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« Exposed – Voyeurism, Surveillance and the Camera » – Tate Mordern jusqu’au 3 octobre 2010
A travers son exposition « Exposed », la Tate Mordern ouvre débat quant à la relation, possible ou obligée, entre le voyeurisme et la surveillance, d’une part, et l’image, d’autre part.
Le photographe est-il par essence un voyeur ? N’a-t-il d’autre but que révéler ce qui normalement nous échappe ? Pour nous aider à nous forger une opinion, l’institution londonienne – en collaboration avec le Musée de San Francisco - a réunit une large collection de clichés qu’elle offre au travers d’une quinzaine de salles !
Au côté de photographes anonymes, d’images tirées de caméras de surveillance fixée à la verticale de lieux publics ou de celles flanquées sous le fuselage d’avions espions, nous trouvons notamment le travail d’auteurs comme Helen Lewit, Philip-Lorca diCorcia, Weegee, Richard Avedon, Dorothea Lange,Garry Winogrand, Robert Frank, Lewis Hine, Nan Goldin, Walker Evans, Sophie Calle, Araki, Paul Strand ou encore Andy Warhol et Lee Friedlander … chacun y trouvera son bonheur.
Les organisateurs ont structuré le sujet au travers de cinq thèmes nous amenant à découvrir la problématique exposée d’une manière efficace. Le visiteur est ainsi guidé d’une manière simple et didactique à travers le sujet et ses multiples facettes.
Ce qui frappe avant tout, est évidemment comme la notion même de voyeurisme – au sens large - évolue au fil du temps. A la fin du 19ème, Jacob Riis pénétrait dans les habitations insalubres de la classe populaire new-yorkaise. Ses clichés firent alors sensation. Comment était-il possible de dévoiler la misère aussi froidement ? Ne fallait-il pas au contraire la garder éloigné des regards par crainte de choquer ? Aujourd’hui, il va pourtant de soi que l’une des tâches incombant au reporter est de témoigner de l’état de la société, des crimes commis à l’autre bout du monde ou des violences tout simplement quotidiennes. De « voyeur », le photographe passe au statut de « témoin ». Son œuvre se métamorphose en pièces à conviction, comme furent les clichés sortis des camps de concentration, utilisés comme preuves à charge contre les bourreaux nazis.
Comment ne pouvons-nous pas sourire face à ces clichés sépia de femmes replètes et dévêtues qui ravissaient l’œil de certains messieurs en haut de forme ? Voici plus de cent ans, on les qualifiait au mieux de grivois, au pire de pervers. A l’heure actuelle, une simple campagne de publicité pour les marques de sous-vêtements féminins en dévoile davantage en des poses et des attitudes souvent bien plus suggestives. Car le nu s’est mué en art. Il est devenu, grâce à des photographes de talent comme Helmut Newton, populaire au point de devenir familier, d’intégrer l’univers quotidien, sans pour autant – notons le au passage – servir pleinement la cause des femmes encore souvent présentées comme objet de désir.
Si la miniaturisation des appareils photos a permis de « voler des clichés » d’une façon discrète, l’évolution technique a également repoussé les limites de la perception humaine. L’augmentation de la sensibilité des pellicules a été de paire avec celle de la vitesse d’obturation. Expliqué autrement, cela a permit de réduire les temps de pause. Autrefois fixé à plusieurs secondes – voire minutes – nous sommes passé à quelques secondes pour ensuite, parvenir à la diminuer encore jusqu’à ce qu’elles soient réduites à d’infimes fractions de temps. Ainsi photographiés, les sujets sont pris sur le vif, les visages sont figés en des expressions normalement imperceptibles, à devenir grotesques et risibles, plus encore si ils sont pris à l’imprévu.
A l’évocation de « voyeurisme » vient à l’esprit celle des paparazzis. Armés de leurs objectifs démesurés, ils suivent leurs proies en quête de sensation, des hommes d’états aux starlettes sans talent. Ils chassent le scoop et le choc. Les victimes les plus dégourdies s’en accommodent voire en usent comme moyen de promotion.
Pourtant rien n’est cloisonné ! Les genres se superposent. La vedette peut être surprise nue, par exemple. Ou bien encore, à l’image du travail de Yoshiyuki, le photographe dévoile les éléments d’une société sans repère et dont la plus grande joie est de venir caresser discrètement les corps dénudés de couples venus se retrouver la nuit dans les buissons d’un parc au milieu d’une ville.
Mais la tendance lourde depuis longtemps, portée par quelques personnalités comme Sophie Calle, est l’exhibitionnisme. Le photographe s’expose et affirme mettre son corps à disposition des spectateurs, tout en définissant pourtant certaines frontières à ne pas franchir.
Le preneur d’image est-il d’alors, et obligatoirement, un voyeur, voire un exhibitionniste ? Pour certains oui, pour d’autres non. Chacun, la visite terminée, pourra se faire une opinion sur ce sujet, en sachant que les intéressés eux-mêmes sont divisés sur le sujet.
Le plus important est, comme déjà souligné plus haut, l’évolution de nos repères. Ce qui choque et dérange se juge au regard d’une société donnée à un moment « T ». Il suffit de faire référence au « cadre légal », aux règlementations en vigueur au sein des organismes d’(auto-)contrôle des acteurs actifs dans le monde publicitaire ou audiovisuel. Le rapport au sexe, à la nudité ou à la mort définit un ensemble dans lequel évoluent les individus appartenant à un groupe, parfois même à un sous-groupe au sein d’une société donnée. Et selon que ce cadre soit large ou étroit, nous donnerons un sens différent aux images exposées, nous les accepterons aisément ou non, voire nous les rejetteront au nom de telle ou telle valeur jugée suprême.
La violation de notre intimité est sans doute davantage ressentie et condamnée aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, où chacun tend à se replier sur soi, à vivre entre quatre murs loin des regards des autres et parfois même de sa propre famille. Rappelons au passage la formule de Descartes : « Je pense, donc je suis dans ma forteresse », résumant à elle seule la pensée des Lumières et l’atomisation de la société que le mouvement plaidait. L’ouverture offerte vers Internet est dans cette perspective qu’un étroit entrebâillement sur nos vies privées. Chacun en garde, à quelques exceptions, le contrôle et la direction.
Maintenant, nous dirigeons-nous vraiment vers un univers, médiatique du moins, de plus en plus voyeur, où tout s’expose sans concession ? Ce serait oublié une lame de fond dont la puissance augmente sans cesse, celle des voix s’élevant pour nous obliger à tout censurer au nom de la protection des enfants. On n’en vient même, comme récemment aux Halles de Paris, à demander aux artistes de sélectionner des œuvres afin de ne pas choquer nos têtes blondes, à ne pas suggère ceci ou cela (de la pédophilie dans le cas présent) par crainte de les perturber, eux ou certains « bien pensants ».
Mais le fait le plus marquant de cette décennie est certainement la démultiplication des caméras de surveillance, comme nous le montre l’exposition. Dans les lieux publics, dans les transports en commun ou aux abords d’immeubles privés ou non, elles nous surveillent. Vingt-quatre sur vingt-quatre, elles enregistrent leurs lots d’images, souvent à notre insu, avec pour sacro-sainte justification un nécessaire besoin de sécurité et de sécurisation. Diffusées sur des écrans, enregistrées sur support informatique, elles sont contrôlées par des agents assermentés ou, pire, par de simples vigiles, sans formation ni pouvoir légal. Où que nous soyons, on peut nous voir, suivre nos déplacements et observer nos agissements. A qui sont destinées ses images ? Qui les regardent ? Où finissent-elles ? Pour beaucoup, cela ne pose aucun problème car « je n’ai rien à me reprocher ». Mais sont-ils vraiment certain d’être aussi blanc qu’ils le décrivent ?
« Exposed » est une magnifique exposition à ne pas manquer, riche en images et obligeant le spectateur à s’interroger du début à la fin. Le catalogue est à la hauteur du reste (£25).
Tate Mordern – Bankside London SE1 9TG – Entrée : £10
Le photographe est-il par essence un voyeur ? N’a-t-il d’autre but que révéler ce qui normalement nous échappe ? Pour nous aider à nous forger une opinion, l’institution londonienne – en collaboration avec le Musée de San Francisco - a réunit une large collection de clichés qu’elle offre au travers d’une quinzaine de salles !
Au côté de photographes anonymes, d’images tirées de caméras de surveillance fixée à la verticale de lieux publics ou de celles flanquées sous le fuselage d’avions espions, nous trouvons notamment le travail d’auteurs comme Helen Lewit, Philip-Lorca diCorcia, Weegee, Richard Avedon, Dorothea Lange,Garry Winogrand, Robert Frank, Lewis Hine, Nan Goldin, Walker Evans, Sophie Calle, Araki, Paul Strand ou encore Andy Warhol et Lee Friedlander … chacun y trouvera son bonheur.
Les organisateurs ont structuré le sujet au travers de cinq thèmes nous amenant à découvrir la problématique exposée d’une manière efficace. Le visiteur est ainsi guidé d’une manière simple et didactique à travers le sujet et ses multiples facettes.
Ce qui frappe avant tout, est évidemment comme la notion même de voyeurisme – au sens large - évolue au fil du temps. A la fin du 19ème, Jacob Riis pénétrait dans les habitations insalubres de la classe populaire new-yorkaise. Ses clichés firent alors sensation. Comment était-il possible de dévoiler la misère aussi froidement ? Ne fallait-il pas au contraire la garder éloigné des regards par crainte de choquer ? Aujourd’hui, il va pourtant de soi que l’une des tâches incombant au reporter est de témoigner de l’état de la société, des crimes commis à l’autre bout du monde ou des violences tout simplement quotidiennes. De « voyeur », le photographe passe au statut de « témoin ». Son œuvre se métamorphose en pièces à conviction, comme furent les clichés sortis des camps de concentration, utilisés comme preuves à charge contre les bourreaux nazis.
Comment ne pouvons-nous pas sourire face à ces clichés sépia de femmes replètes et dévêtues qui ravissaient l’œil de certains messieurs en haut de forme ? Voici plus de cent ans, on les qualifiait au mieux de grivois, au pire de pervers. A l’heure actuelle, une simple campagne de publicité pour les marques de sous-vêtements féminins en dévoile davantage en des poses et des attitudes souvent bien plus suggestives. Car le nu s’est mué en art. Il est devenu, grâce à des photographes de talent comme Helmut Newton, populaire au point de devenir familier, d’intégrer l’univers quotidien, sans pour autant – notons le au passage – servir pleinement la cause des femmes encore souvent présentées comme objet de désir.
Si la miniaturisation des appareils photos a permis de « voler des clichés » d’une façon discrète, l’évolution technique a également repoussé les limites de la perception humaine. L’augmentation de la sensibilité des pellicules a été de paire avec celle de la vitesse d’obturation. Expliqué autrement, cela a permit de réduire les temps de pause. Autrefois fixé à plusieurs secondes – voire minutes – nous sommes passé à quelques secondes pour ensuite, parvenir à la diminuer encore jusqu’à ce qu’elles soient réduites à d’infimes fractions de temps. Ainsi photographiés, les sujets sont pris sur le vif, les visages sont figés en des expressions normalement imperceptibles, à devenir grotesques et risibles, plus encore si ils sont pris à l’imprévu.
A l’évocation de « voyeurisme » vient à l’esprit celle des paparazzis. Armés de leurs objectifs démesurés, ils suivent leurs proies en quête de sensation, des hommes d’états aux starlettes sans talent. Ils chassent le scoop et le choc. Les victimes les plus dégourdies s’en accommodent voire en usent comme moyen de promotion.
Pourtant rien n’est cloisonné ! Les genres se superposent. La vedette peut être surprise nue, par exemple. Ou bien encore, à l’image du travail de Yoshiyuki, le photographe dévoile les éléments d’une société sans repère et dont la plus grande joie est de venir caresser discrètement les corps dénudés de couples venus se retrouver la nuit dans les buissons d’un parc au milieu d’une ville.
Mais la tendance lourde depuis longtemps, portée par quelques personnalités comme Sophie Calle, est l’exhibitionnisme. Le photographe s’expose et affirme mettre son corps à disposition des spectateurs, tout en définissant pourtant certaines frontières à ne pas franchir.
Le preneur d’image est-il d’alors, et obligatoirement, un voyeur, voire un exhibitionniste ? Pour certains oui, pour d’autres non. Chacun, la visite terminée, pourra se faire une opinion sur ce sujet, en sachant que les intéressés eux-mêmes sont divisés sur le sujet.
Le plus important est, comme déjà souligné plus haut, l’évolution de nos repères. Ce qui choque et dérange se juge au regard d’une société donnée à un moment « T ». Il suffit de faire référence au « cadre légal », aux règlementations en vigueur au sein des organismes d’(auto-)contrôle des acteurs actifs dans le monde publicitaire ou audiovisuel. Le rapport au sexe, à la nudité ou à la mort définit un ensemble dans lequel évoluent les individus appartenant à un groupe, parfois même à un sous-groupe au sein d’une société donnée. Et selon que ce cadre soit large ou étroit, nous donnerons un sens différent aux images exposées, nous les accepterons aisément ou non, voire nous les rejetteront au nom de telle ou telle valeur jugée suprême.
La violation de notre intimité est sans doute davantage ressentie et condamnée aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, où chacun tend à se replier sur soi, à vivre entre quatre murs loin des regards des autres et parfois même de sa propre famille. Rappelons au passage la formule de Descartes : « Je pense, donc je suis dans ma forteresse », résumant à elle seule la pensée des Lumières et l’atomisation de la société que le mouvement plaidait. L’ouverture offerte vers Internet est dans cette perspective qu’un étroit entrebâillement sur nos vies privées. Chacun en garde, à quelques exceptions, le contrôle et la direction.
Maintenant, nous dirigeons-nous vraiment vers un univers, médiatique du moins, de plus en plus voyeur, où tout s’expose sans concession ? Ce serait oublié une lame de fond dont la puissance augmente sans cesse, celle des voix s’élevant pour nous obliger à tout censurer au nom de la protection des enfants. On n’en vient même, comme récemment aux Halles de Paris, à demander aux artistes de sélectionner des œuvres afin de ne pas choquer nos têtes blondes, à ne pas suggère ceci ou cela (de la pédophilie dans le cas présent) par crainte de les perturber, eux ou certains « bien pensants ».
Mais le fait le plus marquant de cette décennie est certainement la démultiplication des caméras de surveillance, comme nous le montre l’exposition. Dans les lieux publics, dans les transports en commun ou aux abords d’immeubles privés ou non, elles nous surveillent. Vingt-quatre sur vingt-quatre, elles enregistrent leurs lots d’images, souvent à notre insu, avec pour sacro-sainte justification un nécessaire besoin de sécurité et de sécurisation. Diffusées sur des écrans, enregistrées sur support informatique, elles sont contrôlées par des agents assermentés ou, pire, par de simples vigiles, sans formation ni pouvoir légal. Où que nous soyons, on peut nous voir, suivre nos déplacements et observer nos agissements. A qui sont destinées ses images ? Qui les regardent ? Où finissent-elles ? Pour beaucoup, cela ne pose aucun problème car « je n’ai rien à me reprocher ». Mais sont-ils vraiment certain d’être aussi blanc qu’ils le décrivent ?
« Exposed » est une magnifique exposition à ne pas manquer, riche en images et obligeant le spectateur à s’interroger du début à la fin. Le catalogue est à la hauteur du reste (£25).
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