'après la presse), avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson, Catherine Keener, Zazie Beetz, Ken Leung, Harry Lawtey, Steve Coogan. Musique : Hildur Guðnadóttir. Production : Warner Bros. Pictures. Distribution : Warner Bros. France. En salles depuis le 2 octobre 2024.

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6 réactions à cet article    


  • xana 7 octobre 11:37

    « Être complètement gaga du « Joker 2 », c’est possible ? »

    Probablement, si on consacre son intelligence à des films (évidemment des films américains).

    Mais dans la vie il y a aussi d’autres choses nettement plus intéressante, vous ne trouves pas ?


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 7 octobre 12:38

      @xana « Mais dans la vie il y a aussi d’autres choses nettement plus intéressante, vous ne trouves pas ? »
      Cela dépend (du film, américain ou autres) ! smiley


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 7 octobre 17:41

      @Vincent Delaury

      J’aurais bien voulu lire un article de votre part sur « Megalopolis » :)


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 7 octobre 21:04

      @Nicolas Cavaliere Merci ! Je vous lis également (la part philosophique, dont le dernier article...). « Megalopolis » ? Quelle ambition. Film-monde qui part un peu dans tous les sens, en tout cas propose beaucoup de directions (pas toujours faciles à suivre). Mais il y a une telle croyance en l’art, et dans les puissances mêmes du cinéma (et de la vie, se confondant avec). C’est peut-être « plus que du cinéma » d’ailleurs... Bref, j’ai globalement aimé ! smiley


    • razoumikhine razoumikhine 8 octobre 11:29

      Racontez la fin d’un film c’est pas top ça ....


      • Vincent Delaury Vincent Delaury 8 octobre 12:46

        @razoumikhine Euh, ce n’est pas vraiment le cas (enfin, pas à 100% !), et quand je dévoile de trop, pour info, je mets des « attention spoiler » un peu partout, avertissement qui veut dire : « révélations sur l’intrigue » ou « révélations sur le dénouement ». smiley

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