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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Etude des « cahiers noirs » de Heidegger

Etude des « cahiers noirs » de Heidegger

Karl Payer : Lettre ouverte au professeur Peter Trawny, éditeur des Réflexions II-XV (Cahiers noirs 1931-1941) de Martin Heidegger et auteur du livre Heidegger et l’antisémitisme.

 

Cher monsieur Trawny !

C’est avec beaucoup d’intérêt mais aussi un grand saisissement que j’ai lu votre livre Heidegger et l'antisémitisme. De même ce que vous avez écrit sur „Heidegger et les Juifs“ dans les deux postfaces aux tomes 95 et 96 de l’œuvre intégrale de Heidegger que vous venez d’éditer („Réflexions VII-XI“ et „Réflexions XII-XV“) m’a plongé dans la stupéfaction.

Heidegger est depuis longtemps suspecté d’avoir été jusqu’au bout national-socialiste et d’avoir eu une pensée national-socialiste. Ce qu’il a lui-même dit et écrit à ce sujet, on n’y accorde aucun crédit. Avec la publication des flexions, cette suspicion n’a plus guère lieu d’être. Pourtant elle persiste – inconsciemment tout au moins – comme le montre dans votre postface aux carnets noirs de 1938/39 la juxtaposition des expressions „déclarations sur le judaïsme“ et „interprétation de la vie quotidienne sous le national-socialisme“. Je vous cite : „L’arrière-plan de ces déclarations sur le judaïsme et de l’interprétation de la vie quotidienne sous le national-socialisme est de toute évidence constitué par toutes ces pensées que nous connaissons grâce aux traités sur l'histoire de l'être que Heidegger rédige à la même époque (…)“[1] – Comme si les propos de Heidegger sur le national-socialisme n’étaient qu’une critique superficielle des manifestations quotidiennes de celui-ci et ne témoignaient pas d’une opposition fondamentale au national-socialisme lui-même, c’est-à-dire à son essence.

Quand l’éditeur scientifique des flexions de Heidegger „détecte“ dans celles-ci des pensées antisémites, réelles ou supposées, et présente au grand public – lequel n’a, en général, lu aucun ouvrage de Heidegger – comme „antisémites“ des phrases sorties de leur contexte (et de la „réflexion“ qu’elles requièrent), et va même pour cela jusqu’à forger sa propre terminologie (p. ex. „antisémitisme inscrit dans l’histoire de l’être“), alors le débat autour de Heidegger comme homme et comme philosophe prend une nouvelle dimension.[2]

C’est pourquoi j’aimerais dans le cadre de ma confrontation personnelle avec l’œuvre de Heidegger prendre position par rapport aux thèses que vous énoncez et les mettre en parallèle avec mes propres réflexions.

La question qui nous préoccupe ici est de savoir d’une part si la manière dont vous présentez et interprétez la pensée heideggérienne est conforme à celle-ci ou bien si elle n’est qu’un procès d’intention – et d’autre part si mes considérations introduisent dans sa pensée quelque chose qui ne s’y trouve pas du tout ou bien si elles y sont conformes. Autrement dit : mon propos est de savoir si votre présentation doit s’entendre comme une destruction ou une déconstruction. Dans le premier cas, Heidegger serait effectivement un antisémite, dans l’autre ce que vous appelez antisémitisme inscrit dans l’histoire de l’être serait quelque chose que vous avez „inventé“ à l’occasion de votre confrontation avec Heidegger, tout comme Heidegger a „inventé“ sa pensée historiale en se confrontant aux œuvres des grands philosophes et à Hölderlin.[3] Il y a bien sûr la possibilité qu’aussi bien mon interprétation que la vôtre soient aux antipodes de sa pensée. Il se peut que nous contaminions tous deux cette pensée avec des idées qui lui sont étrangères.

Réflexions – insinuations :

Les flexions de Heidegger sont des „réflexions“. Autrement dit elles ne prétendent pas avoir un caractère définitif. Les réflexions (Über-legungen) – contrairement aux explications (Aus-legungen) – plaquent quelque chose sur l’objet considéré. Elles sont très reconnaissables et se donnent pour ce qu’elles sont. Je peux appliquer à un même objet des réflexions qui se contredisent et s’excluent les unes les autres. Les réflexions ont la propriété d’appeler de nouvelles réflexions, y compris celles qui leur sont contraires. Elles appellent à être contredites. Elles nous mettent au défi de nous confronter à l’objet et aux différentes réflexions qui peuvent s’y appliquer.

Les insinuations (Unter-stellungen) par contre se cachent derrière l’objet, elles veulent rester invisibles. Elles l’altèrent et le distordent, le falsifient. Elles arrivent facilement hélas à se camoufler sous forme de constatations. C’est ce qui rend tout si compliqué et si difficile.

Vous voulez prouver que les réflexions de Heidegger – quelques rares réflexions ! – sur les Juifs et le judaïsme sont en réalité des insinuations. Je souhaiterais montrer dans cette discussion que ce sont vos explications des réflexions de Heidegger qui sont des insinuations.

Puisque que nous aimons tous les deux la pensée de Heidegger, il est à espérer que vous vous trompez dans votre explication et que mes réflexions ne sont pas d’hypocrites insinuations. Cela dit, elles appartiennent à la région d’essence de l’arraisonnement (Ge-stell).

Positions – oppositions :

Faisons comme si nous ne connaissions pas les réflexions de Heidegger et que nous les lisions pour la première fois. Commençons par en prendre deux, en les mettant l’une à côté de l’autre :

Première Réflexion  :[4]

Début de la troisième année de guerre planétaire. – Le sens commun aimerait calculer l’histoire et exige un „bilan“. Du reste il reste toujours des incurables à qui il n’est pas possible de faire entendre raison avec des entreprises de ce genre, quel qu’en soit le degré de perfection. Dans la mesure donc où on ne pense qu’historiquement et pas historialement et où on intègre même le planétarisme dans la mutation de l’histoire, au lieu de n’en faire tout au plus qu’un usage géographique comme cadre des données „historiques“, dans la mesure où on ne tolère que les „faits“, qui ne sont toujours qu’à moitié vrais et donc erronés, il est possible de faire les constatations suivantes :

1°) Nous sommes vainqueurs maintenant depuis deux ans.

2°) Le nombre de personnes à ravitailler s’accroît, puisque les territoires conquis tombent à leur tour sous le coup du blocus.

3°) Les territoires à administrer s’étendent de plus en plus.

4°) Les possibilités d’action politique sont toutes épuisées, puisqu’il n’y a plus de partenaire.

5°) Le risque majeur de guerre sur plusieurs fronts qui passait pour écarté grâce à une politique géniale, est devenu réalité de notre fait.

6°) L’occasion d’une décision essentielle au sein de l’unique conflit guerrier encore restant s’est évanouie.

7°) Dans tous les domaines où l’on procède et planifie, le seul but visible est une pure et simple continuation de ce qui s’est fait jusque là.

8°) La tendance, chez tous les belligérants à agir de la même façon, se généralise.

9°) (…)

10°) L’habile dissimulation de cette situation aussi bien européenne qu’allemande, et du passage de l’isolement de l’Europe à son encerclement, on appelle cela „ordre nouveau“.

Par contre, il faut bien considérer comme un atout en faveur de la conduite de la présente guerre, relativement à ce qui s’est passé lors de la première Guerre mondiale, le fait que l’on puisse tirer des leçons de cette dernière, et que l’on en ait tiré. Mais pour en user encore à temps comme il conviendrait avec les dix points mentionnés ci-dessus – lesquels (sous quelque variante que ce soit) ne peuvent que troubler la vision claire de l’histoire vraie et éloigner de la méditation – il faudrait que notre propagande partout si bien aguerrie se résolve à les prendre au sérieux.[5]

Ma réflexion sur ce texte :

Heidegger souligne expressément que cette réflexion n’est pas une interprétation historiale de la seconde Guerre mondiale mais qu’il se livre à un calcul de type seulement historique, en tirant du point de vue allemand le bilan de deux années de guerre. Le bilan de cette guerre insensée est terrifiant. Malgré tout le déploiement de puissance de l’Allemagne national-socialiste, tous les buts ont disparu, il n’y a plus il n’y a plus qu’une simple continuation de ce qui s’est fait jusque là, on ne peut plus espérer de décision essentielle au sein du conflit armé, toute possibilité d’action politique est épuisée. Et que fait la propagande nazie ? Elle dissimule cette situation en la désignant par l’euphémisme d’“ordre nouveau“. – Cette réflexion est dirigée contre les Nazis et leur propagande. Heidegger aurait bien pu l’envoyer aux nazis par courrier – et il a bien fait de la garder secrète par devers lui.

Deuxième Réflexion :

Le judaïsme mondial, aiguillonné par les émigrants qu’on a laissés partir d’Allemagne, est partout insaisissable, et n’a besoin malgré tout ce déploiement de puissance de participer nulle part aux actions militaires, tandis qu’il ne nous reste plus qu’à sacrifier le meilleur sang des meilleurs de notre peuple.[6]

Votre explication :

L'avantage de la „juiverie mondiale“ dans le combat déclenché par la „machination“ contre „nous“ consiste en sa capacité à guider les destinées depuis n'importe où, en restant „partout insaisissable“. (…) Heidegger a toujours été partial concernant la guerre et le sacrifice de soldats allemands – et il ne pouvait pas s’empêcher de doter sa partialité d’une note historiale.[7]

Or, vous le savez, ces deux réflexions ne vont pas seulement ensemble mais forment dans leur intégralité une seule et unique réflexion. La voici maintenant sans coupure :

Début de la troisième année de guerre planétaire. – Le sens commun aimerait calculer l’histoire et exige un „bilan“. Du reste il reste toujours des incurables à qui il n’est pas possible de faire entendre raison avec des entreprises de ce genre, quel qu’en soit le degré de perfection. Dans la mesure donc où on ne pense qu’historiquement et pas historialement et où on intègre même le planétarisme dans la mutation de l’histoire, au lieu de n’en faire tout au plus qu’un usage géographique comme cadre des données „historiques“, dans la mesure où on ne tolère que les „faits“, qui ne sont toujours qu’à moitié vrais et donc erronés, il est possible de faire les constatations suivantes :

1°) Nous sommes vainqueurs maintenant depuis deux ans.

2°) Le nombre de personnes à ravitailler s’accroît, puisque les territoires conquis tombent à leur tour sous le coup du blocus.

3°) Les territoires à administrer s’étendent de plus en plus.

4°) Les possibilités d’action politique sont toutes épuisées, puisqu’il n’y a plus de partenaire.

5°) Le risque majeur de guerre sur plusieurs fronts qui passait pour écarté grâce à une politique géniale, est devenu réalité de notre fait.

6°) L’occasion d’une décision essentielle au sein de l’unique conflit guerrier encore restant s’est évanouie.

7°) Dans tous les domaines où l’on procède et planifie, le seul but visible est une pure et simple continuation de ce qui s’est fait jusque là.

8°) La tendance, chez tous les belligérants à agir de la même façon, se généralise.

9°) Le judaïsme mondial, aiguillonné par les émigrants qu’on a laissés partir d’Allemagne, est partout insaisissable, et n’a besoin malgré tout ce déploiement de puissance de participer nulle part aux actions militaires, tandis qu’il ne nous reste plus qu’à sacrifier le meilleur sang des meilleurs de notre peuple.

10°) L’habile dissimulation de cette situation aussi bien européenne qu’allemande, et du passage de l’isolement de l’Europe à son encerclement, on appelle cela „ordre nouveau“.

Par contre, il faut bien considérer comme un atout en faveur de la conduite de la présente guerre, relativement à ce qui s’est passé lors de la première Guerre mondiale, le fait que l’on puisse tirer des leçons de cette dernière, et que l’on en ait tiré. Mais pour en user encore à temps comme il conviendrait avec les dix points mentionnés ci-dessus – lesquels (sous quelque variante que ce soit) ne peuvent que troubler la vision claire de l’histoire vraie et éloigner de la méditation – il faudrait que notre propagande partout si bien aguerrie se résolve à les prendre au sérieux. [8]

Heidegger selon votre interprétation parle au 9ème point du „déploiement de puissance du judaïsme“. Je lis au contraire „malgré tout ce déploiement de puissance de l’Allemagne national-socialiste“. Il décrit en effet ce déploiement de puissance dans les points précédents. Je lis ainsi le 9ème point dans son contexte, celui de la réflexion entière : Vous autres Nazis ! Que faites-vous de notre jeunesse allemande ! Vous vous figurez être en lutte contre le judaïsme mondial – de fait, vous êtes en quelque sorte en lutte contre le judaïsme mondial ! Vous l’avez certes aiguillonné par vos décisions et vos actes, mais vous êtes hors d’état de le saisir ; dans cette lutte il vous échappe complètement. Tout ce que vous claironnez là est pure propagande ! En réalité cela ne sert qu’à cacher le fait que malgré tout ce déploiement de puissance, réussite que l’on ne peut vous contester, vous n’êtes parvenus à rien d’autre qu’à jeter au feu notre jeunesse et à l’envoyer à la mort. (Remarque : l’expression „lutte“ ici employée par moi est une tentative d’interprétation du champ lexical d’„aiguillonné“ et „partout insaisissable“. Je l’emploie comme paraphrase du concept de „guerre des mots“ par opposition à „actions militaires“.) 

Principe racial et amputation du racé :

Employons la même méthode pour la 38ème Réflexion du Carnet noir XII. Dans la première version omettons seulement une phrase, à savoir celle où „les Juifs“ sont évoqués. La seconde version comprend votre citation de la 38ème Réflexion. La version originale sans coupure de cette réflexion de Heidegger sera présentée dans la 3ème version.

Version 1 :

Le fait qu’à l’ère de la fabrication[9] la race soit érigée en véritable „principe“, effectivement mis en place, de l’histoire historiale (ou seulement de l’historiographie) n’est pas l’invention arbitraire de „doctrinaires“ mais une conséquence de la puissance de la fabrication qui doit contraindre l’étant dans toutes ses régions à entrer dans le calcul planificateur. (…) La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race[10], en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire historiale – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre. Et ainsi sont renversées les seules possibilités pour les peuples doués d’une faculté historiale particulière de se porter vers l’unité : par exemple le concept savant et la passion de la méditation avec l’intimité et l’amplitude de l’étrange – esprit allemand et esprit russe – lequel n’a rien à voir avec le „bolchevisme“ qui n’est rien d’„asiatique“ mais est seulement l’ultime élaboration de la pensée moderne occidentale à la fin – la première et décisive préfiguration du pouvoir sans restriction de la fabrication.

Tout aussi délirant – au sens d’une inversion des relations d’essence – est de vouloir combattre le bolchevisme par le principe racial (comme si tous deux n’avaient pas dans leur disparité de traits la même racine métaphysique) et de chercher à sauver l’esprit russe par le fascisme (comme si l’abîme qui les sépare excluait toute unité d’essence). Mais le fait que tout cela soit entrepris et géré de manière historique et technique montre déjà la victoire définitive de la fabrication sur l’histoire historiale, la défaite de toutes les politiques devant la métaphysique, en quoi s’annonce du même coup à quel point nous ne sommes plus que cloués à un premier-plan historique et méconnaissons de plus en plus les chemins sur lesquels peut être sue la raison historiale de ce qui se passe.[11]

Mon explication :

Il faut distinguer deux aspects de cette réflexion. Il y est question premièrement du délire des Nazis qui ont érigé le principe racial en véritable „principe“, effectivement mis en place. Et deuxièmement de leur volonté de combattre le bolchevisme par le principe racial. Heidegger lui-même rejette le principe racial comme principe spirituel. Mais il est contraint de le reconnaître comme quelque chose de donné, d’une part parce que le principe racial, au dire de scientifiques se prétendant compétents, est un principe de la biologie, et d’autre part parce que, comme théorie en un „amalgame d’esprit et de biologie“, il n’est pas seulement un composant explicite et central de la vision du monde national-socialiste, mais qu’il est mis en pratique sans aucune forme de restriction par les Nazis dans l’esprit pragmatique du calcul planificateur. Le principe racial est un fait dont on ne peut nier la réalité. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’il est déclenché et appliqué sans bornes par une race de „seigneurs“ autoproclamée, et que celle-ci essaie d’éradiquer les autres races ? Plutôt que les peuples ne se fécondent mutuellement et apprennent les uns des autres ! (Remarque : la véritable appropriation de ce qui nous est propre advient en apprenant de ce qui est étranger. En passant par l’étranger il nous est d’une part possible de nous l’approprier. D’autre part ce n’est qu’en faisant la connaissance de l’autre que nous pouvons véritablement faire celle de notre propre essence et ainsi seulement nous l’approprier – comme l’enseigne Heidegger dans son explication du poème de Hölderlin „Andenken“.) Mais qu’arrive-t-il si toutes les races sauf une ont été exterminées, si seule la race autoproclamée des „seigneurs“ a survécu ? Qu’arrivera-t-il en même temps ? Il se sera produit une complète amputation de la race. Il n’y aura plus aucune différence raciale, tous seront pareils. Le concept de race est ainsi devenu sans contenu ; il n’est plus pertinent que pour les époques antérieures. Heidegger attribue à l’esprit allemand les caractéristiques suivantes : concevoir en toute conscience et méditer avec passion ; dans la terminologie actuelle nous dirions : le fait de concevoir consciencieusement et la passion de méditer appartiennent fortement à la culture allemande. Á l’esprit russe, il attribue l’ardeur de la cordialité et l’ample sens de l’étrange. Les Allemand pourraient aller vers les Russes et apprendre d’eux et les Russes pourraient apprendre des Allemands. Au lieu de cela les Nazis essaient d’éradiquer le bolchevisme avec des procédés racistes. Selon Heidegger le bolchevisme est la première préfiguration de la puissance sans restriction de la fabrication. Or là où il y a un premier, il doit y avoir au moins un second. Le second doit s’être produit après. A qui pense donc Heidegger en second ? Qui exerce une puissance illimitée ?

Version 2 :

Les Juifs „vivent” avec leur don prononcé pour le calcul depuis longtemps déjà en suivant le principe racial – raison pour laquelle ils s’opposent aussi avec la dernière véhémence à ce que ce principe soit appliqué sans restriction. La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire vraie – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre.[12]

Votre explication :

Le philosophe d’un côté fait de la „pensée raciale“ une „conséquence de la machination“. (…) L’„application illimitée“ du „principe racial“ serait alors une simple mesure de protection dans un conflit.[13]

A présent voici la 38ème Réflexion dans son intégralité :

Le fait qu’à l’ère de la fabrication la race soit érigée en véritable „principe“, effectivement mis en place, de l’histoire historiale (ou seulement de l’historiographie) n’est pas l’invention arbitraire de „doctrinaires“ mais une conséquence de la puissance de la fabrication qui doit contraindre l’étant dans toutes ses régions à entrer dans le calcul planificateur. Les Juifs „vivent” avec leur don prononcé pour le calcul depuis longtemps déjà en suivant le principe racial – raison pour laquelle ils s’opposent aussi avec la dernière véhémence à ce que ce principe soit appliqué sans restriction. La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire vraie – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre. La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire historiale – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre. Et ainsi sont renversées les seules possibilités pour les peuples doués d’une faculté historiale particulière de se porter vers l’unité : par exemple le concept savant et la passion de la méditation avec l’intimité et l’amplitude de l’étrange – esprit allemand et esprit russe – lequel n’a rien à voir avec le „bolchevisme“, lequel n’est rien d’„asiatique“ mais est seulement l’ultime élaboration de la pensée moderne occidentale à la fin – la première et décisive préfiguration du pouvoir sans restriction de la fabrication.

Tout aussi délirant – au sens d’une inversion des relations d’essence – est de vouloir combattre le bolchevisme par le principe racial (comme si tous deux n’avaient pas dans leur disparité de traits la même racine métaphysique) et de chercher à sauver l’esprit russe par le fascisme (comme si l’abîme qui les sépare excluait toute unité d’essence). Mais le fait que tout cela soit entrepris et géré de manière historique et technique montre déjà la victoire définitive de la fabrication sur l’histoire historiale, la défaite de toutes les politiques devant la métaphysique, en quoi s’annonce du même coup à quel point nous ne sommes plus que cloués à un premier-plan historique et méconnaissons de plus en plus les chemins sur lesquels peut être sue la raison historiale de ce qui se passe.[14]

Principe racial et racisme

Le concept du „racial“ ne signifie pas une parenté spirituelle, une ascendance par le sang, donc une lignée biologique (nous dirions aujourd’hui : génétique). Biologiquement (génétiquement), un Blanc ne peut devenir Noir ni inversement. Celui qui vit selon le principe racial aura la conviction que son fils ou sa fille biologique est de sa race, même lorsque celui-ci ou celle-ci ne s’en revendique plus depuis longtemps. Selon la Halacha, l’ensemble des prescription religieuses des Juifs, une personne est considérée comme juive non seulement lorsqu’elle est de confession juive mais aussi lorsqu’elle a une mère juive, indépendamment de savoir si et à quel point elle suit les prescriptions de la religion. Dans le premier cas „juif“ s’entend au sens de l’appartenance religieuse, dans le deuxième cas on est juif au sens du principe racial. Beaucoup de peuples vivaient ou vivent encore selon le principe racial. Les Roms en sont un exemple. Et ce principe est implicitement reconnu lorsque ce qu’on appelle le „politiquement correct“ appelle à ne pas discriminer les Roms. Le principe racial n’est en lui-même ni bon ni mauvais. Ce qui est moralement répréhensible, c’est le racisme, c’est-à-dire la pensée et le comportement racistes.

Laissez-moi restituer d’abord votre interprétation d’un passage où Heidegger parle du concept de race et ensuite seulement citer celui-ci dans sa formulation d’origine, pour enfin vous soumettre ma réflexion :

Dans son cours de l’été 1934 sur „La logique comme question en quête de la pleine essence du langage“, Heidegger en vient à parler de la „race“. (…) La formulation déjà évoquée dans les „Réflexions III“ est de même : „Une condition“ serait „élevée au rang d’inconditionné“.[15]

Heidegger expose dans ce passage la polysémie du concept de peuple. Il est amené bon gré mal gré à parler aussi – très brièvement hélas – du concept de race :

Nous utilisons souvent aussi le mot „peuple“ au sens de „race“ (comme par exemple dans l’expression „mouvement völkisch“). Ce que nous appelons „race“ a un rapport avec l’ordre des relations de chair et de sang des membres du peuple, à leur génération. Le mot et le concept de „race“ n’est pas moins ambigu que celui de „peuple“. Ce n’est pas un hasard puisqu’ils sont liés. “Race” ne signifie pas seulement le racial en tant que ce qui a trait au sang, au sens de l’hérédité, des liens du sang et des forces de la vie ; cela vise aussi souvent ce qui est racé. Or le racé ne se limite pas à des caractéristiques purement corporelles et physiques ; il nous arrive en effet de parler d’une automobile en disant qu’elle a de la race (ce sont plutôt les adolescents qui parlent ainsi). Par “racé” on insiste sur quelque chose qui a à voir avec le niveau, qui exprime le rang, qui édicte un certain ordre de légitimité – cela ne vise pas en premier lieu ce qu’il y a d’héréditaire dans une famille, ou dans la suite des générations. Le racial proprement dit n’a nul besoin d’être racé ; il peut même être très peu racé.[16]

Heidegger distingue ici avec raison, selon moi, „racial“ et „racé“.[17] Tous deux renvoient au concept de „race“. Par „racial“ on entend le contexte physique de l’hérédité au sens de la transmission des gènes – „racial“ est donc un terme de la biologie. „Racé“ par contre est un terme spirituel : réalisation d’un certain rang, d’une certaine norme. Heidegger – selon moi – n’a fait qu’envisager cette distinction sans la conceptualiser et n’en a ainsi pas clairement perçu la signification essentielle pour le problème du racisme. Pour lui „racial“ reste le concept générique. „Racé“ a une connotation positive dans notre langue courante. Si nous pensons ensemble le concept du „racé“ et son contraire, „non-racé“, et posons sur le même plan les concepts de „racial“ et de „racé“ (ces deux concepts qui sont en fait opposés), aussitôt devient clair de quoi il retourne avec le problème du racisme. Le racisme amalgame les contenus respectifs des concepts de „racial“ et „racé/non-racé“, et tire sa justification de ce méli-mélo. C’est bien cela que pressent manifestement Heidegger dans ce passage, c’est pourquoi il veut tenir éloignés „racial“ et „racé“ l’un de l’autre et ne pas les voir amalgamés.

 

Amputation du racé :

Ce concept n’apparaît jamais dans les Réflexions VII-XI, il apparaît 2 fois dans les Réflexions XII-XV c’est-à-dire dans la 38ème Réflexion (XII) que nous venons de citer dans son intégralité. Dans votre livre Heidegger et l’antisémitisme on peut lire le terme amputation du racé 11 fois, 2 fois dans la 38ème Réflexion que vous citez de façon très abrégée et 9 fois à 6 autres endroits ; autrement dit vous vous référez 6 fois à ce seul passage. (Pardonnez-moi ces comptes d’apothicaire – mais notre discussion se déroule dans la région d’essence de l’arraisonnement (Ge-Stell) !) Je souhaiterais répondre à 2 passages de votre livre :

Mais ce que la „machination“ manigance à travers cette concurrence cachée est, secrètement, selon Heidegger, une „déracialisation complète des peuples“. (…) Cependant, par là on n’a pas encore expliqué comment deux ennemis qui, chacun, suivent le principe racial, pourraient contribuer à une „déracialisation complète“.[18]

La „juiverie mondiale“ doit lui être apparue comme un peuple ou un groupe d’un peuple qui, dans la concentration sur soi la plus intense, ne poursuivait d’autre but que la désagrégation de tous les autres peuples : une „race“ qui œuvrait consciemment à la „déracialisation des peuples“.[19]

Avec la meilleure volonté du monde, je ne peux vous suivre dans cette interprétation selon laquelle Heidegger aurait pensé que non seulement les Nazis mais aussi les Juifs œuvraient à la déracialisation complète des peuples. Heidegger ne l’a même pas dit. Selon moi votre explication est en fait une insinuation, un procès d’intention. (Je vous prie de me pardonner ce reproche !) Les Juifs ont pendant plus de 2 millénaires vécu pacifiquement selon le principe racial – et survécu ! Ils n’ont jamais cherché à imposer ce principe à quiconque. Ils ont dû apprendre sans cesse au cours de leur histoire qu’une utilisation sans bornes de ce principe par d’autres était une menace pour leur existence (persécutions, pogromes). Ils ont dû compter en permanence avec les expulsions et les exterminations. Raison pour laquelle ils se sont aussi – comme l’écrit Heidegger – opposés avec la dernière véhémence à ce que ce principe soit appliqué sans restriction. Les Juifs ont vécu suivant le principe racial (biologique) – mais n’ont jamais été racistes (que ce soit au sens biologique de „racial“ ou au sens spirituel de „racé/non-racé“). Les Nazis au contraire ont complètement déchaîné ce principe en un court laps de temps – et cela consciemment, avec préméditation ! Leur but était „une seule race pure“ grâce à l’extermination des autres „races“ – Ce sont les seuls qui aient appliqué le principe racial de manière déchaînée (sans aucune forme de restriction).

L’absence de monde du judaïsme

Une des figures les plus cachées du gigantesque et peut-être la plus ancienne est la tenace aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange, ce qui fonde l’absence de monde du judaïsme.[20]

Ceci est la 5ème des Réflexions VIII. Elle est – pour autant que je sache – la seule qui traite exclusivement du judaïsme.

Votre interprétation de celle-ci :

Dans la seconde moitié des années trente, vers 1937 environ, dans les Réflexions VIII, les Juifs et la judéité font pour la première fois leur entrée abrupte comme acteurs du récit onto-historique. (…) Une variante supplémentaire vise le calcul tout court.[21]

Ma réponse :

Je considère cette réflexion comme un passage clef de la pensée du judaïsme chez Martin Heidegger. Pour la comprendre, il faut au préalable clarifier le concept d’absence de monde. Qu’entend par là Heidegger ? Dans le cours du semestre d’hiver 1929/30 (Les concepts fondamentaux de la métaphysique), il fait la distinction entre les choses inertes, l’animal et l’homme. Sa thèse centrale est la suivante : la pierre (le matériel) est sans monde  ; 2. l’animal est pauvre en monde  ; 3. L’homme est configurateur de monde. Cela signifie-t-il que les Juifs pour lui ne sont pas des hommes ? En aucun cas ! Dans la pensée de l’histoire de l’être des années trente, „monde“ est pour Heidegger un membre du couple de contraires terre↔monde. Terre et monde sont en lutte l’un contre l’autre. Plus tard, au lieu de monde – reprenant encore la terminologie de Hölderlin – il dira ciel. (Le quadriparti : hommes↔dieux / ciel↔terre.) Nous nous rapprochons ainsi de ce qu’il faut entendre selon moi par „absence de monde“. Terre, le sol – un peuple qui n’a pas de sol à lui, en ce sens dénué de sol, rencontre des difficultés dans la lutte entre terre et monde. L’absence de monde est-elle à comprendre en ce sens ? Ou bien un passage du chef-d’œuvre de la pensée de l’histoire de l’être (Apports à la philosophie) pourrait-il nous donner l’indication déterminante ?

Le rythme dans lequel être-soi trouve l'ampleur de son battement, ce rythme prend mesure sur l'originalité dans laquelle est assumé l'être-propre ; il prend ainsi donc mesure sur la vérité de l'estre. Expulsés que nous sommes hors de cette vérité, titubant au cœur de l'abandonnement de l'être, nous ne savons que peu de choses à propos de la pleine essence du soi, et des chemins qui mènent jusqu'au savoir authentique. Bien trop obstinée est la primauté de la conscience du “je”, d'autant plus que cette conscience arbore de nombreux masques derrière lesquels elle peut se cacher. Les plus dangereux sont ceux où un “je” privé de monde se renonce apparemment lui-même pour se sacrifier à quelque autre chose plus “grande” que lui, et à quoi il renvoie désormais à titre d'élément, voire même d'acteur. Dissoudre le “je” dans la “vie”, entendue comme “peuple” – voilà un dépassement du “je” qui délaisse d'emblée la toute première condition de sa réussite, à savoir de méditer le sens d'être-soi, en considérant comment être-soi déploie sa pleine essence – ce qui ne peut se déterminer qu'à partir de l'appropriation, pour autant qu'elle s'en remet elle-même à ce qui l’approprie.[22]

Heidegger parle ici du délaissement de la méditation du sens d’être-soi et de l’essence propre (qui suis-je ? qui sommes-nous ?) et de la primauté de la conscience du „je“ (que suis-je ? que sommes-nous ?).

Si ces phrases en un sens valent pour les Allemands sous le national-socialisme entendu comme phénomène de masse (Les plus dangereux sont ceux où un „je” privé de monde se renonce apparemment lui-même pour se sacrifier à quelque autre chose plus „grande” que lui, et à quoi il renvoie désormais à titre d'élément, voire même d'acteur. Dissoudre le „je” dans la „vie”, entendue comme „peuple”, ...), alors ce passage des Apports est en un autre sens la clef pour comprendre l’usage que fait Heidegger du concept d’absence de monde à propos du judaïsme.

Mais je voudrais ici prendre un autre angle d’attaque : écoutons un long extrait d’une interview que la philosophe Hanna Arendt, amante et élève de Heidegger pendant ses études, a donnée à Günter Gaus. Elle fut diffusée le 28 octobre 1964 à la télévision allemande. Dans cet extrait, Arendt se met elle aussi à parler de l’absence de monde des Juifs :

Gaus : Je voudrais toujours à ce propos revenir une fois de plus sur un témoignage que avez donné vous même. Vous avez dit : „Je n’ai jamais aimé dans ma vie, quelque peuple ou collectivité que ce soit, qu’il s’agisse des Allemands, des Français ou des Américains, voire même de la classe ouvrière ou quelque autre que ce soit. En fait, je n’aime que mes amis et je suis absolument incapable de toute autre forme d’amour. Mais, compte tenu du fait que je suis juive, c’est avant tout cet amour des Juifs qui m’apparaîtrait suspect.“

Puis-je vous poser la question suivante : l’homme, en tant qu’il est un être ayant une action politique, n’a-t-il pas besoin d’un lien qui le rattache à un groupe, et d’un lien qui soit tel qu’il puisse être appelé, jusqu’à un certain point, amour ? Ne craignez-vous pas que votre attitude puisse être politiquement stérile ?

Arendt : Non. Je dirais même que c’est l’autre attitude qui est politiquement stérile. L’appartenance à un groupe est d’emblée une donnée de fait naturelle : vous appartenez toujours à un groupe quelconque de par votre naissance. Mais, appartenir à un groupe au second sens où vous l’entendez, à savoir, s’organiser, c’est tout autre chose. Cette organisation s’accomplit toujours au sein d’un rapport au monde. C’est-à-dire que ce qui est commun à ceux qui s’organisent ainsi, c’est ce qu’on appelle d’ordinaire des intérêts. Le rapport direct et personnel où l’on peut parler d’amour existe naturellement de la manière la plus intense dans l’amour effectif et également, en un certain sens, dans l’amitié. Là, la personne est abordée directement et indépendamment du rapport au monde. C’est ainsi que des individus appartenant aux organisations les plus différentes peuvent toujours entretenir des liens personnels d’amitié. Mais si l’on confond ces choses, autrement dit si l’on met l’amour sur le tapis, pour m’exprimer ici grossièrement, je considère que c’est désastreux.

Gaus : Vous pensez que c’est apolitique ?

Arendt : Je considère que c’est apolitique et acosmique (Weltlos) et je pense en fait que c’est là un grand malheur. Je concède néanmoins que le peuple juif est un exemple type de formation populaire acosmique (Weltlos) se maintenant depuis des millénaires.

Gaus : „Cosmos“, „Monde“, dans votre terminologie, signifient l’espace de la politique…

Arendt : Effectivement.

Gaus : Et par conséquent le peuple juif était un peuple apolitique ?

Arendt : je n’irais pas jusqu’à dire cela car les communautés étaient également politiques jusqu’à un certain point. La religion juive est une religion nationale. Mais le concept du politique ne valait cependant qu'avec de grandes restrictions. Cette perte du monde que le peuple juif a subie dans la dispersion et qui, comme chez tous les peuples parias, a engendré une chaleur très particulière parmi tous ses membres, c’est tout cela qui a été modifié au moment de la fondation de l’Etat d’Israël. 

Gaus : Est-ce que quelque chose a été perdu par là dont vous déplorez la perte ?

Arendt  : Oui, la liberté se paie cher. L’humanité juive spécifique, sous le signe de la perte du monde, était quelque chose de très beau. Vous êtes trop jeune pour avoir connu cela. C’était quelque chose de très beau que de pouvoir se tenir-en-dehors-de-toute-liaison-sociale, de même que cette absence totale de préjugé dont je fis l’expérience de façon très intense, précisément auprès de ma mère qui la pratiquait également vis-à-vis de la société juive. C’est tout cela qui a naturellement subi des préjudices extrêmement graves. On paie pour la libération. J’ai dit un jour dans mon „Discours sur Lessing“… 

Gaus : … à Hambourg en 1959 …

Arendt : C’est exact. J’ai donc dit : „Cette humanité ne survit pas au jour de la libération, ne survit pas cinq minutes à la liberté.“ Voyez-vous, c’est ce qui s’est également produit chez nous.

Plus tard dans l’interview elle dira :

Voyez-vous, l’attitude qui consiste à se borner à travailler et à consommer est très importante parce qu’elle dessine les contours d’un nouvel acosmisme (Weltlosigkeit) : savoir quel est le visage du monde n’importe plus à qui que ce soit.[23]

Arendt a ainsi donné une définition de l’absence de monde qui, appliquée à la réflexion heideggérienne mentionnée plus haut, la rend maintenant cohérente en elle-même et logique quant à notre sujet. – Absence de monde : „savoir quel est le visage du monde n’importe plus à qui que ce soit.“ Mais comment Arendt fonde et explique-t-elle cette absence de monde qu’elle attribue aux Juifs ? Selon elle la perte de monde du peuple juif s’explique par la Diaspora qui commença bien avec la première conquête par Babylone du royaume de Juda en 597 av. JC. L’„absence de sol“ (sol au sens de zone de peuplement) qui a conduit à l’absence de monde de la société juive, au „se tenir-en-dehors-de-toute-liaison-sociale“, s’avère pourtant avoir aussi des effets positifs : une absence totale de préjugé et une chaleur parmi les membres de la société. Les relations personnelles et humaines ont la priorité sur le politique. Avec la fondation de l’Etat d’Israël, ce peuple a retrouvé après deux mille ans son „sol“ avec toutes les conséquences positives et négatives que cela implique. (Remarque : permettez-moi à ce sujet une réflexion personnelle : je considère la critique européenne et surtout allemande envers Israël – sur la question de la Palestine par exemple – comme l’antisémitisme de la fin du XXe et du XXIe siècle commençant. Comme, depuis la Shoah, on ne peut plus se permettre de critiquer les Juifs en tant que Juifs, on critique l’Etat d’Israël avec la conviction inébranlable d’en avoir le droit moral.)

Je tente maintenant une nouvelle approche de la réflexion 5. Les Juifs de la Diaspora, à cause de la menace constante que fait peser l’éparpillement – sans espace de peuplement à soi et sans unité politique dotée d’un commandement fort – ont toujours dû s’attendre à être refoulés, déplacés, détruits et mélangés. Ils ont dû dans ces conditions développer une contre-stratégie efficace avec une compétence bien précise pour pouvoir espérer survivre ne serait-ce qu’en tant que peuple. Et cette compétence ne pouvait être que : la tenace aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange.

Le gigantesque et la tenace aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange :

Cependant Heidegger dans cette 5ème réflexion ne fonde pas l’absence de monde du judaïsme sur la Diaspora, la dispersion dans laquelle le peuple juif a dû vivre pendant des siècles, mais sur la tenace aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange en tant que figure du gigantesque. Comment en vient-il à cette conclusion ?

Prenons pour nous aider la 4ème réflexion. C’est la première où Heidegger – même si ce n’est que brièvement à la fin de la réflexion – parle du judaïsme. Il parle de l’homme occidental, de l’homme d’aujourd’hui, qui se connaît comme sujet. Il y parle aussi du gigantesque. Et il attribue au judaïsme la plus grande absence de sol :

Ce qui arrive maintenant, c’est la fin de l’histoire historiale du grand commencement de l’homme occidental, commencement dans lequel l’homme fut appelé à la prise en garde de l’estre, pour aussitôt convertir cette vocation en exigence de re-présentation de l’étant dans l’inessence qu’est la fabrication.

La fin de ce premier commencement n’est cependant pas un arrêt, mais une manière propre de débuter ; manière qui pourtant lui reste dérobée en sa vérité parce qu’il lui faut tout organiser de telle sorte que tout soit uniquement superficiel ; car l’homme d’aujourd’hui ne peut plus s’affirmer tel qu’il se connaît (comme sujet) que par l’aménagement de la surface et en dansant sur cette surface. Mais s’il a besoin de s’affirmer, c’est parce qu’il a depuis longtemps abandonné le risque de l’estre et s’est reposé sur l’élevage et le calcul à partir de l’étant-là-devant. C’est pourquoi le savoir de ce qui arrive maintenant comme fin est refusé d’abord et pour toujours à ceux qui sont destinés à entamer cette fin dans ses formes les plus finies (c’est-à-dire celles du gigantesque) et, sous le masque de l’historique, faire passer ce qui est sans histoire pour „l’“ histoire vraie. De là il n’y a pas de passage vers l’autre commencement. Le passage doit reconnaître ce qui est sans histoire comme étant l’écume grise la plus affleurante d’une histoire historiale oubliée, pour qu’il sauve les hommes grâce à un saut qui devance en questionnant dans l’histoire vraie. Dans le sans-histoire ne parvient que ce qui en soi fait partie d’elle, et au mieux en l’unité qu’est le complet mélange ; paraître édifier et rénover, complètement détruire – les deux sont la même chose – privés de sol – dévalés auprès de ce qui n’est qu’étant, devenus étrangers à l’estre ; construire et rénover en apparence et détruire complètement – c’est la même chose – ce qui est privé de sol – dévalé dans le seulement étant et étranger à l’estre. Sitôt que ce qui est sans histoire s’est „imposé“, débute la licence de l’„historicisme“ – ; ce qui est dénué de sol sous les traits les plus divers et les plus opposés – sans se reconnaître de pareille inessence – sombre dans l’hostilité et la soif de destruction extrêmes.

Et peut-être que „vainc“ dans ce „combat“ pour la pure et simple absence de but, et qui ne peut donc être qu’une caricature de „combat“, une plus grande absence de sol, celle qui n’est liée à rien, qui met tout à son service (le judaïsme). Mais la victoire authentique, la victoire de l’histoire historiale sur ce qui est sans histoire, n’est remportée que là où ce qui est dénué de sol s’exclut lui-même parce qu’il ne prend pas le risque de l’estre, mais ne compte toujours que sur l’étant et pose ses calculs comme ce qui est effectivement réel.[24]

Ce qui est sans histoire et n’a pas de sol apparaît sous les traits les plus divers et les plus contraires. Sous ces traits il n’est – plus ou moins – lié à rien et met – plus ou moins – tout à son service. Il est étranger à l’estre et dévalé dans l’étant. Et les nombreuses formes d’absence de sol sombrent dans la soif de destruction et l’hostilité extrêmes. Elles se lancent dans un combat les unes contre les autres dont l’enjeu est la pure et simple absence de but. Comme personne ne poursuit de but, ce combat ne peut être qu’une caricature de „combat authentique“. Il se peut, pense Heidegger, que le judaïsme sorte „vainqueur“ de ce combat pour rien, en raison de sa plus grande absence de sol. Mais cela n’est pas une victoire authentique sur soi-même. Car ce qui est dénué de sol ne compte toujours que sur l’étant, c’est-à-dire sur ce qu’il peut calculer. Seul le calculable compte pour lui comme effectivement réel – est pour lui la réalité.

Mais ici l’absence de sol n’est pas du tout vue comme le manque d’un Etat à soi et d’un espace de peuplement. Assurément pas ! Ce manque peut, associé à d’autres conditions, constituer cependant le „sol“ pour un accroissement de l’absence de sol qui est bien un phénomène humain général (Arendt : „se tenir-en-dehors-de-toute-liaison-sociale“). Ce qui est dénué de sol est ce qui a dévalé dans le seulement étant. Il peut se manifester par le fait d’édifier et rénover en apparence ou au contraire dans la plus grande destruction. Pour autant la forme de la destruction complète peut très bien ne pas être la plus grande absence de sol (l’absence de tout lien). On peut construire et rénover en apparence sur la base d’une plus grande absence de sol. En outre, le fait de construire et rénover en apparence peut signifier détruire complètement. – Et cela dans tous les domaines : architecture (rénover un temple d’après les dernières découvertes scientifiques et ainsi, sans le vouloir, détruire ce qui fait sa nature fondamentale), aménagement du territoire (destruction du bon voisinage par la construction de lotissements), agriculture (destruction de la paysannerie par l’agriculture moderne), art (baroquisation de cathédrales gothiques), nature (destruction des espaces de haute montagne par la construction de domaines skiables fermés, avec tout ce qu’il faut pour les touristes), environnement (destruction de la forêt vierge par le déboisement et la construction de surfaces agraires). Quelles sont les qualités requises par cette vaste entreprise de rénovation et construction ? L’aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange. Soyons honnêtes : sans cette aptitude, plus rien ne fonctionne dans notre société moderne. Et tout fonctionne au mieux quand nous (les "sujets”) n’avons pas d’égards pour une entièreté supérieure et n’y avons pas d’attaches, quand nous ne nous identifions à rien d’autre qu’à nos “projets” personnels, qui ont notre intérêt exclusif. Et dans ce repli sur soi et cette indépendance il s’agit de surpasser tous les autres – toujours plus – plus rapide – plus efficace – plus grand – sans limite – poussé jusqu’au gigantesque. Je pense que c’est à ce type de gigantesque que pense Heidegger quand il écrit qu’„une des figures les plus cachées du gigantesque et peut-être la plus ancienne est la tenace aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange (…)“.

C’est ainsi que j’interprète ces deux passages du tome 95 de l’Edition intégrale des œuvres de Heidegger dont vous avez la responsabilité en tant qu’éditeur. Le tome 95 fait plus de 400 pages. J’ai cité les deux passages où Heidegger parle des Juifs et du judaïsme dans leur intégralité (flexions VIII, n° 4 et 5).

Absence de sol des Juifs ? contre enracinement des Allemands ?

Je vous cite :

D’une manière générale, il semble qu’on puisse transférer sur la „juiverie mondiale“ le contraire de tout ce que Heidegger cherchait à sauver – l’„attachement au sol“, la „patrie“, le „propre, la „terre“, les „dieux“, la „poésie“, etc. (…) Si certains des éléments du récit de l’histoire de l’être devaient jouer apriori un rôle déterminant, si par exemple rien d’autre n’incombait à l’„américanisme“ que „l’aménagement de l’inessence de la machination“, si donc „tout ce qui fait horreur“ reposait „dans l’américanisme“, justement parce que l’„américanisme“ est absolument incapable de tout „commencement“, parce qu’il ne connaît pas „l’origine“, parce qu’il est une branche de l’Angleterre affairiste, alors l’histoire de l’être n’est pas elle-même antisémite ?![25]

„Enraciné“ (Bodenständig) apparaît 3 fois dans les Réflexions VII-XI, 2 fois dans les Réflexions XII-XV – jamais en rapport avec les Allemands, mais 1 fois dans les Réflexions XII-XV en rapport explicite avec l’esprit russe. Et Heidegger y oppose directement l’esprit russe à celui des Américains et des Anglais. Je cite à nouveau la réflexion dans son intégralité. – On n’a pas l’impression en lisant ces lignes qu’elles ont été écrites dans les années trente, on se sent projeté dans le présent. Ces lignes ne reflètent-elles pas avec une fidélité étonnante la critique dominante depuis le „11 septembre“ dans l’opinion publique européenne, et surtout allemande, portant sur la politique et le mode de vie américain ?

L’américanisme est la manifestation historiquement constatable du dépérissement inconditionné des Temps nouveaux dans la désolation. L’esprit russe, avec sa brutalité et sa raideur évidentes, possède en même temps dans sa terre une richesse de sources et de racines qui la prédestine à montrer un jour une certaine évidence mondiale. L’américanisme au contraire se caractérise par une hâte de tout rafler et ramasser d’un coup, ramassement qui revient aussi toujours à déraciner ce qui a été raflé. Le rafflé aussitôt élevé au statut historial de simplement fabricable et devenant par là-même inconditionnel, tout se transforme bien en chose sur laquelle on a prise, mais qui se voit du même coup privée de son origine. L’esprit russe ne tombe pas jusqu’au fond de cette zone métaphysique qu’est la désolation ; car il a en lui, indépendamment du „socialisme“, un pouvoir de commencer qui fait par avance défaut à tout américanisme. L’esprit russe, malgré tout, est trop enraciné et trop hostile à la raison pour être en mesure de prendre en charge la désolation en tant que destinée historiale. Assumer l’oubli de l’être, l’organiser comme tel, trouver la tenue qui l’endure, cela demande une rationalité achevée au dernier degré et calculant tout – ce qu’on peut, à la rigueur, appeler „spiritualité“. Seul cet „esprit“ est à la hauteur de la tâche historiale qu’impose la désolation. Ceux qui ont joué, au sein de cette désolation, le rôle de la servir, c’est ce „peuple de seigneurs“ que sont les Anglais. La nullité métaphysique de leur histoire historiale apparaît maintenant au grand jour. Ils ne cherchent qu’à sauver cette nullité ; tel est leur seul apport à la désolation.[26]

Heidegger attribue donc un fort enracinement à l’esprit russe (pas au système politique bolchevique !). Je n’ai trouvé aucun passage qui opposerait un enracinement de la germanité à l’absence de sol de la judéité. – il semble que ce soit vous qui inventiez cette opposition ! (j’espère ne pas me tromper ; sinon je vous fait mes excuses !) Mais Heidegger parle dans la Réflexion 4 de ce qui est dénué de sol sous les traits les plus variés et les plus contraires.

Revenons de la 4ème des Réflexions VIII à la 38ème des Réflexions XII (en fait rédigée plus tard), et lisons le passage de votre livre qui la concerne :

La „juiverie mondiale“ doit lui être apparue comme le groupement d’un peuple qui lui-même dans une concentration extrême ne poursuit pas d’autre but que la dissolution des autres peuples ; une „race“ qui œuvre consciemment à la „déracialisation des peuples“.[27]

Si le combat de ce qui est dénué de sol a pour enjeu, sous les traits les plus divers et les plus contraires, la pure et simple absence de but, pourquoi supposez-vous alors que le judaïsme mondialisé aurait eu pour but aux yeux de Heidegger de dissoudre les autres peuples ? Son but aurait été l’extermination délibérée de toutes les autres races ? Ne confondez-vous pas ici les Juifs avec les Nationaux-socialistes ? Ce sont pourtant bien ces derniers qui ont explicitement mis en place une politique d’extermination raciale. Les Juifs au contraire – comme le souligne Heidegger – se sont opposés avec la dernière véhémence à l’application illimitée du principe racial c’est-à-dire au racisme.

Etre et avoir

Je pense que nous devrions considérer comme un tout la 24ème des Réflexions XII dont vous avez extrait la dernière partie, celle qui se rapporte au judaïsme ainsi que de façon explicite à son maître Husserl. Sans cela en effet nous courons le danger de passer à côté de la pensée de Heidegger. Vous associez – dans votre tentative d’aller au cœur dans cette pensée – judaïsme et argent. A mon avis, avec cette interprétation, ce n’est pas dans la pensée de Heidegger que vous atterrissez.

L’histoire vraie de l’homme occidental – qu’il séjourne en Europe ou ailleurs est indifférent – s’est lentement avancée jusqu’à occuper une situation où tous les domaines jadis familiers comme „pays natal“, „culture“, „peuple“, mais aussi „État“ et „Église“, et encore „société“ et „communauté“ ne se prêtent plus à être des refuges, vu qu’ils sont eux-mêmes rabaissés au rang de simples cache-misères, sacrifiés à la moindre avancée provoquée par des forces méconnaissables qui ne trahissent leur jeu qu’en ce qu’elles contraignent les gens à s’habituer à une massification toujours plus envahissante, leur „bonheur“ se réduisant à se passer de toute décision et à s’anesthésier grâce à la croyance qu’ils ont toujours davantage de choses en leur possession et en leur jouissance, alors que ce qu’il vaut la peine de posséder devient moindre en quantité tout en perdant sans cesse davantage en teneur. La seule angoisse, nécessairement inauthentique de surcroît, qu’une telle situation autorise encore, c’est la peur que cette manière de vivre puisse soudainement prendre fin avec de nouvelles guerres et qu’on perde tout ; en effet, là où tout se resserre sur ce qui est là-devant considéré comme possession et domination de l’étant, le malheur se réduit à n’être plus que cette situation dans laquelle et par laquelle tout ce qui est là-devant est nécessairement sujet à disparaître. 

Où pourrait encore naître une once de cette angoisse qui reconnaît que c’est justement la suprématie de l’étant là-devant et le confort de l’absence de décisions, cette poussée à la fois insaisissable et tentaculaire de la prédisposition à cet état, qui est à elle seule non seulement déjà destruction, mais la désolation même, dont le règne à coup de catastrophes guerrières et de guerres catastrophiques ne peut plus être contesté mais seulement attesté. Savoir si, laissée à elle-même, la nature grégaire de l’homme pousse, par la communautarisation, ce dernier à la perfection de son animalité, ou bien si des meutes de tyrans parviendront à lancer des masses maximalement organisées et “prêtes pour l’engagement” vers l’objectif de la totale absence de décision ; savoir donc si une „hiérarchie“, au sein de „l’animal enfin définitivement fixé”[28], peut ou non être encore produite par sélection à devenir “surhomme”, cela ne change rien d’essentiel au caractère métaphysique de l’étant en entier. Avec l’audace la plus froide et en se défendant contre tout afflux d’évaluations „morales“ et d’humeur „pessimiste“, le regard pensant doit avoir l’accomplissement de l’historialité métaphysique de l’étant devant et autour de lui, afin que l’air propice aux décisions initiales, cet air pur et clair souffle et enveloppe le questionnement de la méditation. 

Il faut savoir que la désolation est déjà nettement plus avancée au sein des secteurs de la „culture“ et de „l’industrie culturelle“ que dans le champ de la satisfaction élémentaire des besoins vitaux. Corrélativement s’est développée ici - chez les gardiens impuissants de l’héritage spirituel - une plus haute habileté à renoncer la méditation essentielle. Attirent et s’intensifient dans cette corrélation d’un côté la destitution de tous les domaines d’enracinement au profit de l’arrivée au pouvoir de la fabrication généralisée, et du côté opposé le renoncement de l’humanité de masse à toute prétention à décider et à étalonner. L’élargissement continu de cette corrélation engendre un vide invisible dont la manière d’être en retrait ne peut pas être conçu à partir de la position métaphysique fondamentale encore dominante, d’autant que celle-ci se donne du prestige sous l’apparence de son contraire : comme intégration inconditionnelle de l’homme à la fabrication de l’étant en entier - et ce souvent encore sous couvert de formes historiales de domination auxquelles tout sol a déjà été retiré - par exemple le militarisme actuel pense pouvoir encore se réclamer de „l’esprit prussien“ ; or sa nature s’est modifiée et il est même déjà quelque chose d’autre que le soldat des ultimes années de la première guerre mondiale - outre que de ce domaine d’action humaine, bien que dans sa dureté intrinsèque il mette face à la mort, des décisions historiales vraiment créatives ne peuvent jamais provenir - mais seulement des formes d’élevage qui ne sont jamais conçues qu’à titre de moyens ; vouloir extrapoler celles-ci jusqu’à la „totalité” revient à faire montre d’une ignorance crasse quant à ce qu’il en est de la pleine essence de l’estre, et de la façon dont il se situe au-delà de toute puissance ou impuissance. 

Pour la même raison cependant le „pacifisme“ tout comme le „libéralisme“ sont incapables de pénétrer le domaine des décisions essentielles, parce qu’il ne va jamais plus loin que contrer l’esprit guerrier, qu’il soit authentique ou inauthentique. Quant à la temporaire montée en puissance du judaïsme, elle trouve sa raison en ceci que la métaphysique occidentale, surtout lors de son déploiement dans les Temps nouveaux, a été, pour une rationalité et capacité de calcul par ailleurs vide, l’occasion de se propager, et de se procurer par cette voie un abri dans l’„esprit“ sans jamais pouvoir de soi-même s’emparer des secteurs de décision situés en retrait. Plus les décisions et les questions d’avenir se font originelles et initiales et plus inaccessibles elles demeurent à cette „race“. (Ainsi le pas accompli par Husserl en direction de la méthode phénoménologique, en destituant l’explication psychologique et la computation historienne des opinions, reste d’une grande importance - et pourtant il n’arrive nulle part jusqu’aux domaines des décisions essentielles, mais présuppose plutôt partout la tradition historienne de la philosophie. La conséquence nécessaire s’en montre aussitôt dans le ralliement à la philosophie transcendantale néo-kantienne, ce qui rend finalement inévitable le passage à l’hégélianisme au sens formel. Mon „attaque“ contre Husserl n’est pas dirigée seulement contre lui ; elles est du reste inessentielle – l’attaque porte sur le fait de négliger et de manquer la question de l’être, c’est-à-dire sur l’essence de la métaphysique en tant que telle, sur le fond de laquelle la fabrication de l’étant est en capacité de déterminer l’histoire vraie. L’attaque donne son fondement à un instant historial, celui de la plus haute décision entre le primat de l’étant et la fondation de la vérité de l’être).[29]

Ma réflexion sur la 24ème Réflexion :

La thèse de fond de cette réflexion est la suivante : où que nous regardions, partout se propage un déracinement de l’homme marqué par la métaphysique occidentale. Nous pouvons parler d’une dé-spiritualisation croissante - au sens de la disparition complète d’une spiritualité authentique. A la place, la moderne science mathématique de la nature s’impose et occupe de facto l’espace jadis pris par l’esprit c’est-à-dire la spiritualité. La méditation est remplacée par la computation toujours plus exacte. En pensant du point de vue de l’historialité de l’être, Heidegger localise le début de ce déracinement dans Platon et sa théorie des idées. L’être (wesen = être [verbe]) - au sens d’un événement temporel - originellement informe des choses, devint chez Platon “idée” et ainsi l’„essence“ (Wesen = étant [substantif]) - prise dans une forme. Si l’être des choses était auparavant invisible, les essences des choses (les idées) informées sont désormais visibles comme quelque chose d’étant. Elles n’étaient toutefois pas visibles sans médiation, puisqu’elles se trouvaient dans un monde transcendant et donc invisible pour notre vision commune. La métamorphose de l’être sans-forme en „essences“ informées conduisit aussi à ce que le „divin“ devint un „Dieu“ duquel - dans un renversement des relations originelles - émanait désormais le „divin“. Le „divin“ ne fut plus l’origine des „dieux“ mais „Dieu“ devint l’origine du „divin“. Auparavant les „dieux“ sous toutes leurs formes relevaient du destin sans-forme. (Le destin règne sur les „dieux“ et les hommes [destin = estre].) Un autre événement déclencheur de ce retournement fut : le monothéisme de la foi judéo-chrétienne. Le „Dieu-unique“ ne relevait plus des „puissances“ du destin [de l’estre] mais devint lui-même le Tout-puissant. Il était désormais l’origine de toute puissance, celui dont toute puissance émanait. Le „divin“ et le „saint“, je puis les ressentir en moi, un „Saint“, même s’il ne se comporte pas comme tel, je puis le voir, un „Dieu“, je peux me le représenter, c’est-à-dire le voir en esprit, m’en faire une image. La vision eut la priorité sur le sentiment. - Ce fut le premier saut : quitter l’origine, quitter le sans-forme c’est-à-dire l’estre invisible ou non représentable pour se focaliser sur l’étant informé et donc visible ou représentable. Le second saut eut lieu lors du passage aux Temps nouveaux, avec la mathématisation du monde : seul ce qui est mathématiquement pré-visible a une réalité effective. Tout le reste en vérité n’existe pas. S’il y avait auparavant des „dieux“ et des „démons“ dans un monde suprasensible, ils disparurent, n’étant ni prévisibles, ni calculables. Avec eux s’évanouit le monde suprasensible tout entier. Mais disparurent aussi de nos têtes et de nos coeurs le „démonique“, le „divin“ et le „saint“ en eux-mêmes. Rien n’est plus „saint“ pour l’homme moderne. Seul compte et a de la réalité ce qui peut être prouvé scientifiquement. La métaphysique nivelle tout, par quoi ou afin que cela devienne nombrable c’est-à-dire cernable quantitativement. Tout reçoit une uniformité vide, indifférenciée - comme les nombres qui sont bien tous qualitativement semblables. L’homme est assimilé à l’animal (animal rationale), l’animal est traité comme une chose. Les différences sont effacées. Il n’est plus question de qualité mais seulement de quantité. Le premier saut, accompli par Platon avec sa théorie des idées, s’est fait de l’être vers l’avoir. Car nous „avons“ des idées. L’être tombe dans l’oubli. Le second saut, la mathématisation du monde, conduisit à quitter la qualité avec toutes ses propriétés différenciées vers la quantité homogène dans laquelle la seule différence restante est celle du volume et de la grandeur. Il n’est plus question de l’être, avoir est la seule chose qui compte désormais. La question n’est plus de savoir „qui suis-je ?“ et „qui sommes-nous ?“ mais „qu’est-ce qui m’appartient“, “que pouvons-nous avoir” ? Il s’agit de prendre possession. Posséder, jouir de la possession de - et l’accroître, encore et encore - jusqu’au gigantesque ! La possession n’est pas nécessairement matérielle. Elle peut tout aussi bien concerner des „biens spirituels“. On peut dans son domaine „avoir“ le plus grand savoir sans jamais „être“ savant. Mais qu’en est-il des puissances et de celui qui les possède ? „Être puissant“ étant à l’origine une caractéristique du destin (estre), à savoir ce qui était inessentiel ; il passa ensuite au „Dieu unique“ qui devint le „Tout-puissant“. Avec la disparition du „Dieu unique“, toute puissance est désormais débridée et libre - prête à être attrapée pour une courte période par n’importe qui et fixée à n’importe quoi.

Voilà en abrégé l’évolution de la métaphysique depuis son début chez Platon jusqu’à sa fin chez Nietzsche. Nous continuons dans cette fin et cela pour longtemps.

Fabrication, puissance et prise de possession sont déchaînées parce que notre époque - la fin de la métaphysique c’est-à-dire notre conception moderne du monde physico-mathématique - n’autorise plus à proprement parler de lien au „pays natal“, à „culture“, „peuple“, ni à „Etat“, „Eglise“, „société“ et „communauté“. Si les puissants s’en réclament hypocritement, se gargarisent de pays natal, culture, peuple, communauté etc., ce n’est que prétexte pour assurer et accroître leur puissance, vu que les puissants ne sont en fait plus reliés à rien et ne croient plus en rien. « Savoir si, laissée à elle-même, la nature grégaire de l’homme pousse, par la communautarisation, ce dernier à la perfection de son animalité (libéralisme, américanisme), ou bien si des meutes de tyrans parviendront à lancer des masses maximalement organisées et “prêtes pour l’engagement” vers l’objectif de la totale absence de décision (national-socialisme, bolchevisme) ; savoir donc si une „hiérarchie“, au sein de l’animal enfin définitivement fixé”, peut ou non être encore produite par sélection à devenir surhomme”, cela ne change rien d’essentiel au caractère métaphysique de l’étant en entier. » Car nous sommes tous prisonniers de notre vision moderne et mathématique du monde à la fin de l’ère métaphysique. Nous sommes une humanité de masse sans racines.

Les industriels de la culture qui ont la garde de l’héritage spirituel - dans leur effort pour correspondre à la conception physico-mathématique du monde en vigueur et à la modernité - rechignent en particulier à se livrer à une méditation essentielle. Une décision historiale créatrice ne peut pas plus venir du militarisme - seulement un dressage (de soi et des autres). Et le fait de vouloir étendre le dressage au „total“ montre seulement qu’on ne sait rien de l’ „être en propre“ de l’estre, parce que puissance et impuissance sont l’inessentiel de l’estre et n’ont rien à voir avec l’„être en propre“ de l’estre. C’est pour les mêmes raison que le „pacifisme“ et le „libéralisme“ ne peuvent pas non plus pénétrer le secteur des décisions essentielles, parce qu’ils ne font que contrer le jeu de la guerre. La culture juive n’a pu s’appuyer deux millénaires durant sur aucun Etat. Les Juifs ont dû sans cesse compter avec les persécutions et les expulsions. Ils ont été contraints à cause de leur statut particulier d’apatrides (absence de sol) de se protéger par des moyens autres que ceux de leurs voisins qui pouvaient recourir au militarisme. L’appropriation de la conception moderne du monde physico-mathématique, où rationalité et computation jouent le rôle principal, était un moyen tout indiqué. Mais cette vision du monde astreinte au progrès est très éloignée de l’origine. Elle offre la sécurité exclusivement par l’avoir et empêche la méditation de ce qui a trait à l’essentiel. Toutes les tentatives de se procurer „un abri dans l’„esprit““ en prenant le chemin de la conception moderne du monde physico-mathématique sont vouées à l’échec (ainsi par exemple des efforts déployés par Husserl). L’attaque de Heidegger ne vaut pas que pour la physique moderne mais pour la métaphysique en général. Il est dans l’essence de la métaphysique depuis Platon et sa théorie des idées de se focaliser sur l’étant et sur le fait de posséder et d’avoir, et ainsi d’oublier l’être et „ce qui a trait à l’essentiel“. Comme l’explique Heidegger : „Mon „attaque“ (…) porte sur le fait de négliger et de manquer la question de l’être, c’est-à-dire sur l’essence de la métaphysique en tant que telle sur le fond de laquelle la fabrication de l’étant est en capacité de déterminer l’histoire vraie.“ Car l’homme ne peut jamais détenir ce qui a trait à l’essentiel, il ne peut qu’être essentiel. Voilà la décision-en-propre dont il s’agit toujours chez Heidegger, la décision entre être et avoir.

Heidegger à l’écoute des discours d’Hitler et la soi-disante concurrence entre Juifs et Nationaux-socialistes :

Même l’idée d'une entente avec l'Angleterre au sens d'un partage des „prérogatives“ des impérialismes manque l’essentiel du processus historial dont l’Angleterre, au sein de l’américanisme et du bolchevisme, c'est-à-dire également du judaïsme mondial, joue maintenant le dernier acte. La question du rôle du judaïsme international n'est pas raciale, c'est la question métaphysique du type d'humanité qui de façon absolument libre de toute attache peut assumer comme „tâche“ dans l’historialité mondiale le déracinement de tout étant hors de l’être.[30]

Cette citation est tirée de la dernière des Réflexions XIV. En commentaire vous écrivez entre autre :

Heidegger avait une oreille pour les discours d’Hitler. […] La „machination“ peut réaliser „la déracialisation complète des peuples“ parce que les Juifs aspirent „de façon absolument libre de toute attache au déracinement de tout étant hors de l’être“.[31]

Et votre remarque 31 sur la même page :

Qu’est-ce que, ou qui est „l’Angleterre“ ? (…) Sans que cela n’épuise le contenu de ces énoncés sur l’Angleterre, l’affirmation que la destruction de l’Allemagne serait, pour l’Angleterre, une „gigantesque affaire“, traduit sans doute dans ce contexte, une tendance antisémite.[32]

En écrivant que „Heidegger avait une oreille pour les discours d’Hitler“, vous voulez dire que cette réflexion de Heidegger se réfère probablement à un discours d’Hitler. Mais vous ne dites pas lequel précisément. Ce discours, Hitler l’a tenu le 22 juin 1941. La troisième des Réflexions XIV (en partant de la fin) y fait explicitement référence. Je suppose que les deux réflexions suivantes font aussi référence à ce discours de Hitler et que nous devons donc les lire ensemble.

Je cite en entier les trois dernières des Réflexions XIV :

Le déclenchement de la guerre contre le bolchevisme a enfin soulagé beaucoup d’Allemands inquiets d’un supposé rapprochement trop étroit avec la Russie. Seules des époques plus tardives pourront apprécier à sa valeur le „document“ qui a été présenté à l’opinion publique mondiale le matin du 22 juin 1941. La première phrase déjà offre un aperçu des moments qui ont précédé immédiatement le déclenchement de la guerre : „Empli d’inquiétude, condamné au silence pendant des mois, l’heure est aujourd'hui venue où je peux parler ouvertement.“

En même temps éclate au grand jour la „duplicité“ de la politique bolchevique. Le Juif Litwinow réapparaît. Pour son 60e anniversaire, le rédacteur en chef du journal moscovite „Iswestija“, le communiste notoire Radek, a écrit la phrase suivante : „Litwinow a prouvé qu’il sait de manière bolchevique, ne serait-ce que temporairement, chercher des alliés là où ils sont effectivement“.

Pourquoi reconnaissons-nous aussi tard que l'Angleterre est et ne peut être que sans tenir à l’occident ? Parce que ce n’est que dans l'avenir que nous comprendrons que l'Angleterre a commencé à installer et organiser le monde des Temps nouveaux, mais que les Temps nouveaux, conformément à leur manière d’être, s’orientent en direction du déchaînement de la fabrication dans le globe terrestre tout entier. Même l’idée d'une entente avec l'Angleterre au sens d'un partage des „prérogatives“ des impérialismes manque la pleine essence du processus historial dont l’Angleterre, au sein de l’américanisme et du bolchevisme, c'est-à-dire également du judaisme mondial, joue maintenant le dernier acte. La question du rôle du judaïsme mondial n'est pas raciale, c'est la question métaphysique qui s’enquiert du type d'humanité qui de façon absolument libre de toute attache peut assumer dans l’histoire vraie du monde la „tâche“ du déracinement de tout étant hors de l’être.

Interpréter ce passage demande selon moi de remplir deux tâches. Premièrement interpréter les réflexions précédentes par rapport à leur contenu philosophique. Deuxièmement interpréter d’un point de vue psychologique les 3 réflexions en rapport avec le discours de Hitler à l’occasion de l’entrée en guerre contre l’Union soviétique. Je suis bien conscient que les interprétations psychologiques n’avancent toujours que des conjectures, passent la plupart du temps à côté du problème et sont égarantes. Pourtant, du fait de plusieurs décennies d’expérience professionnelle dans ce domaine, j’aime à croire que mes interprétations vont parfois au fond des choses.

Premier point (en rapport au contenu philosophique) :

Heidegger commence la réflexion avec la thèse : l’Angleterre n’adopte pas une attitude „occidentale“ - autrement dit elle est focalisée sur le lever de soleil et ne prête pas attention à la pleine essence du Ponant, c’est-à-dire du mouvement où le soleil descend et disparaît, qui selon la pensée historiale de Heidegger rend seul possible le lever. Une interprétation possible : l’attention de l’Angleterre ne se porte pas sur tout ce qu’elle peut laisser se perdre, afin que lui reste ce qui lui est essentiel ; son attention se porte donc sur ce dont elle a besoin, sur un toujours-plus, encore-et-encore, sur le „soumettez-vous le monde“ - au sens du colonialisme aussi bien - et ce de manière déchaînée. Mais impérialisme et colonialisme ne sont qu’une conséquence qui mène à terme l’attitude anglaise fondamentale. Le rôle de l’Angleterre dans l’historialité mondiale est fondateur : c’est celui de pionnier des Temps nouveaux, de la conquête comptable et de la pénétration du globe tout entier. Si le rôle de la Grèce fut de maîtriser philosophiquement l’émergence de l’étant, celui de l’Angleterre fut d’être la première à se lancer dans la pénétration mathématique de l’étant grand ouvert. C’est parce qu’elle assuma la tâche qui lui avait été confiée qu’elle a pu grandir et se propager sans jamais avoir le Couchant philosophiquement en vue. Mais son rôle touche désormais à sa fin, elle perd sa prétention à guider. L’Angleterre a rempli sa tâche de précurseur des Temps nouveaux, et donc aussi son rôle impérialiste de conquérante et maîtresse du monde. La graine de la pénétration mathématique de tout étant, de la conquête comptable du monde et donc aussi le toujours-encore-et-encore a particulièrement bien germé dans l’américanisme et le bolchevisme. On manque l’essentiel de l’impérialisme moderne et le rôle qu’y joue l’Angleterre quand on essaie de distinguer un bon impérialisme, à savoir anglais et américain, d’un mauvais, c’est-à-dire bolchevique.

Dans la mise en relation entre Angleterre et judaïsme mondial, qu’effectue Heidegger, il s’agit également du rôle de l’Angleterre comme précurseur de la pénétration mathématico-comptable généralisée de l’étant, qui a encore pour conséquence nécessaire un déchaînement de la fabrication sur le globe entier. Tout comme la philosophie anglaise et la conception physico-mathématique du monde se réalise dans l’américanisme et le bolchevisme, le judaïsme mondial s’impose également (remarque : par opposition au judaïsme religieux). Heidegger attribue certes liberté d’attaches et déracinement au judaïsme mondial sur la base de son absence de sol et de monde, et aussi la tenace aptitude pour le calcul, le trafic et le mélange. Cependant toutes ces attributions ne sont pas vraies seulement pour le judaïsme mondial ; elles sont en vérité une description de l’homme des Temps nouveaux tel qu’il est en et pour soi. Il ne s’agit pas de qualités spécifiques réservées aux Juifs. C’est la question des singularités possibles de l’homme en et pour soi quand il se trouve dans une certaine situation historiale du monde. La question vise l’homme qui ne se sent plus lié à rien, à aucune religion, à aucun Etat, à aucun peuple, à aucune communauté. Il a perdu ses racines en l’être, il n’est plus touché par aucune entièreté supérieure. Etre ne lui importe plus, seulement avoir. Ainsi se termine cette dernière réflexion, avec la question : qu’en est-il de l’homme qui du fait de sa position dans l’historialité mondiale a la possibilité d’assumer, absolument libre d’attaches, le déracinement de tout l’étant hors de l’être ?

Deuxième point (en relation au discours d’Hitler à l’occasion de l’entrée en guerre contre l’Union soviétique d’un point de vue psychologique) :

Le point décisif est : comment doit-on comprendre la première des trois réflexions ? Le discours en question justifie l’assaut allemand contre l’Union soviétique malgré l’existence d’un pacte de non-aggression. Je comprends la réflexion comme suit : Heidegger pensait qu’Hitler, malgré toutes ses dénégations avait depuis longtemps projeté une guerre contre l’Union soviétique - la première phrase du discours trahissant plus ou moins volontairement ses intentions belliqueuses et leur dissimulation délibérée. Heidegger accusait ainsi Hitler de mensonge. - Une entreprise très risquée, même si, dans cette réflexion, il formule son attaque contre Hitler de façon plus ou moins cryptée. Par la suite, il prend peur, et dans les deux réflexions suivantes il se réfère encore une fois au discours de Hitler qui déborde d’attaques diffamatoires contre Bolcheviques, Anglais, Américains et Juifs. Heidegger dans l’avant-dernière réflexion relève la duplicité de la politique bolchevique. Elle était pour lui bel et bien hypocrite, tout autant que la politique hitlérienne. Pour continuer à cacher sa critique d’Hitler, cryptée mais tout de même peut-être trop ostensible, il ajoute aussitôt un „méchant“ Juif. Ensuite, dans la dernière réflexion, Heidegger cible les quatre peuples ou Etats diffamés par Hitler pour voiler encore davantage son jugement sur celui-ci. - Mais il ne s’agit que d’une explication psychologique et donc de rien d’autre - comme toute explication psychologique – que d’une conjecture.

La physique mathématique - les Grecs - les Juifs :

De quelque façon qu’on réponde à cette question, il est aberrant de rapporter l’„aptitude pour le calcul“ seulement à la philosophie des Temps modernes. (…) Le Juif apparaît comme sujet dominé par la „machination“, calculateur et sans monde, qui par la computation est sensé s’être „procuré un abri dans l’„esprit“.  (…) En ce sens c’est alors très précisément cet „abri“ dont on peut affirmer qu’il représente la cible de „l’attaque“ de Heidegger. Ce que sait aussi Heidegger quand il écrit : „L’idée du savoir mathématique au début des Temps modernes – elle-même comme antique en son fondement.“ (…) On peut d’autant plus se demander pourquoi il n’a pas fixé et élaboré cette idée.[33]

Puis-je vous signaler, monsieur Trawny, que Heidegger pensait bel et bien que la mathesis, au sens mathématique du terme aussi bien, tirait son origine de la pensée grecque. Il ne fit pas que le penser mais l’exposa en détail dans le cours du semestre d’hiver 1935/1936 intitulé Questions fondamentales de la métaphysique. Ce cours fut publié du vivant de Heidegger sous le titre „Qu’est-ce qu’une chose ?“, en 1962. La 3ème édition parut en 1987. Soit dit en passant : pas une remarque de tout le cours sur les Juifs ou le Judaïsme. Je vous conseille en particulier de lire jusqu’au bout les pages 49 à 83.

Des Juifs peuvent-ils en même temps être allemands ?

On trouve pour le moins deux formulations qui laissent penser qu’il a fait des exceptions quand il s’agissait de Juifs. L’une de ces formulations concerne Hanna Arendt dont je parlerai dans le chapitre suivant. L’autre concerne Lessing qu’il appelle ostensiblement un „penseur allemand“ - ce par quoi il souligne de fait qu’il est juif.[34]

Permettez-moi à ce sujet de citer Hanna Arendt. Elle dit expressément dans l’interview avec Günter Gauss :

Je ne crois pas, par exemple, m’être jamais considérée comme allemande - au sens d’appartenance à un peuple et non d’appartenance à un Etat, si je puis me permettre cette distinction. Je me souviens d’avoir eu autour de 1930 des discussions à ce sujet avec Jaspers par exemple. Il me disait : „Bien sûr que vous êtes allemande !“ et je lui rétorquais : „mais non, et cela se voit bien !“ Mais ça n’a joué aucun rôle pour moi.[35]

J’aimerais avoir votre opinion, monsieur Trawny ! Lessing n’était-il pas un penseur allemand ? Etait-il un penseur juif ? Qu’est-ce qui selon vous différencie un penseur allemand d’un penseur juif ? Qui en décide ? Lui-même ? A-t-on le droit d’une manière générale de parler de „penseur allemand“ ou de „penseur juif“ ? - Hanna Arendt était-elle une philosophe allemande ou une philosophe juive ? Ou bien était-elle une philosophe américaine voire germano-judéo-américaine ? Ou bien était-elle plutôt une philosophe européo-américaine ? Comment a-t-on le droit de dire cela sans être antisémite ? On dit aussi bien : Sartre était un philosophe français, Wittgenstein autrichien, Kant allemand - et Arendt ? … Votre livre me laisse sans voix … Son contenu n’a rien à voir, mais alors vraiment rien avec la pensée de l’histoire de l’être !

Epilogue

Laissons de nouveau la parole à la femme qui ne fit pas qu’apprécier la philosophie de Heidegger mais entretint une liaison amoureuse avec lui - un amour qui surmonta plusieurs décennies de hauts et de bas :

Car la tempête que fait lever le penser de Heidegger – comme celle qui souffle encore contre nous après des millénaires de l’œuvre de Platon – n’a pas son origine dans le siècle. Elle vient de l’immémorial et ce qu’elle laisse derrière elle est un accomplissement qui, comme tout accomplissement, fait retour à l’immémorial.[36]

 

Bien à vous,

Karl Payer

Lettre envoyée le 21 juin 2014 par courriel à Peter Trawny. Pour cause de droits d’auteur les passages de son livre ne sont pas reproduits dans leur intégralité.

(Traduction française : Joseph Plichart)

 

[1] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 95 : Überlegungen VII-XI (Schwarze Hefte 1938/39). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 452.

[2] NdT : allusion au titre de l’article Eine neue Dimension rédigé par Peter Trawny pour le journal allemand Die Zeit du 27 décembre 2013, juste avant la publication conjointe des Réflexions de Heidegger et de son livre Heidegger et lantisémitisme en mars 2014.

[3] Cf. Peter Trawny, Heidegger et l'antisémitisme (cité dans la traduction française de Julia Christ et Jean-Claude Monod, Paris, Editions du Seuil 2014) : „Même s’il ne reprend pas à son compte la “pensée raciale” propre à la “machination”, une proximité avec l’idéologie du national-socialisme peut malgré tout être reconstruite.“ (NdT)

[4] Rédigée par Heidegger vers 1941 (NdT).

[5] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96 : Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 261-262.

[6] Martin Heidegger : GA, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, volume 96 : Réflexions XII-XV (Carnets noirs 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 262.)

[7] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 49-50. Traduction française par Julia Christ et Jean-Claude Monod : Peter Trawny, Heidegger et l'antisémitisme - Sur les "Cahiers noirs", Editions du Seuil, Paris 2014.

[8] Martin Heidegger : GA, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, volume 96 : Réflexions XII-XV (Carnets noirs 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 261-262.

[9] NdT : die Machenschaft. Ce mot s’entend couramment en allemand au sens de notre “machination”. Mais Heidegger, loin de pencher vers cette acception péjorative, l’entend dans son sens littéral, comme “Machen-schaft”, c’est-à-dire comme : l’ensemble de tout ce qui a trait à cette faculté qu’a l’être humain de “machen”, de “faire”, mais au sens de “façonner”, “maçonner”, “pétrir”, “donner forme”. Traduire Machenschaft par “la fabrication”, c’est rester tout près de l’acception somme toute restreinte qu’indique Machen, et laisser à notre verbe “faire” son ampleur propre, qu’il nous est loisible d’entrevoir si nous pensons à ses cousins, les verbes allemand : tun, anglais : to do, grec : tithemi, lesquels disent la modalité fondamentale de “placer”, soit de “faire se tenir debout”. (Note de François Fédier) Cf. Martin Heidegger, Introduction à la métaphysique, trad. G.Kahn, Gallimard p.165 (GA 40, 168) : “… Machenschaft (τό μαχανόεν). Nous ne prenons pas le mot « Machenschaft  » au sens péjoratif. Nous pensons par là quelque chose d’essentiel, qui s’annonce à nous dans le mot grec technè.“

[10] NdT : suivant l’interprétation de Karl Payer nous rendons Entrassung par „amputation du racé” et non par „déracialisation“ comme les traducteurs de Peter Trawny (qui suivent l’interprétation de ce dernier).

[11] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96 : Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 56-57. NdT : réflexion rédigée vers 1939.

[12] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96 : Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 56.

[13] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 40-42.

[14] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96 : Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 56-57.

[15] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 58-60.

[16] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, II. Abteilung : Vorlesungen 1919-1944, Band 38 : Logik als die Frage nach dem Wesen der Sprache. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 1998, S. 65.

[17] rassisch rassig

[18] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 44.

[19] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 67.

[20] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 95 Überlegungen VII-XI (Schwarze Hefte 1938/39). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 97.

[21] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 33-36.

[22] Martin Heidegger : Gesamtausgabe, III. Abteilung : Unveröffentlichte Abhandlungen, Band 65 : Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis). 3. unveränderte Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2003, S. 321. Traduction française par F.Fédier : Apports à la philosophie : de l'avenance, Gallimard, Paris 2013.

[23] Günter Gaus : „Seule demeure la langue maternelle », Esprit, juin 1980, pp. 33-34-36. Traduction française : Sylvie Courtine-Delamy.

[24] Martin Heidegger : GA IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, Band 95 : Réflexions VII-XI (Carnets noirs 1938/39). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 96-97. NdT : réflexion rédigée par Heidegger vers 1937.

[25] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 53-56.

[26] Martin Heidegger : GA IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, volume 96 : Réflexions XII-XV (Carnets noirs 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 257-258.

[27] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 67.

[28] NdT : allusion à Nietzsche qui parle de l’homme comme étant « l’animal qui n’est pas encore fixé. » (Cf. Par-delà bien et mal §62)

[29] Martin Heidegger : GA IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, volume 96 : Réflexions XII-XV (Carnets noirs 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 44-47.

[30] Martin Heidegger : GA IV. Abteilung : Hinweise und Aufzeichnungen, volume 96 : Réflexions XII-XV (Carnets noirs 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, P. 243.

[31] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 48.

[32] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 48.

[33] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 37-39.

[34] Peter Trawny : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, p. 83.

[35] Günter Gaus : „Seule demeure la langue maternelle », Esprit, juin 1980, p. 33. Traduction française : Sylvie Courtine-Delamy.

[36] Hannah Arendt, „Martin Heidegger ist achtzig Jahre alt“, in Merkur, xxiiie année, 1969, p. 900. Réédition : Menschen in finsteren Zeiten, p. 183 f. Traduction française dans Vies politiques, Gallimard, „Tel“, 1974, p.320.


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10 réactions à cet article    


  • lsga lsga 9 juin 2015 11:16

    Les NAZI ont fait fuir d’Allemagne les plus grands ingénieurs et scientifiques. Ils ont ainsi privé l’Allemagne de la paternité de la découverte de la relativité, de la physique quantique, de l’informatique. Toutes ces révolutions scientifiques auraient dût être allemandes, elles ont finalement été américaines. Les NAZI ont favorisés des petites recherches minables et non-révolutionnaire, comme le moteur à réaction (et encore, il s’en est fallu de peu, Von Braun aurait pu être juif), ou des recherches médicales absurdes sur la torture. 

     
    De la même manière, les NAZI ont privé l’Allemagne de la philosophie analytique, de l’empirisme logique (jugé comme étant une « juiverie »), qui est donc parti aux USA. À la place, ils ont favorisé la petite philosophie minable, absurde, et sans intérêt, de Heidegger. Celle-ci tombera bientôt dans l’oubli. Vivement. 

    • lsga lsga 9 juin 2015 11:58

      Hitler a privé l’Allemagne de ses meilleurs ingénieurs et scientifiques, ce qui est d’une cause directe de leur lamentable échec militaire. 


    • Ben Schott 9 juin 2015 13:35

      @lsga
       
      “ Les NAZI ont favorisés des petites recherches minables et non-révolutionnaire, comme le moteur à réaction ”
       
      Non seulement le moteur à réaction est non-révolutionnaire, mais il est réactionnaire.
       
      Mon Dieu kilékon.


    • lsga lsga 9 juin 2015 13:52

      une découverte secondaire et sans importance par rapport à une autre invention révolutionnaire : l’ordinateur. Celui-ci aurait dut être allemand, avant que les nationalistes ne chassent tous les juifs qui travaillaient sur le sujet. 


    • Ben Schott 9 juin 2015 14:14

      @lsga
       
      [ le moteur à réaction ] une découverte secondaire et sans importance
       
      Et comment vous allez le chercher le “ deutérium der Jupiter ”, banane ?


    • lsga lsga 9 juin 2015 15:17

      avec un EM Drive


    • JOSEPH PLICHART JOSEPH PLICHART 9 juin 2015 16:44

      Les nazis n’ont jamais favorisé la philosophie de Heidegger qu’ils jugeaient à l’instar de Ernst Krieck comme plutôt judaïsante. Karl Löwith écrivait en 1939 :

      « L’orthodoxie petite-bourgeoise du Parti a soupçonné le national-socialisme de Heidegger parce que le problème juif et racial n’y joue aucun rôle. Sein und Zeit est dédié au Juif Husserl, le livre sur Kant au demi-juif Scheler et, au cours de son enseignement à Fribourg, l’on étudiait sous sa direction Bergson et Simmel. »

      (Karl Löwith : Der okkasionelle Dezisionismus von Carl Schmitt. In : Karl Löwith : Heidegger – Denker in dürftiger Zeit. Zur Stellung der Philosophie im 20. Jahrhundert. Stuttgart 1984, S. 31–71.)


      • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 9 juin 2015 19:03

        @JOSEPH PLICHART

        Je salue votre courage, et l’importance de ce que vous apportez ici.
        Pour ma part - très choqué par les manœuvres de Hannah Arendt qui ont abouti à ruiner la réputation de Martin Heidegger -, j’ai voulu comprendre qui elle était elle-même, dès qu’il s’était agi, pour elle, d’écrire. Le résultat dépasse tout ce que l’on pourrait imaginer. J’en donne quelques éléments ici :

        http://www.crimesdestaline.canalblog.com


      • Erer 7 août 2015 11:03

        Merci infiniment pour cet article ! Très intéressant.


        • herve houssel 18 décembre 2015 12:56

          C’est intéressant de constater que le travail d’élaboration existe encore dans un horizon de pensée immédiate et de jugements de valeur péremptoires.Bien sur que la pensée de Heidegger ne peut être simplifiée jusqu’au ridicule.Elle se situe dans un écart perpétuellement recherché entre des concepts remis continuellement en question.Personne n’est en mesure d’affirmer ce qu’est la pensée de Heidegger.Bravo pour cet article !

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