Au petit Elias, né de deux cultures à un moment où le monde est bien étrange...
Ce n’est qu’une coïncidence, évidemment, mais en ces temps d’intolérance et de fanatisme croissants, la dernière exposition de la BNF « Livres de Parole : Torah, Bible, Coran » vient nous rappeler fort à propos tout ce que nous partageons, sans toujours le comprendre, que nous soyons juif, chrétien, musulman ou athée. Nous sommes tous des enfants du Livre, avec grand ou petit L.
Dans cette salle obscure où les manuscrits brillent comme de petites lumières, l’émotion est intense, mais pour ceux qui n’ont pas l’occasion d’aller à Paris, la BNF a mis en ligne une magnifique exposition virtuelle, qui présente la plupart des documents exposés. Je critique parfois un peu, mais là, je reconnais que le travail est superbe.
L’un des documents qui m’ont le plus frappé est cette représentation de la Vierge à l’Enfant, extraite d’un manuscrit persan du XVIe siècle :
Le nimbe de flammes d’or autour de la tête distingue les prophètes (l’Islam n’a pas toujours rejeté la représentation des prophètes : l’exposition de la BNF nous montre même de très belles représentations de Muhammad). J’imagine que la plupart des gens savent que Jésus (Issa), fils de Marie (Maryam) fait partie des prophètes de l’Islam. Je ne peux pas m’empêcher de faire de petits comptages : c’est de la déformation professionnelle. Qui soupçonne que Jésus est mentionné 28 fois dans le Coran ? Marie est mentionnée 34 fois, plus que dans les Ecritures chrétiennes (19 fois, Evangiles et Actes confondus). Abraham (Ibrahim) et Moïse (Musa) y sont aussi, respectivement 70 et 162 fois. Figurent aussi Aaron (Harun), David (Dawud), Elie (Ilyas), Elisée (Yash’a), Isaac (‘Ishaq), Jacob (Yaqub), Job (Ayyub), Jonas (Yunus), Noé (Nuh), Salomon (Sulaiman), Zacharie (Zakariyya), et bien d’autres...
Mais revenons à la BNF. J’ai été ému par des fragments des Evangiles en langue arabe des IXe ou Xe siècles, par un Pentateuque en arabe du XVIe siècle, utilisé par les juifs d’Egypte. De beaux symboles, qui montrent le mélange séculaire des cultures autour de la Méditerranée.
Je ne vais pas refaire l’exposition : allez voir par vous-même, cela vaut la peine. Je mentionne simplement pour finir que la salle (étonnamment dépourvue de mesures de sécurité renforcées) contient ce qui, à ma connaissance, est la première caricature du Prophète Muhammad :
Ce manuscrit (tout petit : je le connaissais en photographie, mais j’ai été surpris en voyant sa vraie taille) est la première traduction en latin du Coran, commanditée vers 1140 par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. Il ne s’agissait pas de faire œuvre œcuménique, mais de comprendre l’Islam pour le combattre. Muhammad y est mentionné comme le « pseudo-prophète », et il est représenté sur cette page avec une queue de poisson et des plumes sur le corps. Pas vraiment un exemple de tolérance. Et je crois même qu’on est allé un peu leur chercher querelle sur place, peu de temps après, aux musulmans. La deuxième croisade a commencé en 1147. Alors, le fanatisme, hélas, on connaît nous aussi (et ça n’est pas vraiment fini) : encore une chose qu’on partage.