Faites un voeu devant Les Météorites
Une journée d'été, près de Béziers. Une météorite tombe derrière la montagne. Le signe d'une nouvelle vie, d'un cinéma novateur ?
Il était une fois, dans un village reculé du Sud de la France, deux Titans répondant au nom de Réa et Cébenna. Les deux géants vivaient heureux jusqu’au jour où Réa, à l’instar du nostalgique Ulysse, entreprit un voyage dont il ne revint jamais. Il laissa derrière lui une Cébenna éplorée. Celle-ci se gonfla alors d’un chagrin intarissable, qui la pétrifia sur place. C’est ainsi que la géante se transforma en un immense roc et dessina le célèbre massif du Caroux, qui borde aujourd’hui le département de l’Hérault.
Imprégné depuis son enfance d’une telle légende, Romain Laguna décide de réinvestir cet imaginaire autour de la montagne et d’en jouer dans son premier long métrage : Les Météorites. Quel rapport entre ces dernières et le mythe titanesque ? La réponse semble se trouver dans le rôle même de la jeune Nina, interprétée par Zéa Duprez, qui établit un lien entre la chronique adolescente et le cinéma chimérique.
« C’est l’histoire d’une jeune fille de 16 ans qui se cherche. Lorsqu’elle voit une météorite tomber du ciel, elle fait immédiatement le lien entre cet événement quasi irréel et sa rencontre avec le jeune Mourad. Nina fera ensuite face à sa première déception amoureuse, mais aussi à toutes ces questions qu’un adolescent peut se poser. », raconte Romain Laguna à l’occasion d’une rencontre avec ses spectateurs, à Albi. Il s’agit pour lui de montrer, dans leur essentialité pure, les premiers pas de son personnage dans la passion fougueuse de l’existence. Mais ce premier long métrage entend bien casser les codes, en entretenant un décalage avec ce que l’on a l’habitude de voir sur grand écran.
L’intrigue se vêt dès lors de ce que certains nomment le fantastique, et que j’appellerais plus volontiers l’ultra-réalisme : car quoi de plus naturel qu’une météorite ? Le questionnement perpétuel de l’adolescente se place dans un interstice, entre le microcosme d’une vie humaine et un macrocosme qui la dépasse. C’est donc cet entre-deux qui est reflété dans des plans ambivalents, mêlant le portrait et le paysage. La nature omniprésente constitue le cadre absolu de ce que l’on pourrait qualifier d’un film d’apprentissage, où l’héroïne est confrontée à bien plus grand qu’elle : la météorite, l’amour, l’alpha et l’oméga de l’humanité depuis les dinosaures… Des images d’archives s’immiscent à leur tour entre les séquences et donnent à l’œuvre une forme de documentaire, sans qu’elle perde pour autant sa qualité esthétique et sa dimension fictionnelle. C’est là toute l’ambiguïté du film, qui s’amuse des différents genres et jongle entre une intrigue terre à terre et un symbolisme presque suprasensible. D’où la prédominance de la nature biterroise qui est là sans cesse, en filigrane, et qui n’attend que d’être (re)découverte. Nina, qui entretient un rapport particulier avec cette nature, trouvera finalement par elle un moyen de se reconnecter au monde, dans une dernière scène aux allures mystiques sur lesquelles je me tairai, au risque de divulgâcher la fin insolite de ce long métrage…
Au-delà d’une réflexion sur ce qui nous entoure et nous transcende, Les Météorites est une source d’émotions et de style. En témoigne la bande son qui rythme les aventures de Nina et les accompagne de morceaux de rap. De Moha la Squale, avec son fameux Bandolero, à des compositions de Maxence Dussère, la musique renforce l’aspect intimiste du film et nous partage la mélodie intérieure de la jeune fille, sur un tempo sentimental.
Mais plus que de tendre l’oreille, il nous faut mettre en éveil tous nos sens au contact des Météorites et ouvrir l’œil sur des images qui sont loin d’être anodines. Partant, l’influence des quatre précédents courts métrages du réalisateur se fait sentir à travers des scènes courtes et fragmentées, qui intensifient la puissance émotionnelle des séquences et les ornent d’esthétique. Chacune d’entre elles est une réalisation à part entière, tant le format est condensé ; chaque plan est une concentration d’énergie et de sensibilité. Romain Laguna nous propose donc une véritable création artistique, émergeant d’un travail rigoureux sur des plans qui sont eux-mêmes signifiants. Aussi le réalisateur a-t-il préféré le format 4/3 qui participe du propos général du film. Il resserre en effet l’étau sur le regard presque halluciné de Nina, et expose ainsi l’énergie latente qui anime la jeune fille. Nous voilà intimement reliés aux émois de l’héroïne, qui sans doute font écho à ceux de l’adolescent(e) que nous sommes ou avons été. Comme le dit le cinéaste : « Quel meilleur paysage qu’un visage ? »
De fait, la spontanéité ressentie dans le film contribue à elle seule à nous submerger d’une vague d’émotions. Bien que les personnages ne s’épanchent pas dans les dialogues, leurs répliques sonnent juste et semblent instinctives, comme inventées sur le moment. Même si le scénario est un projet réfléchi, qui a eu le temps de mûrir pendant près de quatre ans, il reste une œuvre de partage et de collaboration. Le film s’est en fait adapté aux aléas du jeu des acteurs, laissant parfois place à l’improvisation dans des séquences qui n’en paraissent que plus authentiques. Romain Laguna livre ici une réalisation pensée qui tire néanmoins sa force de sa flexibilité : l’intrigue elle-même, qui devait mettre en lumière le personnage d’Alex, s’est déplacée sur Nina suite à la rencontre avec la jeune Zéa Duprez, dont l’aura lui destinait le rôle principal. Le pari de ce premier long métrage était donc de faire de sa nouveauté un signe d’authenticité. À vous de juger s’il vous semble réussi.
Pour sa part, Romain Laguna compte poursuivre ses expériences cinématographiques et pense désormais à réaliser une série en six épisodes, sur laquelle il garde encore une part de mystère. Ses ambitions seront donc à surveiller de près dans les années à venir.
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