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« Every Sperm is Sacred » ou « Tout sur les Monty Python et la religion (ou presque) »

Etonnamment, malgré leur attitude, le Monty Python Flying Circus n'a jamais souffert de censures ou de pressions. Une situation à relativiser quelque peu durant la troisième saison de la série au cours de laquelle la chaîne a tenté d'intervenir sur certaines choses mais encore plus au cinéma...

Les Monty Python, un phénomène culturel
 
Avec leur humour, les Python s’inscrivent dans la lignée d'une véritable révolution de la comédie britannique de l'après-guerre qui débute d'abord avec The Goon Show puis avec Beyond the fringe (une émission de radio humoristique diffusée à la radio de 1951 à 1960 et une revue jouée à Broadway au début des années 60 et généralement considéré comme à la source de la satire britannique des années 60, on le rappelle). Avant l'incorporation de Terry Gilliam, la troupe voulait faire quelque chose de différent mais sans véritablement savoir comment, jusqu'à ce qu'ils aient l'idée que les animations de Gilliam pourraient lier les sketchs entre eux, conférant ainsi une dimension résolument unique à l’émission et par là, au groupe. Une des caractéristiques de la troupe vient du fait que les membres soient tous hautement éduqués. La composition donne d'ailleurs une combinaison d'intellectuels issus de Cambridge, d'Oxford et de l'Occidental College.
 
La confiance de la BBC envers ces hommes, hormis pour Gilliam qui est encore plutôt inconnu, est telle qu'elle ne demande pas de pilote[1] et qu'une saison est commandée directement. Pour l’époque, leur émission, le Flying Circus est totalement novatrice et subversive. Le premier épisode est littéralement de l’inédit à la télévision et le résumé de ses sketches semble incroyable : on y voit des moutons se prenant pour des oiseaux, un homme à trois fesses ou encore un jeune-homme qui fuit sa famille ; celle-ci ne comprenant pas son choix d’une vie ouvrière. La première diffusion des Python cause un choc à la BBC qui ne sait pas quoi faire de l'émission et va d'ailleurs en changer l'heure de diffusion de nombreuses fois, ne sachant pas à quel public la destiner. Pourtant, sans aucune stratégie de marketing, le culte s'installe très vite.
 
Durant les années 60, la culture-jeune moderne a trouvé de nombreuses voix. En matière de musique, ce furent les Beatles ; au cinéma, en 1967, Le lauréat, devient quant à lui le premier film à grand public à traiter du fossé des générations et de l'aliénation de la jeunesse. Au sein de ce film, la musique de Simon and Garfunkel joue d'ailleurs notamment un grand rôle. Dans un autre genre, en 1969, Easy Rider consolide cette génération. A la télévision, au contraire, les tentatives d'alors sont souvent ratés ou ridicules, donnant lieu à des émissions parlant des jeunes qui ne s'adressent ni à eux ni ne les incluent. La télévision passe tout simplement à côté de la jeunesse. C'est dans ce domaine que les Python bouleversent totalement les choses. Ils amènent un humour subversif à la chaîne et même si la qualité du show n'était pas toujours égale et que tout n’était pas forcément drôle, l'attitude était encore plus importante (George Harrison des Beatles considérait d’ailleurs que les Python étaient l’équivalent des Beatles réincarnés en comiques) et explique ainsi le culte qu'a généré la troupe jusqu’à aujourd'hui ; étant souvent considéré comme à la source des programmes humoristiques modernes.
 
Il serait difficile d’évoquer tous les thèmes que la troupe a pu traiter au cours d’une quantité monumentale d’émissions et de sketchs, néanmoins, on peut admettre qu’ils aimaient à tourner en dérision le monde du spectacle et de la télévision britannique représenté par la toute puissante et ennuyante BBC, jouer également avec la culture populaire britannique (qui rend certains sketchs relativement imperméables aux yeux étrangers) et la somme des imbécilités humaines. Sous ce vaste programme, s’insinue de façon très intellectuelle (aux références philosophiques nombreuses par exemple[2]) l’art unique de tourner à l’absurde toutes les situations avec une irrévérence absolue. Prenons ici l’exemple de leur second long métrage sorti en 1979.
 
Monty Python’s life of Brian, the lust for glory[3]
 
Avec ce film, l’idée générale est de traiter de la religion. D’après eux, il n’y a rien à critiquer de Jésus, mais en revanche, les suiveurs et les croyants sont eux ridicules. Jésus ne sera donc pas le personnage principal, mais la trouvaille sera de faire de Brian, une sorte de voisin de palier de Jésus permettant d’égratigner le bouillonnement religieux en gestation à cette période. Le film a pourtant failli ne jamais avoir lieu. Si dans un premier temps, la société EMI est intéressée pour financer le film à hauteur d’un budget de 2 millions de dollars, elle annule pourtant après avoir lu le script, prenant peur de l’aimant à polémiques qui constitue le scénario du film[4]. Alors que le tournage devait commencer en avril 1978, le salut vient de l’ancien Beatles, George Harrison, qui, devenu ami avec la troupe et plus particulièrement avec Eric Idle quelques années auparavant, prend en charge la production et sauve le film. Il fonde avec Denis O’Brien  : Handmade Films (littéralement « les films fait à la main ») une société de production qui connaitra le succès durant la décennie suivante[5] et qui devient plus ou moins la société de production officieuse des Python. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de comparer les controverses qu’a engendrées La vie de Brian avec celles occasionnées par la déclaration selon laquelle les Beatles étaient plus grands que Jésus.
 
A l’assaut de l’industrie cinématographique…
 
Si le film est devenu aussi célèbre, ce n’est pas que par l’aura des Python mais bel et bien par le scandale qui l’entoure, bien qu’au final, beaucoup de scènes qui auraient pu rendre le film encore plus polémiques aient étés coupées (quasiment ¾ d’heures). Ce sont notamment des scènes qui auraient risqué de se mettre à dos la communauté juive. Terry Gilliam raconte à ce sujet qu’Eric Idle, vivant alors à Hollywood, ne voulait pas se risquer à aliéner cette communauté dans laquelle se trouvait-un grand nombre de producteurs. Dans un fait rare à relever, la troupe a donc ici fait preuve d’autocensure[6]. Pour autant, la sortie du film en 1979 s’accompagne d’une grande vague de protestations de la part des catholiques. Le film est d’ailleurs banni dans beaucoup de pays d’Amérique du Sud. Il déclenche une fureur pour laquelle la vision du film, comme en de nombreux cas similaires, est facultative.
 
Si les Python s’accordent à dire que le film soit hérétique, ils réfutent en revanche qu’il soit blasphématoire, ne s’attaquant pas au concept de dieu. Aux Etats-Unis, la première salve d’attaques, de ce qui est devenu par la suite une guerre religieuse à base de déclarations, est lancée, quand le 19 août 1979, Rabbi Abraham Hecht, le président de la Rabbinical Alliance of America[7] déclare s’exprimer au nom d’un demi-million de juifs en disant dans Variety  : « jamais nous n’avons rencontré un film aussi répugnant, dégoutant et blasphématoire auparavant  » et ajoutant que le film avait été « produit en enfer ». Après ces déclarations, de nombreux leaders religieux se sont succédés, devant chaque micro qu’ils croisaient, pour déclarer tout le mal qu’ils pensaient d’un film qui ne devrait pas être diffusé selon eux (en contraste avec d’autres religieux plus modérés qui défendaient le droit au film d’être montré sans pour autant en approuver le contenu). Chez les protestants, Robert E.A Lee, du concile Luthérien, a notamment déclaré que le film était une attaque disgracieuse envers les sensibilités religieuses, et ce dans une émission diffusée sur un millier de stations de radios à travers les Etats-Unis. Enfin, le film fut noté « C », comme « condamné », par l’office de contrôle des films catholique, implorant les fidèles de ne pas se rendre dans les cinémas jouant le film et allant jusqu’à considérer qu’il serait un pêché que d’y aller.
 
Au final, ces déclarations et protestations ont grandement contribué à faire parler du film et à l’entourer d’une aura sulfureuse, augmentant ainsi ces recettes. Alors qu’il était envisagé de diffuser le film sur 200 écrans américains à travers le pays, la stratégie fut changée et le chiffre monta à presque 600. Sur un plateau de télévision, Cleese déclara d’ailleurs « en fait, ils m’ont rendu riche. Je pense que je devrais leur envoyer une caisse de champagne ».[8]
 
En Grande-Bretagne, la guerre contre La Vie de Brian a été différente. Les critiques les plus dures sont venues du Nationwide Festival of Light, un mouvement de chrétiens britanniques inquiets par le développement d’une société plus permissive à la fin des années 60. Ils ont fait pression, sans réussite, sur le British Board of Film Censor (devenu Classification depuis : le BBFC), l'organisme responsable d'évaluer la classification des films et des jeux vidéo au Royaume-Uni, pour refuser un certificat au film. Le censeur britannique de l'époque, James Ferman a d’ailleurs publiquement défendu la décision : « Nous avons considéré que dès 14 ans, les individus sont tout à fait capables de faire la différence entre une satire et une attaque sérieuse sur les croyances des gens ». Malgré cette défaite, the Festival of Light, soutenu par ce que l’on pourrait traduire comme étant l’église britannique pour la responsabilité sociale (the Church of England Board for Social Responsibility), a continué sa lutte contre le film en diffusant des écrits contre le film et en allant même jusqu’à encourager leurs fidèles à prier pour l’échec du film. Compte-tenu du climat, les distributeurs du film ont adopté une attitude prudente, programmant le film dans un seul cinéma londonien, avant d’attendre la fin de la période des fêtes de Noël pour la sortie générale. En conséquence, la sortie britannique se fit avant tout au Plaza le 8 novembre 1979. Malgré des foules de protestataires à l’extérieur du cinéma, le film généra 40 000 £ de recettes dans sa première semaine (occultant le précédent record détenu par Les dents de la mer), également en raison d’une habile campagne publicitaire qui fut récompensée comme la meilleure publicité radiophonique de 1979[9].
 
A la sortie nationale, à l’aube de na nouvelle année, la bataille se transforma à nouveau puisque la censure touchant le film était désormais régionale. Comme l’expliqua M. Palin : « Il y avait un trou dans la loi, les autorités locales avaient un droit de contrôle sur certains cinéma pour des raisons de santé, et ils ont usé de cette clause extraordinaire pour bannir les Monty Python sous prétexte que nous aurions été malsains. Je ne sais pas s’ils pensaient que l’épidémie pouvait se répandre dans les cinémas… » . Au final, le film fut banni en Harrogate, dans certaines zones du Surrey, dans l’est Devon (où les censeurs refusèrent même de le voir, considérant que l’ « on n’a pas besoin d’avoir une porcherie sous les yeux pour savoir que ça pue ») et au Cornwall. Mais comme l’a expliqué Gilliam, « en Angleterre, il était banni dans différentes villes, mais les gens y organisaient des convois et allaient dans les villes voisines où il passait. En revanche, aux Etats-Unis, il a été banni dans les Etats de la Bible Belt[10] où personne n’a pu le voir. « Vous voyez, les Britanniques ne peuvent pas être contrôlés mais les Américains, si…c’est la leçon que l’on peut en tirer » Terry Gilliam[11].
 
Ghk


[1] Un pilote est un épisode-test commandé par la chaîne, qui détermine, suivant l’appréciation, la commande, ou non, d’une saison complète.
[2] En l’occurrence, on peut recommander le livre Monty Python and Philosophy édité par Gary L. Hardcastle et George A. Reisch (Open Court, Chicago, 2006).
[3] « Désir de gloire ».
[4] Bob McCabe, Dark knights and holy fools, Orion Media, 1999, London, p 78.
[5] Ibid., p 79.
[6] Ibid., p 84.
[7] Le Conseil Rabbinique de l'Amérique (RCA) est l’une des plus grandes organisations de rabbins Orthodoxes du monde. On l'affilie à l'Union de Congrégations juives Orthodoxes de l'Amérique, plus communément connue comme l'Union Orthodoxe, ou OU. La plupart des rabbins du RCA appartiennent au Judaïsme Orthodoxe Moderne.
[8] The Guardian, « WELEASE BWIAN - Monty Python's The Life of Brian was the most controversial film of its time », The Guardian, 28 Mars 2003.
[9] Idem.
[10] La Bible Belt, littéralement la ceinture de la Bible est une zone géographique et sociologique des États-Unis dans laquelle vivent un pourcentage élevé de personnes se réclamant d'un protestantisme rigoriste ; fondamentalisme chrétien. L'expression provient de H. L. Mencken, qui la forgea au début des années 1920 et désigne globalement nombre d’Etats du sud-est américains anciennement sécessionnistes comme l'Alabama, l'Arkansas, la Caroline du Nord ou le Texas.
[11]The Guardian, « WELEASE BWIAN - Monty Python's The Life of Brian was the most controversial film of its time », The Guardian, 28 Mars 2003.

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9 réactions à cet article    


  • Nemo8 Kakapo 29 décembre 2011 14:33

    Ne craignez-vous donc pas l’inquisition Espagnole ? smiley


    • Oraisonnable Oraisonnable 29 décembre 2011 14:42

      Comment répondre autrement que par « Ni » ? smiley


      • Domino Domino 29 décembre 2011 16:23

        Attention au « SPAM »... ! smiley


        • Pie 3,14 29 décembre 2011 16:38

          Crucifixion ? yes please.


          • Switcher 29 décembre 2011 22:22

            Hmmm, il y a eu des pressions sur le groupe au moment du Flying Circus… Ils (les intéressés) n’en ont tout simplement pas tenu compte.


            Un passage « en force » qui se doublait d’une incertitude du diffuseur : on passe, on passe pas, c’est quand même bizarre ce truc qu’on diffuse non ?

            Le bon sens britannique a fait le reste.

            La fin du Flying Circus, c’est aussi le départ de Cleese. Le show n’était pas prévu pour rester longtemps… Ils sont sortis par le haut en pleine « gloire » (un peu à la manière des Nuls sur Canal à une époque, toute proportion gardée) et ont habilement changé de médium pour passer au cinéma avec le succès que l’on sait.

            • Oraisonnable Oraisonnable 30 décembre 2011 02:27

              Il y a néanmoins eu quelques cas où la chaîne était moins « incertaine » (et notamment lors de la troisième saison que j’évoquais), ainsi pour la diffusion, la chaîne a par exemple supprimé, ou du moins « bipé » un mot lors d’un sketch : au cours de la présentation d’un candidat pour le « concours de résumé de Proust », ce dernier répondait « la masturbation » parmi ses hobbies.

              On peut aussi noter un exemple de censure concernant les animations de Gilliam. Il ne s’agit pas de l’animation en elle-même mais du dialogue qui l’accompagne. Ainsi, lors d’une animation, un Prince constamment illuminé par un spot sur son visage finissait par mourir des causes d’un cancer. Ce dernier élément dérange profondément la chaîne qui fait préfère faire modifier cette maladie en gangrène, moins polémique.


            • Mmarvinbear Mmarvinbear 30 décembre 2011 02:15

              A wiiiiitch !!!

              ( le mélèze )...


              • Theodore 30 décembre 2011 12:23

                Une constante c’est l’effet contre productif de la censure, la pub faite au film, livre ou média lui assurant un succès commercial indépendant de sa qualité.
                Cela pose la question du QI des censeurs (adhérer sans modération aux dogmes des religions n’est en soit pas preuve de bon sens)


                • Abdul Alhazred 30 décembre 2011 17:39

                  Intéressant article. J’avais déjà rédigé, il y a quelques temps, un billet sur le sujet. Il constitue, je pense, un complément intéressant à votre article, en tentant d’analyser les raisons des problèmes que vous évoquez sur La vie de Brian :
                  http://hicsuntninjas.blogspot.com/2010/05/nobody-expect-spanish-inquisition-la.html

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