Eurovision 2007 : en finir avec l’héritage de mai 2006
Après la victoire du groupe de hard rock finlandais Lordi l’année dernière, on aurait pu croire que le gagnant 2007 serait à nouveau hors du commun, ou du moins passablement déjanté. C’est pourtant une prestation extrêmement classique qui a gagné. Tentative d’explication.
Alors que l’édition 2006 de l’Eurovision fut remportée par un groupe de monstres finlandais jouant du hard rock, au grand dam de Michel Drucker qui ne s’en remit que bien plus tard, grâce à quelques heures de relaxation avec Bernadette Chirac, la cuvée 2007 se voit dominée par une chanteuse Serbe interprétant une ballade des plus classiques, avec une mise en scène extrêmement dépouillée, en clair un numéro particulièrement ennuyeux et très peu télégénique.
Marija Serifovic, l’heureuse gagnante, relègue même aux deuxième et troisième marches du podium deux prestations clairement taillées pour la victoire : une drag-queen quinquagénaire et pailletée ukrainienne (équipe complète avec choristes sur pilotis, un lot de deux danseurs, et accordéoniste fou) interprétant un morceau dance avec des vrais bouts de paroles allemandes à l’intérieur (eins, zwei, tanzen, etc.), et un girls bande russe, remake de t.A.T.u avec une dose d’Atomic Kitten et une pincée de Matrix dans la mise en scène.
Que s’est-il donc passé en cette soirée du 12 mai 2007 ? Autant la victoire de Lordi surprenait l’année dernière parce qu’elle était complètement extraordinaire (au sens premier du terme), autant celle de Marija Serifovic cette année surprend par son "infra-ordinarité" (pour reprendre une expression du philosophe André Manoukian).
Après avoir longuement réfléchi et fait des cauchemars sur le sujet la nuit dernière, j’avance un essai d’explication : la Serbie a gagné grâce à la conjugaison de deux facteurs, une sorte d’alignement de planètes favorable qui se produit une fois tous les mille ans. Premier facteur : le vote géopolitique, qui me semble particulièrement marqué cette année. Deuxième facteur : un retour à l’ordre moral, après le scandale Lordi de 2006, un groupe accusé de satanisme, qui se nourrit probablement de nourrissons humains tout en égorgeant des vierges dans des baignoires (il faut dire qu’ils ont des masques de monstres quand même), et ayant carrément agressé le pauvre Michel Drucker (d’après un numéro de France Dimanche de l’époque : c’est donc vrai).
Détaillons cette tentative d’explication de la victoire serbe.
J’ai reporté sur une carte le classement de l’Eurovision 2007 (voir ci-dessous) : plus
c’est foncé, plus on est proche du haut du podium. Le rose très clair correspond aux pays qui n’étaient pas qualifiés pour la finale.
Note : il
manque l’Arménie et la Slovénie qui sont trop à l’est pour apparaître
sur cette carte, mais elles sont dans la même logique de répartition des couleurs.
Le découpage est très net entre :
- l’Europe de l’est, avec les pays des Balkans et de l’ex-URSS, qui occupent toutes les premières places ;
- le rideau de fer des pays non sélectionnés, au milieu ;
- l’Europe occidentale et l’Europe nordique, avec les pays qui arrivent en dernier dans le classement de la finale.
Sur le sujet de l’influence de la géopolitique et de la proximité des pays sur les votes, on peut lire cette étude statistique portant sur les résultats entre 1993 et 2003 : Geography, Culture, and Religion : Explaining the Bias in Eurovision Song Contest Voting (mai 2006), qui confirme par une approche rationnelle l’existence d’un biais géopolitique dans les votes.
Ce phénomène favorise les pays ayant de nombreux pays limitrophes et les pays issus de recompositions diverses, partageant donc avec d’autres un certain héritage culturel et historique. Ce qui est le cas des pays de l’Est et des Balkans ; le phénomène étant d’autant plus marqué cette année que sur les 24 finalistes, plus de quinze entraient dans ces catégories.
La Serbie bénéficiait en plus d’un avantage supplémentaire : en se trouvant à la limite du "rideau de fer" des pays non qualifiés (mais pouvant voter), elle a pu bénéficier d’un effet de concentration des votes géopolitiques des pays de cette région de l’Europe sur les seuls pays qualifiés. Autrement dit, la Serbie se trouvait dans une zone où la densité de "twelve points" par kilomètre carré était assez élevée.
Mais la géopolitique ne peut pas être la seule explication, sinon pourquoi la Finlande aurait-elle gagné en 2006 ? Hypothèse : pour un candidat qui n’a pas la chance d’avoir des frontières avec trente pays et qui n’est pas issu de multiples recompositions géographiques, il faut une candidature vraiment hors du commun pour échapper à la gravité et pouvoir être satellisé à la première place. Ce qui correspond au cas Lordi. Une simple "bonne" candidature restera tout simplement clouée au sol si elle ne bénéficie pas en plus d’un élan géopolitique.
Et pourquoi la victoire serbe cette année, parmi tous les pays bénéficiant du déplacement à l’est du barycentre géopolitique de l’Eurovision, alors que sa candidature était d’un ennui mortel ? Peut-être une population d’électeurs s’est-elle mobilisée pour enfin tirer un trait sur l’héritage de mai 2006, la victoire des "satanistes" de Lordi ayant conduit à une détérioration des valeurs et expliquant finalement tous les problèmes rencontrés en Europe depuis un an (toute ressemblance avec un discours de propagande présidentielle existant ou ayant existé n’est que pure coïncidence).
La candidate serbe aurait ainsi su rassembler sur son nom des valeurs traditionnelles d’ennui, de morosité et de banalité chères à tant de monde, expliquant, conjointement avec les effets du vote géopolitique énoncés précédemment, la première place.
Quoi qu’il en soit, tout ceci est bien triste pour la France et l’Amour à la française des Fatals Picards : pour une fois que la candidature française était moderne, colorée, rock, enjouée et ne se prenait pas au sérieux, voilà qu’elle se retrouve à nouveau dans les abîmes du classement. Mais peut-on lutter contre des forces qui nous dépassent ?
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